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— Tu ne feras rien… souffla Stéphane en s’adressant à elle. Non, tu ne feras rien. Je ne veux pas porter plainte.

— Quoi ? Tu délires ? On ne peut pas le laisser entrer chez nous et…

— Tu laisses tomber, d’accord ?

Vic ne décolérait pas.

— Recommencez une seule fois, dit-il d’une voix menaçante, et je vous jure que je vous tue ! Ne vous approchez plus jamais de ma femme !

Sylvie se mit à crier :

— Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Ma femme est enceinte ! Et ce cinglé lui a raconté que notre bébé allait mourir !

Sylvie fixa Stéphane avec un regard désespéré. Dans ses yeux éteints, on pouvait lire qu’elle croyait le lieutenant. Elle fourra ses mains dans ses poches, frigorifiée.

— Dis-moi qu’il ment. Dis-moi juste que tu n’es pas allé voir son épouse… Que tu n’as pas dit que son bébé allait mourir. Que tu n’as pas eu, encore une fois, une vision.

Stéphane répondit en baissant le front :

— Si… Tout est exact. Ce bébé va mourir.

Sylvie se recula jusqu’à buter contre le mur.

— Mon Dieu…

Stéphane s’étira douloureusement les côtes, puis s’adressa àVic :

— Vous devez me croire. Aussi fou que cela puisse paraître, vous devez me croire. Si votre femme va à ce rendez-vous chez son gynécologue, votre bébé mourra. Pourquoi je vous mentirais ? Je cherche juste à vous aider !

— Le pire, espèce d’enfoiré, c’est que Céline t’a presque cru. Je l’ai retrouvée bouleversée, prostrée dans un coin, en larmes. J’ai eu tout le mal du monde pour la convaincre de se rendre demain à ce fichu rendez-vous.

Le jeune lieutenant se massait frénétiquement l’avant-bras.

— Mais elle va y aller. Oh oui, crois-moi, elle va y aller !

— Vous le regretterez. Par pitié, il s’agit de votre enfant !

— Ce que je regrette le plus, c’est de ne pas t’avoir envoyé à l’hôpital.

Stéphane se prit la tête dans les mains, les yeux tournés vers le sol. Il se parla à lui-même, tout bas :

— Vous ne viendrez pas pleurnicher quand il sera trop tard.

Vic se dirigea lentement vers la porte.

— Je ne veux plus jamais te voir sur mon chemin. Et vous, madame, vous devriez réagir en conséquence. On ne peut pas laisser ce genre de taré dans la nature.

Stéphane se tamponna le coin de la bouche avec un mouchoir en papier.

— Ne me dites jamais que j’aurais pu faire quelque chose. Que je ne vous avais pas prévenu.

Mais Vic avait déjà disparu. Loin dans la nuit s’éleva un long crissement de pneus.

Quand Stéphane se retourna, il lut, dans les yeux de sa femme, une peur indicible. Pas de l’incompréhension, ni de la pitié, mais une terreur d’enfant.

— Toi aussi, bientôt, tu te rendras compte que tout ceci est véridique, murmura-t-il. Mais alors il sera trop tard.

Et il repartit au sous-sol, les épaules voûtées.

Sans goût, sans volonté, frappé du sentiment de n’être qu’une marionnette, il se regarda dans un miroir. Pas encore de traces de piqûres, ni de griffures sur le visage… Mais, déjà, l’hématome autour de son œil.

Exactement comme dans les rêves.

Il n’y avait rien à faire. Aucun moyen de contrer la marche implacable des événements.

Et, quoi qu’il fasse à présent, il était persuadé que son premier rêve se réaliserait, intégralement.

Il s’endormit avec l’insoutenable pensée que, dans trois jours, un horrible mécanisme labourerait sa vie.

SIXIÈME RÊVE : FORÊT DE FANTÔMES

46. LUNDI 7 MAI, 06 H 30

Stéphane jeta son fusain usé et en prit un nouveau. Une goutte de sueur s’écrasa sur son dessin, à proximité du Sig Sauer. Il redressa la tête, empoigna une bouteille de whisky et en avala plusieurs gorgées. Puis il se leva et la fracassa contre un mur. Là où, déjà, gisait un poste radio, en miettes lui aussi.

