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— On tient quelque chose, Stéphane. Pour la première fois depuis le début de cette affaire, on tient quelque chose de concret. Et c’est grâce à toi. Grâce à toi, tu m’entends ?

Stéphane leva un regard triste.

— Plus rien n’a d’importance… Tout ce que nous avons voulu éviter n’a servi qu’à… le créer… Je ne suis qu’un point qui avance sur un anneau sans fin.

— Non, rappelle-toi, ton coup de fil passé depuis la brigade, vers 23 h 00. Le téléphone a sonné dans ta chambre, et l’assassin a entendu le message adressé à ta femme. Ça l’a fait paniquer. Et il a commis des erreurs.

Stéphane n’écoutait pas vraiment, son expression était vide. Sylvie, morte…

— Dans la panique, il a laissé un sac à dos avec une boîte hermétique, remplie de viande putréfiée. Des morceaux de charogne.

— Des… Des charognes…

— C’est de là que provient l’odeur abandonnée sur les scènes de crime. Tu as changé le futur, Stéphane. Tu as vraiment changé le futur. Tu vas peut-être empêcher qu’il y ait de nouvelles victimes.

— J’ai regardé les photos des autres cadavres, dans mes rêves, répondit Stéphane d’une voix éteinte. J’ai vu les tortures infligées à ces femmes. C’est ce qu’il a fait à Sylvie, hein ?

— Non, non. Ce n’était pas pareil ici… Il n’a pas eu le temps. Ta femme n’a pas souffert. Je te le jure.

Stéphane s’étrangla dans un sanglot, puis désigna les phrases, sur le mur de la cave.

— J’ai noté ça, mais… mais je sais que ça ne servira à rien. Si je n’ai rien pu changer, c’est que… le Stéphane du passé, le moi d’il y a une semaine, ne changera rien non plus. Rien n’a pu être empêché, ou même dévié. Tout ceci est… vain.

60. JEUDI 10 MAI, 06 H 54

Plus rien n’existait. Juste quelques sons lointains, accompagnés des premières lueurs du jour. Stéphane se releva lentement du sofa, la tête douloureuse, les yeux gonflés et brûlants. Lorsqu’il aperçut le visage blanc et tiré de Vic, en face de lui, tout lui revint d’un coup, comme une avalanche sous son crâne. Il resta là un bon moment, sans bouger.

Il voulut empoigner la bouteille de whisky sur la table basse, mais Vic l’en empêcha.

— Non, Stéphane.

— Et maintenant ? Qu’est-ce que je deviens ? On m’emprisonne ? On m’interne ? On ne me laisse même pas enterrer ma femme ?

Le flic se frottait les mains nerveusement. Les équipes avaient quitté la demeure.

— Rien de tout ça. On va faire ce qu’on fait d’ordinaire. Contacter des organismes d’aide aux familles, et…

— Non, je n’en veux pas. Je ne veux plus entendre parler de psys, de médecins, d’hôpitaux. Plus jamais…

— Tu n’as pas de famille, d’amis ?

— Des amis ? De la famille ? Je ne sais même pas d’où je viens. J’ai grandi dans une famille qui n’était pas la mienne, chez des parents qui m’ont pris pour un fou et ont fini par me rejeter.

— Et du côté de ta femme ?

— Elle ne parlait plus à grand monde, à cause de moi. Je… Je vais appeler un de ses frères, un type à qui je n’ai pas parlé depuis des années. Il faut qu’il s’occupe de tout ça. Je ne pourrai pas… Pas tout seul.

Le lieutenant de police passa ses deux mains sur son visage. Il crevait de fatigue, et Céline rentrait en début d’après-midi de l’hôpital.

— Même si cette maison est gigantesque, tu ne peux pas rester ici, dans le lieu où ta femme a été tuée. La chambre a été scellée, et ce n’est pas bon pour toi. Tu devrais peut-être partir à l’hôtel quelques jours, tu…

— J’ai passé ma vie à côtoyer l’horreur, je… je suis un monstre moi-même, tous ceux qui m’approchent me détestent ou décèdent. Laisse-moi tranquille, s’il te plaît.

Stéphane se leva et se dirigea vers la cuisine. Il s’empara de deux aspirines et de la boîte d’antidépresseurs.

