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— Tu vois, tout ceci n’a servi à rien, dit-il. Strictement à rien. Si seulement j’avais pu être plus clair, plus… Mais comment l’être avec toutes ces horreurs dans ma tête ? Avec tout ce qui s’est passé ? Comment rester sain d’esprit ?

Vic Marchal, costume noir, chemise blanche et cravate foncée, vint se positionner devant lui et l’abrita avec son large parapluie.

— Tu as fait le maximum. Tout est tellement… illogique. En quoi faut-il croire ?

Le regard perdu, il porta une cigarette à ses lèvres et l’alluma calmement. Les gouttes tambourinaient sur la toile, au-dessus de leurs têtes.

— On va le coincer, Stéphane. Je te garantis qu’on va choper ce salopard. On est tout prêt désormais.

— Ça ne changera rien. Elle est morte. Il l’a assassinée et rien ne la ramènera.

Stéphane caressa longuement son visage humide, en soupirant douloureusement.

— Le pire c’est que j’ai déjà fait ce rêve… Mon tout dernier cauchemar où je nous voyais là, tous les deux, devant la tombe, sous cette même averse, ces mêmes parapluies, ces mêmes personnes. Avec les mêmes fleurs qui ornaient la même tombe, la même couleur de marbre, les mêmes vases. Comment peut on savoir les choses si précisément et ne pas empêcher qu’elles arrivent ?

— Parce qu’il te manquait des éléments les plus importants. On ne peut reconstituer le puzzle sans en posséder toutes les pièces.

Lentement Stéphane se retourna vers la sépulture, recouverte de fleurs et de plaques. Il se baissa et ramassa les bouquets posés au sol, qu’il essaya de regrouper délicatement. Puis, avec peine, il caressa du dos de la main l’inscription gravée dans le marbre.

« Sylvie Kismet – 1974-2007 ».

— Dans le rêve, j’ai vu cet épitaphe. Je savais qu’elle allait mourir.

Il s’effondra à genoux.

— Pourquoi ? Pourquoi je n’ai pas réussi à te sauver ? Mon amour !

Et il pleura, pleura à s’étrangler, alors que la pluie tombait encore plus fort.

53 Mardi 8 mai, 07 H 22

Stéphane se réveilla en sursaut. Il se rua hors de Darkland et fonça à l’étage.

— Sylvie ! Sylvie ! Oh non !

Le lit vide. 7 H 24, déjà. Pourquoi se réveillait-il que maintenant ? Les somnifères, pour l’aider à s’endormir plus rapidement… Bon dieu !

On était mardi. Demain dans la nuit, il courrait dans cette même maison avec les mains en sang. Il s’agissait du sang de Sylvie, il en avait la certitude à présent.

La peur au ventre, il se précipita vers une fenêtre. Dehors, plus d’Audi grise. Il se jeta sur son téléphone portable, composa le numéro de sa femme et tomba sur le répondeur. Paniqué, il laissa un message :

— Tu es en danger, tu dois aller à la police tout de suite !

Il s’empara de vêtments propres. Jean et tee-shirt enfilés en un éclair. Il ne prit même pas le temps de se laver, ni de se coiffer. Ses cheveux tombaient pêle-mêle sur ses épaules, sa barbe poussait salement. Dans la cuisine, il broya trois somnifères, qu’il dilua dans une bouteille d’eau.

La Ford démarra en trombe.

Jamais de toute sa vie il ne roula si vite en pleine ville. Il doublait à tout va, se rabattait de justesse, provoquant des coups de klaxons et des appels de phares. Puis arriva le bouchon, sur la Francilienne. Impossible d’avancer. Stéphane téléphona encore et encore. Nouveaux messages sur le répondeur. Dans les autres voitures, ses voisins de galère le fixaient bizarrement, les yeux ronds.

— Quoi ? hurla-t-il. On me prend pour un taré ? On va me prendre toute ma vie pour un taré ? Mais je suis taré, complètement taré !

Enfin le périphérique. 8 h 43. Puis Paris intra-muros. La capitale déroula ses longues avenues, ses boulevards, ses rues. L’agence immobilière. Stéphane se gara sur le trottoir, juste devant l’entrée, et se précipita à l’intérieur du bâtiment.

