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— Je suis tellement désolé, ma petite. Pardonne-moi. Oh, pardonne-moi…

Quelques heures plus tard, il s’arrêta sur une aire d’autoroute. Il engloutit une demi-bouteille d’eau puis en profita pour ôter la batterie de son portable. Il chercha celui de Sylvie dans les poches de son tailleur. Introuvable, tout comme son sac à main, certainement perdu dans la lutte devant l’agence. Ses papiers, son argent… Tant pis, il y avait bien plus urgent.

Il reprit la route. Après encore trois heures de conduite apparurent les premiers reliefs.

Pas ceux des Vosges, là où le destin l’attendait probablement de pied ferme…

Mais ceux de l’Ardèche.

54. MARDI 8 MAI, 09 H 45

À l’hôpital, Vic se reposait dans un fauteuil aux côtés de son épouse depuis environ une demi-heure. Avant de venir la retrouver, il était passé faire des radiographies de la tête dans un cabinet privé. Elles n’avaient révélé aucun traumatisme. Il avait expliqué s’être cogné violemment en chutant dans les escaliers de leur immeuble.

La vérité s’avérait bien pire. L’assassin lui avait donné un grand coup de crosse à l’arriére du crâne et Vic  était resté inconscient sur le sol quelques minutes, avant de pouvoir péniblement rejoindre sa voiture, tandis que la maison de Siriel partait en fumée.

Depuis, une question le taraudait. Pourquoi le meurtrier l’avait-il juste assommé, pourquoi ne l’avait-il pas éliminé ? Probablement l’avait-il épargné parce qu’il se sentait au-dessus de tout et que Vic ne faisait pas partie de son plan.

Lui, Vic Marchal, lieutenant de police à la première division, fils de l’un des flics les plus réputés du pays, risquait bien pire que l’interdiction d’exercer. À cause de lui, Noël Siriel, un personnage-clé de l’affaire, s’était suicidé. Et cela pouvait lui valoir de sérieux ennuis.

Le vieux sadique n’existait plus, ses secrets s’étaient envolés avec lui. Tant pis. Tant pis pour l’enquête, pour ses collègues, pour les futures victimes. Vic devait garder le secret. Coûte que coûte.

Depuis l’arrivée de son mari, Céline n’avait pratiquement pas parlé. Elle s’était blottie contre lui, les yeux dans le vague, les lèvres sèches. Aucun mot ne parvenait à la réconforter. Cet enfant, elle l’avait porté, senti bouger, et rien ne pouvait à présent combler cette perte.

— L’homme… finit-elle par lâcher dans un souffle. L’homme de l’autre fois, venu m’annoncer que… le bébé allait mourir…

— Je ne l’ai pas revu, mentit Vic. J’ignore qui il est, je ne le connais pas. Tu dois l’oublier. Oublie tout. Paris, mon métier, le bébé. Ta mère et moi, on va s’occuper de toi. D’accord, ma puce ?

Elle soupira, ferma les yeux puis finit par s’endormir.

Une heure plus tard, le portable de Vic, qu’il avait laissé à recharger sur une prise, se mit à vibrer. Le jeune homme se leva doucement et le récupéra. Un nouveau message qu’il n’avait pas écouté, datant de la veille, avait provoqué un rappel. Son ami médecin. Vic plaqua le téléphone contre son oreille.