— Sylvie était toujours assise là, sur cette chaise. Je ne la regardais même plus, et maintenant qu’elle est morte, je ne vois plus qu’elle. Je… Je sens son parfum, je la vois passer son glaçon sur ses lèvres, comme elle le faisait chaque matin, à la même heure, dans l’un de ses jolis tailleurs.

Il se tourna vers le flic, alors que le chat s’approchait de sa coupelle de lait vide.

— Que va-t-il se passer pour Sylvie ? Quand ? Quand pourrai-je récupérer son corps ?

— Je vais veiller à ce que l’institut médicolégal et les pompes funèbres s’occupent de tout.

— Retourne auprès de ta femme, elle vient de perdre son bébé. Je te remercie, mais ça va aller…

— Non, ça ne va pas aller.

— Et puis, tu as du travail, tu…

Vic soupira.

— Je vais sans doute être viré de l’enquête. Ils sont descendus à la cave, ils ont vu les phrases, sur les murs. La manière dont tu décrivais les victimes, cette histoire de défaut de pellicule… J’ai raconté que je t’avais tout expliqué, même les infos confidentielles. Pour te protéger.

— Quoi ? Mais…

— Je t’ai couvert pour tous les détails. Les scènes de crime, les suppositions, les avancées de l’affaire. Tout. Avec les notes sur les murs, c’était le seul moyen de ne pas faire de toi un complice de l’assassin. Le commandant m’avait déjà donné un avertissement, parce que… j’avais envoyé des photos à un ami médecin… Pour moi, c’est quasiment fini, je ne vais pas faire de vieux os à la première division, ni même dans la police.

— Je… Je suis désolé de t’avoir mis dans cette situation. Avec Siriel, puis maintenant…

— Merci à toi de n’avoir rien lâché pendant l’interrogatoire.

— Pas compliqué, ils me prennent vraiment pour un taré.

Vic serra les mâchoires.

— Siriel savait. Il connaissait l’identité de l’assassin, il possédait un film qui aurait sans doute répondu à toutes nos interrogations. Cet homme, c’était le mal incarné.

Stéphane esquissa un sourire triste.

— On est liés maintenant, dans… le malheur.

Il jeta un regard distrait vers son portable qui vibrait. Un nom : « Duval ».

— Mon ami physicien… La dixième fois qu’il appelle, peut-être. Sans doute a-t-il gagné au loto. Ils étaient deux, d’après la radio. Tout ça est tellement ironique. Et maintenant, laisse-moi seul. J’ai… J’ai besoin de faire le vide. J’ai tué ma femme… Je n’ai rien pu faire pour la sauver.

61. JEUDI 10 MAI, 10 H12

Elle était morte. Bel et bien morte. Ce n’était plus seulement un cauchemar. Rien ne la ramènerait. Jamais. Comment survivre à cette souffrance ?

Assis sur les marches du perron avec des feuilles et un stylo, mais incapable de rien écrire, Stéphane avait l’impression qu’il commençait à peine à réaliser ce qui était arrivé. Il laissa le soleil réchauffer son visage, ce qui lui fit un bien immense. Puis il se leva et s’avança dans ce vaste domaine, où les oiseaux chantaient, les arbres bruissaient. Le printemps était magnifique aujourd’hui. Il s’éloigna, dans Lamorlaye, le long des paddocks ombragés, entre le bleu du ciel, le vert des feuilles et le rouge de la terre. Des enfants prenaient des leçons d’équitation, bien droits sur leur monture. Il songea brutalement à Mélinda, la petite fille de Méry-sur-Oise.

Il regarda sa montre, puis fouilla dans ses poches. Plus de carnet de rêves. Brûlé chez Siriel, avait expliqué Vic. Il serra les poings, ferma les yeux et tenta de se souvenir, à demi abruti par les cachets, par l’alcool. Dans son deuxième songe, il roulait en direction de Sceaux, l’avis de recherche passait alors à la radio, le soleil déclinait, la lune escaladait la voûte céleste. Il devait être 19h 00,19h 30. Restait donc grand maximum sept ou huit heures avant le flash radio. Peut-être était-il déjà trop tard.