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— Tiens, débrouille-toi avec ça. Et maintenant, tire-toi. Everard resta tout d’abord sans voix. Puis, du bout des doigts, il leva le morceau de latex devant lui et dit :

— Non mais… Tu te fous de moi, là ?

— J’ai l’air ? J’ai un truc contagieux. À ta place, j’éviterais de traîner dans le coin.

Everard devint rouge de colère.

— Sale drogué de mes deux ! Tu oses me planter comme ça ?

— Je n’ai pas le choix. Je te jure que je n’ai pas le choix.

— Prépare-toi à te prendre une tonne d’avocats au cul !

— C’est le cadet de mes soucis. Dans trois jours, ma tête sera mise à prix, je vais peut-être finir à l’hôpital psychiatrique. Je pense même que je vais bientôt crever. Alors envoie-les-moi, tes avocats. Qu’ils me jettent en prison. Tu ne peux pas savoir à quel point ça m’arrangerait. Et maintenant…

Il le poussa dehors.

— … Dégage de là.

Everard resta deux bonnes minutes devant la porte fermée, à déblatérer un tas d’insultes, puis finit par disparaître.

Encore sous le choc de ses découvertes, Stéphane se versa un grand verre de whisky et s’assit dans un fauteuil du salon. Puis il alla récupérer son téléphone portable à l’écran brisé, les pages blanches, et composa le numéro des parents de Mélinda. Quand la mère répondit, il se fit passer pour le directeur de son école et lui joua un court numéro, de manière à s’assurer que la gamine était encore en vie.

Dieu merci, elle l’était. Pour l’instant.

Il inspira profondément, à demi rassuré. Car restait l’autre problème : dans quelques heures, l’épouse du flic, la jolie vietnamienne, vivrait probablement le pire drame de sa vie.

Il le savait, et il n’y pouvait rien.

48. LUNDI 7 MAI, 10 H 30

— Amène-toi Marchal ! J’ai une idée, une sacrée idée et il me faut une voiture !

Vic releva les yeux du rapport médicolégal de Liberman et fixa Wang.

— Ça me saoule de jouer les chauffeurs, tu vois ? Et puis, j’attends un coup de fil important de ma femme, elle passe des examens ce matin. Je ne bouge pas d’ici.

— T’es pas à la brigade pour chômer. Ta femme, on s’en cogne. Amène-toi !

Wang arracha le portable de son chargeur, empoigna son collègue, le tira hors du bureau dont ils avaient provisoirement hérité et désigna l’un des plombiers.

— Regarde ce type, regarde-le bien, dit-il en se dirigeant d’un pas rapide vers les escaliers, une petite fiole à la main. Il sue, mec. Il sue parce qu’il a chaud. Parce que son chalumeau, il génère de la chaleur. Et nos victimes aussi, elles ont sué à mort.

— Je sais. Je sais aussi que leur calvaire a été particulièrement long et douloureux. Oh ! Tu m’écoutes ?

Mais Wang disparaissait déjà à l’étage inférieur, sautant les marches deux à deux. Dans un soupir, Vic le suivit en direction du rez-de-chaussée.

La maison de Cassandra Liberman n’était plus qu’une tombe de briques, effrayante, un endroit qui, dans l’esprit des gens, resterait pour des générations l’autel d’un carnage. Une demeure devenue inhabitable. Invendable.

Wang arracha les rubans PN en travers de la porte d’entrée, introduisit la clé et pénétra le premier. Vic sursauta quand la porte claqua derrière eux, rabattue par un coup de vent. Il régnait encore, dans ces grands espaces vides, une lourde odeur de rance.

— Bon… souffla Vic. Tu vas enfin parler ou il te fallait juste un chauffeur ?

Moh se dirigea vers le salon.

— Tu te rappelles ce que disait le rapport du légiste sur la température de la pièce, à la fois chez Liberman et chez Leroy ?

— Plus trop, non. Je sais juste qu’elle lui servait pour définir l’heure du décès.

— Dans les deux cas, la température ambiante était de 18 degrés. Exactement le même niveau.

Vic haussa les épaules.

— Et alors ?

— Quand tu règles à 18 degrés, tu n’as pas besoin d’une grosse couette en plumes pour dormir. Comme celle dans la chambre de Liberman.

— Mouais… C’est tout ?

Moh Wang s’approcha du thermostat, les mains dans les poches.

