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— Je n’ai plus mon portable, ils l’ont gardé à la brigade de police. Je te donne mon nouveau numéro de ligne fixe. Tu notes ?

Il s’exécuta. Sylvie le raccompagna jusqu’au rez-de-chaussée et le regarda s’éloigner.

— Au fait ! s’écria-t-il en montant dans sa voiture. Ça sent vraiment mauvais dans le coin. Tu vérifieras demain matin, mais il doit y avoir une bête crevée quelque part devant ta maison.

Il n’alluma ses phares que bien plus loin, avant de piquer une grosse accélération sur la N16.

Sylvie referma à double tour, traversée de frissons. Hector avait raison, une puissante odeur de rance se répandait dans le hall. Une canalisation bouchée ?

Elle courut jusqu’au sous-sol, ralluma la radio, et se remit à couvrir les murs de peinture. Effacer, tout effacer.

Sur les ondes, on annonça le tirage imminent du loto. Sylvie s’arrêta net. Elle descendit en quatrième vitesse de son escabeau et chercha sur le mur. Oui, là. À gauche. Des numéros. 4-5-19-20-9-14.

— Le loto, le loto… Pourquoi maintenant ?

Le tirage venait de démarrer, et Sylvie eut l’impression, à cet instant, que plus rien n’existait, hormis la voix du commentateur qui résonnait dans la pièce.

— 4…

Quatre. Un choc dans la poitrine. Il y était, ce fichu numéro y était. Sylvie se frotta les lèvres d’un geste nerveux. Pas grave, juste une coïncidence, une de plus. Après tout, il n’était pas rare d’avoir quelques numéros.

— 5…

Un coup de scalpel, ce chiffre. Sylvie suivit des yeux les mots encore intacts.

« Le petit mouchoir rose, brodé… Ne plus avoir confiance en Sylvie… Hector Ariez va peut-être tuer Mélinda. »

— 19…

Il se dressa en elle comme une vague puissante, un raz-de-marée acide qui la submergea. Elle se rappelait à présent toutes les coïncidences troublantes de ces derniers jours. Cette plaque d’immatriculation dont Stéphane avait rêvé, qui était celle de la voiture de Hector. Puis ce moment terrible où elle avait cru découverte sa liaison, alors qu’il ne s’agissait que de rêves, de visions.

« Six jours et vingt heures de décalage. Premier rêve : jeudi 10 mai, 2 h 35 du matin… Le sang sur les mains. »

Sylvie regarda sa montre. Mercredi 9 mai, presque 21 h 00. De rage, elle reprit son rouleau et donna de grands coups de peinture sur ces mots. Plus rien ne devait exister ! Rien !

« Vingt, pensa-t-elle. Vingt, vingt, vingt. »

— 20

Tout s’entrechoquait dans sa tête. Les détails, les infimes détails. La statuette jumelle, qu’elle avait remise en place en rentrant. Sa coupe de cheveux. Les bouteilles de vin inversées. Les cauchemars… Ces horribles cauchemars se réalisaient.

— 9…

Non ! Toute sa vie semblait partir en fumée. Des flashes jaillirent sous son crâne. Stéphane qui saute du train. Stéphane qui freine sans raison. Stéphane, en morceaux. Ces endroits inconnus, qu’il paraissait pourtant connaître. Et s’il n’avait jamais été fou ? Et s’il avait réellement eu toutes ces visions ?

« Tu es en danger Sylvie. Le tueur va s’en prendre à toi », lui avait-il dit en l’emmenant de force dans la voiture.

Elle n’écoutait plus, elle savait que le 14 allait sortir. Immanquablement.

— Et pour finir, le numéro 14…

Elle lâcha son rouleau sur le sol, fonça dans la cave et, dans l’obscurité, inversa rapidement les bouteilles de vin, comme si, subitement, elle pouvait contrer les rêves, changer le cours des choses, alors que son mari s’y escrimait, dans l’incompréhension, depuis des années et des années. Pourquoi venait-elle de positionner la statuette comme dans le rêve, alors que, justement, Stéphane avait brisé sa jumelle ? Pourquoi avait-elle d’ailleurs acheté des jumelles ? Tout n’avait-il pas été prévu dans ce sens ? Elle se prit la tête dans les mains. Devenait-elle cinglée, elle aussi ?