Darkland était devenu une pièce abandonnée, vidée de ses âmes, de ses figures, de sa vie. Les monstres se trouvaient regroupés dans un coin, recouverts de draps blancs, sauf Darkness. Une peinture rouge vif, étalée de façon grossière, couvrait presque tous les murs.

Stéphane s’approcha en titubant des quelques fragments de messages encore lisibles sous les coups de pinceau. « … cassette regardez… Parle-moi de l’enquê… tu ignores quand je rêve de toi, mais par pitié… »

— On a essayé, toi et moi, murmura-t-il. On a vraiment tenté le coup. Il s’en est fallu de si peu pour qu’on y arrive. Mais c’est ce si peu qui nous a manqué à chaque fois. Tout était si difficile à comprendre, et nous disposions de tellement peu de temps. Je t’aime mon ami. Si tu m’entends, je t’aime…

Stéphane se dirigea vers les mannequins et en ôta les draps, un à un. Il s’arrêta devant Darkness, le monstre au crâne ouvert. A bout de forces, il tira sur la petite tête présente à la place du cerveau. La boule de latex finit, arrachée, dans sa main.

— Tout est terminé à présent. Tu n’as jamais su m’aider. Et je n’ai jamais su te comprendre.

Lentement, il retourna vers le portrait qu’il avait commencé à dessiner. Sur la feuille, Sylvie avait les cheveux courts, les traits lisses et réguliers. Mais, progressivement, Stéphane rajouta des touches de fusain qui lui déformèrent le visage. Les yeux grossirent, le menton se tordit, les joues se comblèrent de bosses, de creux, jusqu’à devenir monstrueuses. Le crayon appuyait sur le papier, y abandonnant de grosses traînées difformes.

— Pourquoi ? Pourquoi ?

Stéphane laissa tomber son fusain, désespéré. Il posa son coude sur la table et s’allongea sur son bras. Et là, à quelques centimètres de son dessin, il se mit à pleurer, puis finit par s’endormir.

47. LUNDI 7 MAI, 07 H 30

Dans la salle de bains, la voix de Stéphane s’abattit comme un couperet :

— Où est-ce que tu vas ?

Sylvie sursauta. Son mari venait d’apparaître à l’entrée de la pièce. Longs cheveux emmêlés, yeux enflammés, barbe méchamment hirsute. Le tour de l’œil gauche d’un jaune souillé.

— Tu fais franchement peur à voir, répliqua-t-elle. Tu sens l’alcool, la sueur. De plus en plus, tu ressembles à un fauve terré au fond de sa cage.

Stéphane esquissa un sourire effrayant.

— Tu as peur de moi ? Non, c’est moi qui devrais avoir peur de toi.

Sylvie referma son tube de mascara.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Encore un de tes rêves ?

Stéphane s’appuya contre le chambranle.

— Tu t’es énormément absentée, ces derniers temps. Des journées complètes. Et les soirs, à chaque fois qu’on se disputait. Ou même quand je restais dans Darkland. Je te croyais dans la chambre, alors que tu étais sans doute ailleurs. Où allais-tu ?

Sylvie voulut sortir, mais il l’en empêcha, menaçant.

— Où allais-tu ?

Elle le fixa avec assurance.

— Chez Nathalie. Mais qu’est-ce que ça peut te foutre ?

— Pas de bol, je l’ai appelée. Et elle ne t’a pas vue depuis deux semaines. Qu’est-ce que tu réponds à ça ?

Sylvie baissa la tête et força le passage. Stéphane lui emboîta le pas et l’agrippa par le bras.

— Dis-moi où tu étais toutes ces nuits !

— Lâche-moi !

— Tu as des trucs à te reprocher, hein ? C’est quoi, ton rapport avec la petite Mélinda ? Avec ces meurtres horribles ? Une tête de monstre, ça te dit quelque chose ?

— Bon sang ! Tu me fais mal !

Stéphane avait des gestes de plus en plus nerveux.

— Tu as un lien avec tout ce qui tourne autour de moi, hein ?