— Sylvie ! Je veux voir Sylvie Kismet ! Je suis son mari et je veux la voir tout de suite !

L’hôtesse le considéra avec méfiance, avant de saisir son téléphone et de composer un numéro interne.

— Pas de réponse, finit-elle par dire en raccrochant. Si vous voulez bien patienter…

Haletant, Stéphane retourna dehors, devant l’entrée. D’ordinaire, Sylvie arrivait gare du Nord, prenait le métro, avant de terminer à pied jusqu’à l’agence. Un retard, un simple retard. Il se mit à aller et venir nerveusement. Il n’y avait rien de mieux à faire que d’attendre.

Après d’interminables minutes, il l’aperçut enfin, au bout de la rue, impeccable dans son tailleur beige. Il courut dans sa direction.

— Sylvie ! Oh !

La jeune femme lui adressa un regard étonné, qui très vite se teinta de crainte.

— Laisse-moi ! ordonna-t-elle en continuant à marcher. Rentre à la maison ! Une grosse journée m’attend, ce n’est pas le moment !

Stéphane lui emboîta le pas.

— Tu es en danger. Le… Le tueur va s’en prendre à toi.

— Ben voyons.

— Tu dois me croire !

— Je te crois. Tout ce que tu voudras. Rentre chez nous.

Arrivé au niveau de la Ford, Stéphane lui attrapa le poignet.

— Tu dois venir avec moi ! Il faut fuir loin d’ici ! Il faut…

Sylvie ne se laissa pas faire. Ses joues s’empourprèrent.

— Fiche-moi la paix ou je fais un scandale !

Stéphane n’hésita pas une seconde. Il observa autour d’eux, puis la tira jusqu’à la voiture et la poussa à l’intérieur. Cette fois, Sylvie hurlait pour de bon.

— Mais qu’est-ce que tu fais ? Arrête ! Arrête !

Stéphane parvint à fermer et verrouiller la portière passager. Dehors, des badauds s’arrêtaient, incrédules. Sylvie se débattit, elle griffa Stéphane au visage. Trois marques bien distinctes sur sa joue. Puis elle tira de toutes ses forces sur la poignée pour tenter de sortir, et finit par l’arracher. Dans un réflexe malheureux, Stéphane la gifla.

— Oh ! Excuse-moi ! Je ne voulais pas.

Il démarra, fonça jusqu’au bout de la rue et s’arrêta. Là, il plaqua sa femme contre le dossier de son siège, l’air menaçant, et écrasa la bouteille d’eau avec les somnifères sur ses lèvres.

— Bois ! Bois ça !

Sylvie pleurait.

— Je… Je t’en prie… Non…

— Bois !

Elle s’exécuta et le fixa, les yeux pleins de terreur.

— Ne me fais pas de mal…

— Jamais ! Jamais je ne te ferai du mal ! Je sais que tu me prends pour un fou, mais je fais tout ceci pour te protéger. Quelques jours… Juste quelques jours, puis tout redeviendra normal, comme avant.

— Rien n’a jamais été normal. Laisse-moi Stéphane, je t’en prie. J’ai peur.

Stéphane se regarda dans le petit miroir du pare-soleil. Les griffures, sur son visage. Puis la poignée arrachée, au sol. Comme dans l’un de ses rêves.

— Comment c’est possible ?

Sylvie ressentit une profonde tristesse de voir son mari dans un tel état. La déchéance mentale avait été si foudroyante.

— Où… murmura-t-elle. Où m’emmènes-tu ?

— Pas là-bas. Certainement pas là-bas.

La voiture s’extirpa du dédale parisien, puis suivit le panneau « Lyon » avant de s’engager sur l’A6. Sylvie luttait pour rester éveillée. Stéphane la vit s’endormir. Une si jolie femme. Il la protégerait. Et personne ne pourrait l’en empêcher. Rien ne se produirait. Cette fois, il prendrait le dessus.

Mais, brusquement, il ralentit, avec l’envie douloureuse de faire demi-tour. S’il fuyait loin de Paris, comment surveiller Mélinda ? Comment la protéger, elle aussi ? Ses doigts se crispèrent. La petite ou sa femme.

Son choix était fait. La décision la plus terrible de toute sa vie. Abandonner Mélinda, sa chevelure bouclée, sa dent en moins.