— Toujours dans le rapport, Demectin a détecté des traces d’amidon de maïs sur les victimes.

— Ça, je sais. Notre tueur a ôté ses gants en latex pour toucher ses victimes, avant de les remettre.

Wang sortit un gant neuf de sa poche.

— Enfile-le, enlève-le, et renfile-le…

Vic s’exécuta, intrigué. Après la manœuvre, Moh désigna les extrémités extérieures du gant.

— Qu’est-ce que tu vois ?

— De la poudre.

— Exact. Quand tu retires un gant, tu as de la poudre plein les mains. Donc, quand tu l’enfiles de nouveau en t’aidant de l’autre main, tu laisses forcément des traces de cette poudre sur l’extérieur du gant.

— Et ?

— De ce fait, une fois renfilé, ton gant abandonne une infime quantité d’amidon sur tout ce que tu touches.

Wang sortit une fiole de sa poche et versa du liquide sur le bouton du thermostat. Celui-ci se teinta de reflets mauves.

— Bingo. L’amidon réagit avec l’iode et se colore.

Vic se frotta le menton.

— Donc, il aurait d’abord augmenté la température puis, après son crime, aurait replacé le bouton sur 18 degrés ?

Wang acquiesça en sortant une cigarette, qu’il n’alluma pas.

— Exactement, et ce n’est pas tout. Accroche-toi, parce que tu vas rire.

— Je n’ai pas trop le cœur à rire en ce moment.

— Tu te rappelles que certains des cheveux de Leroy étaient légèrement brûlés ?

— Oui. Mais pas ceux de Liberman, d’après le rapport.

— Justement, ça n’arrêtait pas de trotter dans ma tête, sans que je comprenne. Pourquoi Leroy, et pas Liberman ?

— Mmmh ?

— Parce que Liberman avait les cheveux courts, et Leroy, les cheveux longs.

— Là, j’ai du mal, tu vois.

— Tu sais ce qui peut expliquer les brûlures ? Des chauffages électriques. L’assassin s’est amené avec des chauffages électriques portatifs.

— Quoi ?

— Souviens-toi des mots de Réré, le clodo avec son pif monumental. Il racontait avoir vu le tueur entrer avec des « grillages ». C’étaient sûrement ces chauffages. Notre tueur les a rapprochés de la victime puis branchés. Certains cheveux, trop près des résistances, ont grillé. Il voulait créer une très forte chaleur, de manière à nous tromper sur l’heure du crime.

Vic en resta bouche bée.

— La vache ! Ça, c’est super bien vu.

— Pour les fusibles volés, j’ai deux options. La première, il se fout de notre gueule et les pique comme un symbole, un moyen de dire : « Creusez-vous bien la tête là-dessus, bande de crétins, pendant que moi, je m’éclate. » Et l’autre, plus cohérente, c’est qu’il a augmenté la puissance des chauffages de plus en plus, au fur et à mesure de son office, jusqu’à ce que les plombs sautent. Et en repartant, il n’a pas pris qu’un seul fusible, mais tous, afin de brouiller les pistes.

Moh se mit à aller et venir, très rapidement.

— Pour établir l’heure du décès, le légiste a le choix entre le diagramme de Henssge ou la mesure du potassium dans l’humeur vitrée. Demectin est une adepte de la première méthode, plus fiable, selon elle. Elle se base sur un nomogramme qui tient compte d’un tas de facteurs. Intérieur, extérieur, environnement humide ou sec, etc. Juste après la mort, à une température ambiante d’environ 18 degrés, il y a un plateau de deux heures pendant lequel la température corporelle ne varie presque pas, avant de commencer à baisser progressivement. Le légiste tient compte de toutes ces données pour dater l’heure du décès. Mais si tu chauffes énormément la pièce et le corps avant la mort, tu fausses tous les résultats, car il mettra beaucoup plus longtemps à descendre en température. Tu fais croire que tu tues à minuit, mais tu agis bien plus tôt. Nous, le matin, on n’y voit que dalle, parce qu’au final, la température alentour est redescendue à la valeur du thermostat, soit 18 degrés. On a déjà eu le cas, voilà quelques années, où un assassin particulièrement retors avait enroulé le corps dans des couvertures avant de les retirer, mais les couvertures, ça laisse des fibres. Par contre, des chauffages électriques… c’est invisible, hormis la sudation abondante des victimes.