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— Le coup de fil a pourtant été donné une demi-heure plus tard !

— Qui sait ? Kismet a peut-être agi avant de téléphoner, histoire de semer le trouble. L’autopsie confirmera l’heure du décès. Bref, juste après cette menace, tout s’emballe. Sans l’ombre d’une hésitation, on lance le plan enlèvement. Pourquoi si vite ?

Parce que le week-end dernier, le bureau du directeur de l’école de Mélinda a été fracturé, les dossiers scolaires ont été fouillés. Dès le plan lancé, deux appels remontent : celui d’une directrice d’école, signalant le comportement inquiétant d’un type aux longs cheveux noirs, à la recherche d’une certaine Mélinda, samedi dernier. Puis, aussi, celui du buraliste habitant face à la maison des Grappe. Il se souvient de quelqu’un qui correspond parfaitement au signalement de Kismet, il avait joué le ticket gagnant du loto avant de se sauver précipitamment ! Vous n’en avez pas entendu parler à la radio ?

Vic tenta de rester impassible. Il n’avait pas pu jouer la combinaison.

— Non, je… je n’ai pas entendu.

— Six numéros, en multiple. Le ticket a fini entre les mains d’un gars qui passait là par hasard, alors que Kismet sortait en courant ! Pas de chance pour Kismet, ce coup du loto, hein ? De quoi le mettre en rogne.

— Plutôt, oui.

— Ça expliquerait son geste, vous ne croyez pas ? Genre le type qui apprend qu’il a perdu son billet et pète les plombs.

— Des suppositions, juste…

— Bref, en parallèle, on remonte à l’endroit d’où provenait l’appel passé à madame Grappe. Il s’agit d’une cabine de Lamorlaye.

Vic serra les mâchoires, ce qui n’échappa pas au regard du capitaine. Le gendarme poursuivit :

— Tout naturellement, on contacte la gendarmerie de la ville. Et là, un brigadier se souvient lui aussi de quelqu’un qui correspond parfaitement au signalement qu’on lui donne. Il nous a instantanément dirigés vers Stéphane Kismet. On a eu de la chance, Kismet était venu à la gendarmerie pour une drôle d’histoire de vélo volé quelques jours auparavant, le recoupement a été très rapide.

Vic se sentait de plus en plus mal à l’aise.

— Cela ne fait pas forcément de lui le coupable, fit-il remarquer.

— Non, mais ce n’est pas fini. Hier, toujours, vers 17h00, quatre gendarmes descendent chez Kismet, l’un d’eux se fait agresser et Kismet prend la fuite. Drôle de réaction pour un gars qui n’aurait rien à se reprocher, non ? Et, comme si le nombre d’éléments l’accablant n’était pas suffisant…

Il s’avança vers un renfoncement dans la roche.

— A cet endroit précis, nous avons découvert un couteau. Certaines empreintes sur le manche sont identiques à celles retrouvées au domicile de Kismet. Avec une preuve pareille, vous auriez encore des doutes ?

— Certaines empreintes, dites-vous ? Une idée de l’origine des autres empreintes ?

— Peu importe. Quand on tiendra notre homme, il nous éclairera.

Vic était sonné. Il sortit de la carrière avec l’impression d’étouffer. Il respira un grand coup, les mains sur les genoux. Son téléphone sonna. L’écran affichait « S. Kismet ». Il s’éloigna et décrocha nerveusement.

— Stéphane ?

— Oui…

— Qu’est-ce que tu fiches, bon Dieu ? Où es-tu ? La police te recherche partout !

Faible, presque chancelant, planqué dans son hôtel, Stéphane peinait à tenir son téléphone. Il crevait de soif, de faim, et il était à deux doigts de s’endormir. Tout s’embrouillait dans sa tête, il ignorait si Stépas avait déjà rêvé, s’il allait le faire. Et Vic qui parlait, qui l’exhortait à se rendre à la police, qui lui reprochait aussi de n’avoir pas pu sauver sa femme, avec ces histoires de science foireuse, de quarante-six, de quarante-sept.

Stéphane inclina la tête, songeur. Quarante-six, quarante-sept… Les chromosomes ! Les chromosomes du caryotype humain !

