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— On a commencé. Un psy, Joffroy et des mecs du SRPJ de Versailles sont avec elle. Je ne te raconte pas le choc. On va voir ce que l’interrogatoire va donner, mais… il y a quand même un truc louche.

— De quel genre ?

— La victime est photographe, certes. Mais a priori, c’est un peu particulier. Amène-toi.

Ils descendirent les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée, puis d’autres marches encore, qui les menèrent à la cave. Là, ils s’enfoncèrent dans un antre protégé par une épaisse porte en bois, forcée par le serrurier. Des hommes y étaient occupés à prendre des photos et à relever des empreintes.

Une fois au centre de la pièce, Vic tourna sur lui-même. Les murs étaient couverts de posters. Des montages numériques. Mickey Rourke avec une main à six doigts, Johnny Depp la face aussi déformée qu’Elephant Man, Bruce Willis manchot.

— Les monstres, encore, murmura Vic en serrant les poings. C’est pas vrai.

Il donna un coup de pied dans le vide.

— Moh ?

— Quoi ?

— Donne-moi une clope.

— Sûr et certain ?

Vic remua sa boîte d’allumettes dans sa poche, du bout des doigts.

— Oui… Donne…

Wang lui tendit une cigarette avec un sourire pervers.

— On savait que tu tiendrais pas longtemps.

— Qui ça ?

— Tout le monde.

— Même toi ?

— Surtout moi.

Vic s’en empara, la renifla avec nostalgie puis s’approcha du portrait de Mickey Rourke. Il la plaqua alors sur la figure en papier glacé.

— Il a quand même plus la classe avec une clope qu’avec une main à six doigts, non ?

Il jeta la cigarette en l’air, Wang la rattrapa.

— Allez vous faire foutre, toi et les autres. Je ne refumerai jamais. Même si je devais regarder le diable dans les yeux.

40. DIMANCHE 6 MAI, 10 H 45

Vingt minutes que Stéphane attendait, et toujours pas de Mélinda. Et si elle n’allait pas à la messe ? Comment l’aborderait-il, dans ce cas ? Lundi à la sortie de l’école, avec le danger de se faire repérer par ses camarades ?

Stéphane croqua dans sa pomme, tandis que la radio diffusait en sourdine un air des Rolling Stones. Au loin, un type venait d’ouvrir le capot de sa voiture, d’où s’échappait une fumée blanchâtre. Stéphane n’y prêta pas vraiment attention et laissa son regard se poser sur un bar-tabac, légèrement sur sa gauche. Ouvert, même le dimanche. Il regarda encore sa montre et sortit de son véhicule avec une belle série de numéros en tête. Après tout, pourquoi n’encaisser que les aspects négatifs du futur ? Le rêve aux Trois Parques lui avait livré le tirage du loto de mercredi, autant en profiter.

Dans le café traînaient quelques piliers de bars. Stéphane s’empara d’un billet à six grilles et cocha 4-5-19-20-9-14 en se sentant écrasé par le poids de la fatalité. Le loto n’était-il pas la figure emblématique du hasard ? Quarante-neuf boules, brassées dans une sphère en rotation, à un instant bien précis, pour que sorte une combinaison de six chiffres, avec une probabilité d’environ un sur treize millions. Comment le destin pouvait-il contrôler de si petits, de si imprévisibles détails ?

— Une seule grille en multiple ? fit le buraliste. Vous y croyez, vous.

Stéphane plaqua un billet de cinquante euros devant lui.

— J’ai l’avantage de voir l’avenir. Mais pour tout vous dire, je voudrais que ces numéros ne sortent pas.

— D’où l’utilité de jouer, lui répondit le buraliste en posant son billet sur le comptoir.

Stéphane regarda nerveusement derrière lui, vers le pavillon de Mélinda. Son pouls s’accéléra brusquement. Les parents refermaient la porte d’entrée en saluant la fillette.

Mélinda venait de franchir la grille et s’engageait dans la rue, seule, à bon rythme.

Sans même réfléchir, Stéphane se rua vers la sortie.

— Oh ! Vous oubliez votre billet ! fit le client juste derrière lui.