« Vic, c’est Gilles. Désolé pour le retard, mais j’ai eu quelques problèmes de santé. J’ai vu tes photos de scène de crime, et j’ai trouvé. Cette femme transpercée d’aiguilles, ces bébés, ce visage de souffrance. C’était presque flagrant, et encore une fois, désolé de t’avoir fait attendre. Ton tueur s’est inspiré de deux sources principales, des œuvres artistiques en rapport avec la douleur morale et la souffrance physique. Je t’expliquerai tout en détail de vive voix, mais je peux déjà te dire les choses en deux mots. D’abord, la manière dont a été tuée et mise en scène ta victime blonde ressemble comme deux gouttes d’eau à un autoportrait de Frida Kahlo, une artiste mexicaine très célèbre, sur lequel elle est transpercée d’aiguilles. À huit ans, elle a été atteinte de poliomyélite, une maladie qui lui a déformé le pied droit et lui a valu le surnom de « Frida l’estropiée ». À dix-huit ans, alors qu’elle revient de son école d’art, son bus percute un tramway. Une barre de fer la transperce de l’abdomen au vagin. Elle en gardera des élancements insoutenables durant de très, très longues années. C’est le sens de ces aiguilles sur tout le corps. On dirait que, sur cette Terre, des êtres naissent pour souffrir. Plus tard, Kahlo sera atteinte de fibromyalgie, un mal omniprésent et incurable. Elle ne peindra plus que des œuvres en rapport avec cet enfer. Ton assassin doit se retrouver en elle. Cherche une relation avec la souffrance invisible, permanente, et aussi la douleur, au sens moral du terme. Souffre-t-il de fibromyalgie, lui aussi ? D’un mal intérieur, imperceptible ? Bref, revenons à tes photos, car ce n’est pas fini. La disposition des étoffes, la manière dont le visage est tourné, avec la mise en scène des bébés, m’ont fait penser à une représentation picturale d’une scène biblique, « Le Massacre des innocents ». Je ne vais pas tout te raconter ici, appelle-moi si… »

Dans sa main, le portable se mit à biper. Un appel en parallèle. Vic fit la bascule et sortit discrètement de la chambre. Le commandant Mortier… Vic inspira profondément et prit l’appel.

— Tu te trouves où, là ? attaqua immédiatement son supérieur.

— À l’hôpital avec ma femme, je devais vous appeler mais…

— On tient notre homme.

Vic fronça les sourcils.

— Quoi ?

— Enfin presque, juste une question d’heures. Une plainte vient de remonter jusqu’à nous. Un type a embarqué une femme de force dans sa bagnole, en pleine rue. On a retrouvé le sac à main, c’est celui de Sylvie Kismet. Et le type, devine ?

— Stéphane Kismet ?

— Bingo ! Son alibi du restaurant ne tient plus avec cette histoire de chauffages électriques.

— Mais il était avec moi lors du deuxième meurtre. Et…

— Qui te dit qu’il n’a pas trouvé une autre astuce ? On lui demandera, les yeux dans les yeux. Ce qui est sûr, c’est que ce fumier est passé à la vitesse supérieure, et ça ne m’étonnerait pas qu’il s’en prenne à sa propre femme.

Vic resta sans voix, Mortier se gourait complètement. Stéphane Kismet avait dû faire un dernier rêve d’une importance primordiale, qui justifiait son départ houleux.

— Oh ! Marchal ? T’es encore là ?

— Oui, commandant… Je… Je suis juste un peu surpris. Je ne pensais pas que Kismet…

— Tu ne pensais pas, non, le voilà le problème. Je ne t’appelle pas par plaisir. T’as foiré, sur ce coup-là, attends-toi à quelques vagues.

Vic tremblait sous ses vêtements. Il avait laissé un message sur le répondeur de Stéphane, l’exhortant à le rappeler immédiatement. Si les collègues tombaient dessus… Heureusement, dans le message, il n’avait pas parlé de Siriel.

— Et… Et vous savez où il se trouve ?

— Pas encore, on va voir avec son opérateur téléphonique ou celui de sa femme, si on peut capter un signal. Puis on étendra aux caméras de péages, de stations-service, etc. Mais tu sais, de nos jours, les types en cavale, ils ne vont pas bien loin. Ce qu’on espère juste, c’est d’arriver à temps, avant qu’il ne lui fasse subir un calvaire.

— Et moi, je fais quoi ?

— Ce que tu veux.

Le commandant raccrocha. Vic resta paralysé quelques secondes, puis il finit par sortir fumer une cigarette devant l’hôpital. Pourquoi Kismet avait-il contraint sa propre femme à monter dans sa voiture ? De quoi, de qui avait-il peur ? Pourquoi ne le rappelait-il pas ?

Il s’installa sur un banc, la tête entre les mains. Il avait perdu le carnet des rêves, sa chance, peut-être, de comprendre les raisons du geste de Kismet. Sa chance, aussi, de gagner au loto.

Son manoir… Il se rappela des propos de Stéphane sur le destin, qui empêchait toujours qu’on modifie ce qui était prévu.