A cet instant précis, au beau milieu de leur dialogue, le cœur de Stéphane s’emballa subitement : il avait déjà entendu ces paroles-là, mot pour mot. Dans un rêve passé. C’était là, maintenant ! Stépas rêvait probablement en ce moment même !

De violents coups à la porte l’empêchèrent de dire quoi que ce soit. Il raccrocha, en état de panique.

A l’autre bout de la ligne, Vic resta un temps sans réaction, le portable au bout des doigts. Derrière lui, le capitaine claquait ses chaussures pleines de boue contre la roche. Le jeune lieutenant regarda ses baskets, couvertes de boue elles aussi. Une évidence se dessina dans sa tête.

Il courut alors vers l’homme en uniforme.

— Ce gamin qui jouait avec Mélinda, Arthur !

— Oui ?

— Donnez-moi son adresse !

La femme qui ouvrit la porte avait une mine grave et des yeux lourds. Il flottait quelque chose de sévère, d’autoritaire dans son regard. Vic se présenta et lui demanda où se trouvait Arthur.

— Mon fils ne quitte plus sa chambre depuis la mort de Mélinda, raconta-t-elle. C’est monstrueux, j’espère qu’ils vont très vite coincer ce salaud.

— Je peux parler à votre fils deux minutes ? demanda Vic en s’avançant légèrement.

— Oui, mais rapidement alors. Il est déjà assez perturbé comme ça.

Il pénétra dans l’entrée.

— Je voudrais voir les chaussures qu’il portait hier, quand il est allé jouer dans le parc avec Mélinda.

Elle fronça les sourcils.

— Pourquoi ?

— Une petite vérification de routine.

— Ah, la police. Toujours à vérifier après coup. Vous feriez mieux d’être ailleurs, en ce moment, au lieu d’embêter mon fils.

— Peut-être, madame. Peut-être…

Elle revint avec une paire de baskets. Vic remarqua immédiatement la boue qui les couvrait. De la terre pas encore tout à fait sèche.

— Cette terre… Il n’a pourtant pas plu hier.

— Et alors ? Que voulez-vous ?

— Si je pouvais voir Arthur à présent.

— Vous pouvez, oui.

Elle l’accompagna jusqu’à la chambre du gamin. Arthur jouait avec un circuit automobile. Quand il aperçut Vic, il se courba, serra ses mains sur sa manette et fit accélérer son petit véhicule bleu sur le grand huit.

— Dis bonjour au monsieur ! s’écria la femme d’un air très dur.

Arthur leva un regard craintif. Vic se retourna.

— J’aimerais rester seul avec lui, si cela ne vous dérange pas.

La mère hocha la tête puis ferma la porte.

— Arthur, je suis policier, et si je me trouve ici, avec toi, c’est pour comprendre ce qu’il s’est vraiment passé, hier.

Le garçon se replia plus encore sur son circuit. Il ne répondit pas.

— Arthur ? Tu as joué dans le parc avec Mélinda, hier ?

— Oui, répondit-il sans relever la tête.

— C’était ta meilleure amie, Mélinda ?

— Ma meilleure…

Vic s’accroupit. Il regarda le véhicule tourner en rond, indéfiniment, sur le huit formé par le circuit.

— Tu sais qu’un homme risque d’aller en prison, parce qu’on croit qu’il a fait du mal à ton amie ?

— C’est bien fait.

— Cet homme, je le connais, c’est une personne très gentille, extraordinaire, et jamais il ne ferait de mal à un enfant. Alors, tu sais pourquoi il aurait fait du mal à Mélinda ?

— Non.

Vic arracha la voiture électrique de son circuit. Arthur releva ses yeux bleus.

— Tu es allé à la carrière Hennocque avec Mélinda, hier, n’est-ce pas ?

Le garçon lança un œil vers la porte fermée. Ses lèvres se crispèrent.

— Non, c’est pas vrai, protesta-t-il d’une voix volontairement basse. Maman m’a interdit d’aller là-bas ! Jamais je ne désobéirais à maman !

Vic se retourna, fixa la porte et considéra de nouveau Arthur.

— Et ta mère te disputerait si tu y allais ? Tu serais sévèrement puni, hein ?