Mais Stéphane courait déjà dehors.

Dans son véhicule, il récupéra le masque de The Mask et courut jusqu’à la hauteur de Mélinda, sur le trottoir d’en face.

Au départ, la petite ne le remarqua pas. Car Mélinda aimait compter le nombre exact de pas qui la menaient à l’église de Méry. Mais elle fut soudain distraite de son jeu.

Quelqu’un avec le masque d’un film qu’elle adorait, The Mask, gesticulait comme un fou sur sa gauche. Il sautait, tournait, agitait les bras dans tous les sens. En s’engageant dans un parc arboré, Mélinda essaya de l’ignorer. Impossible. Vraiment trop marrant ce bonhomme, avec ses grandes dents blanches, sa face verte comme un chewing-gum Hollywood et ses yeux de crapaud.

Le Mask passa devant elle en courant, en sifflant. Puis il se mit à marcher sur les mains, avant de chuter lourdement. Mélinda entendit un grognement, et elle sut que le Mask s’était fait franchement mal. Elle s’arrêta, les deux poings serrés au bord des lèvres.

Stéphane ôta son masque, le visage tordu de douleur.

— Ça m’apprendra à faire le pitre. Je suis vraiment trop vieux pour des bêtises de ce genre.

La gamine n’en crut pas ses oreilles.

— Tu as la même voix que dans le film !

— Sauf que je ne suis pas Jim Carrey ! Jim Carrey, c’est le vrai Mask, et il est carrément plus souple que moi !

Stéphane regarda discrètement autour d’eux. Personne ne se promenait dans le parc, hormis une vieille dame avec son chien, au loin. Il s’accroupit devant la gamine. Elle portait une petite robe bleue, un gilet blanc et des bottines noires. Vraiment magnifique, derrière ses beaux yeux verts.

— Écoute Mélinda, il va falloir que le Mask te montre quelque chose.

— Tu connais mon nom ?

— Tu connais bien le mien, non ?

— Oui mais toi, tu es célèbre, c’est pas pareil.

Stéphane lui tendit le visage en latex.

— Tiens, prends-le. Mais fais attention, ne l’abîme pas, il s’agit du vrai et j’y tiens beaucoup.

— Le vrai de vrai ?

— Cent pour cent, c’est un cadeau de Jim Carrey en personne. Tu connais la carrière Hennocque ?

Mélinda acquiesça, manipulant fièrement le masque verdâtre, qu’elle finit par enfiler.

— Oui, elle se trouve pas très loin de chez moi. Mais mon papa m’a interdit d’y aller. C’est dangereux.

— C’est bien Mélinda, très bien. Tu as raison. Seulement moi et le Mask, on voudrait te montrer quelque chose là-bas. Quelque chose de très important pour toi.

Elle secoua la tête.

— Non, non, non. Je vais à la messe. Et puis, je ne pars jamais avec des inconnus.

Stéphane lui ôta tendrement son déguisement.

— Je suis encore un inconnu pour toi ? Et le Mask aussi ?

— Non, je… C’est bizarre, mais je crois que je t’ai déjà vu. Tu es déjà venu ici, dans ce parc ?

— Peut-être, qui sait ? Et pour la messe, tu diras à tes parents que tu y es allée. Le spectacle ne doit pas varier beaucoup, d’un dimanche à l’autre.

Il enfila de nouveau le masque et se mit à imiter un curé, le dos courbé, les paumes des mains tournées vers le ciel, répétant des gestes de prière exagérés. La petite éclata de rire.

— Tu m’accompagnes à présent ? reprit Stéphane plus sérieusement. Ma surprise vaut vraiment le déplacement.

Il dut combattre ardemment mais aidé du Mask, ils purent la convaincre de monter dans la Ford, à l’abri de tous les regards. Stéphane avait déjà repéré les lieux autour de Hennocque. Il se gara dans une ruelle en pente, entraîna Mélinda par la main et franchit une épaisse rangée de buissons. Derrière se dressait un haut grillage, mais trois mètres sur la gauche, un gros trou permettait d’accéder à l’entrée de la carrière.