Une certitude l’envahit. Il fallait appeler ce lieutenant, Victor Marchal. Lui expliquer que Stéphane n’avait rien d’un malade mental. Que, sans doute, il possédait une certaine forme de don, de sensibilité. Que ses rêves devaient être mêlés à leur histoire, leurs meurtres incroyables. Elle fonça de nouveau dans Darkland pour y chercher le numéro du policier, se rua sur un tiroir, mais quelque chose la bloqua dans sa course.

L’odeur. Cette terrible odeur de cadavre, qui émanait à présent de Darkness.

Sylvie se retourna, le cœur à l’envers. Ses yeux parcoururent alors l’espace obscur : les bocaux, le vieux matériel entassé, les six monstres, couverts de…

La jeune femme cessa de respirer. Darkness la fixait avec ses pupilles abominables. Son drap avait disparu. Comme l’indiquait le message sur le mur.

Alors, incapable de bouger, Sylvie compta les fantômes recouverts. Un… Deux… Trois… Quatre… Cinq… Et six…

Il aurait dû y en avoir seulement cinq.

Lentement, l’un des draps se mit à remuer et progresser vers elle, oscillant comme une marionnette.

Sylvie voulut s’enfuir, mais le fantôme fondait déjà sur elle et l’enveloppait dans une dernière danse macabre.

58. MERCREDI 9 MAI, 23 H 23

Wang et Mortier sortirent de la salle d’interrogatoire, en nage, le front plissé et les yeux lourds. Vic patientait dans le couloir, les mains dans les poches.

— Alors ? demanda-t-il.

Wang haussa les épaules.

— J’ai jamais vu ça. Il hurle pour parler à sa femme, il ne cesse de répéter qu’elle va mourir. Pire qu’une bête furieuse, ce type. On aurait beau le torturer à mort, il ne nous dirait même pas son âge.

— Torturer à mort, ça te connaît, non ? Ton tatouage effacé au laser, le dragon… L’ancienne mafia chinoise…

— Ferme ta gueule !

Alors que Wang s’éloignait, le regard mauvais, Vic s’adressa à Mortier :

— Il faut envoyer quelqu’un chez la femme de Kismet, tout de suite.

— Tu t’y mets, toi aussi ? On vient de le faire, pour le calmer un peu. On l’a aussi laissé appeler là-bas. Sylvie Kismet n’a pas répondu, mais ce taré lui a laissé un message. En substance, quelque chose comme : « La police va bientôt arriver, mais tu dois fuir maintenant, ou il va te tuer. Il va te tuer avant 2 h 35 du matin ! » Sacrément allumé, non ?

Vic regarda sa montre. 23 h 41.

— Quand est partie la patrouille ?

— Elle ne devrait pas tarder à arriver.

— Pourquoi on ne le relâche pas, bon sang ? Joffroy vient juste de me dire qu’il possédait un alibi pour la mort de Liberman.

Mortier alluma une cigarette. Des câbles électriques gisaient sur le sol.

— On en a eu la confirmation voilà tout juste une heure, il traînait bien dans un bar à Lamorlaye, le soir du meurtre. Il n’est effectivement pas coupable. Comme sa femme refuse de porter plainte pour cette escapade en Ardèche, alors oui, on devrait bientôt le libérer. Elle ne veut pas que la justice vienne interférer avec les procédures qu’elle a lancées. D’après ce que j’ai compris, demain, elle le fait interner, il ne manque plus qu’une signature. L’hôpital psychiatrique, direct.

— On doit le relâcher ! Maintenant !

— Non. Sa femme ne veut plus l’avoir sur le dos avant son internement. On a trouvé un petit motif pour le garder, genre effraction. Pourquoi tu t’intéresses tant à lui ? Ton appel, sur son portable… Qu’est-ce que ça veut dire ?

Piégé, Vic décida de la jouer franc jeu. Il bouillait intérieurement.

— Il avait prédit que mon bébé allait mourir, forcément, ça crée des liens. Il ne vous est jamais venu à l’esprit que ses intuitions pouvaient être réelles ? Que son épouse pouvait vraiment être en danger ?

Mortier le fusilla d’un regard noir.