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Stéphane se frotta le menton, sceptique.

— T’avais sans doute mal fermé ton coffre. Ton sac, on te l’a piqué, peut-être pendant qu’on était à l’hosto. Dans tous les cas, elle est paumée. Eh merde !

Stéphane se mit à aller et venir nerveusement. Il claqua soudain des doigts.

— Tu vas sûrement m’en vouloir à mort. Mais il va falloir que tu repasses à Saint-Denis pour avoir une autre copie. Après, on file à Lamorlaye.

Vic eut un regard noir.

— Tu te fiches de moi ?

— Je t’en prie, fais ça pour moi. C’est la dernière chose que je te demanderai, je te le jure. Cette cassette, il faut qu’on la visionne le plus vite possible. C’est un œil grand ouvert vers le passé. Vers Stépas…

70. SAMEDI 12 MAI, 19 H 00

On frappa à la porte d’un réduit d’à peine six mètres carrés, aménagé en laboratoire photo et salle de montage vidéo.

— Je peux entrer ? demanda une voix féminine.

L’homme ôta son casque audio et se retourna brusquement. Son front se couvrit instantanément d’une pellicule de sueur.

— C’est fermé, je vais sortir. Deux minutes, d’accord ? Des photos sont en cours de développement.

Très rapidement, l’individu éjecta le DVD de son banc de montage et le rangea dans une boîte métallique qu’il ferma à clé. Puis il s’empara de trois films huit millimètres, de radiographies, de documents médicaux et fourra le tout dans un tiroir. Derrière lui, des photos noir et blanc de paysages et d’animaux étaient suspendues à un fil par des pinces, mais elles étaient déjà sèches depuis longtemps.

L’individu s’essuya le front avec le bas de son tee-shirt et s’approcha de la porte.

— Tu as éteint ? demanda-t-il.

— Oui, c’est bon.

Il déverrouilla, sortit et referma la porte derrière lui. Puis il s’approcha d’un interrupteur et alluma, dévoilant une vaste pièce, très haute, qui ressemblait à un vieil atelier, avec toutes sortes d’outils et du matériel de bricolage. Fer à souder, scies, haches, quincaillerie diverse. Il n’y avait aucune fenêtre, juste un escalier qui partait vers l’étage supérieur.

Il se retourna vers sa femme.

— Je t’ai déjà dit de ne pas venir me déranger ici.

Elle lui tendit des produits antiseptiques.

— Tiens, les voici.

Il ne la remercia pas. Il baissa son pantalon militaire, ôta une compresse et observa la large cicatrice dans sa chair, le long de sa cuisse gauche. Les quatre points de suture soigneusement réalisés n’avaient pas empêché une petite infection sur l’extrémité supérieure de la blessure. L’homme la nettoya avec soin, appliquant minutieusement un tampon imbibé de Bétadine.

— Tu aurais quand même dû aller à l’hôpital, lui reprocha sa femme, tu n’es pas médecin. Après une semaine, ça aurait dû cicatriser mieux que ça.

— J’ai déjà vu pire, non ?

Il plaça les pansements propres rapportés par son épouse dans une petite pochette en cuir, attachée à sa taille par une ceinture.

— Tu as reçu mes nouveaux kits de suture ? demanda-t-il.

— Pas encore.

Sa femme allait et venait, le regard soucieux.

— Je suis inquiète, avoua-t-elle. Tu te blesses de plus en plus, et c’est à chaque fois plus grave. Cette entaille-là aurait pu te tuer.

— C’est pour cette raison que les kits de suture existent.

— Mais imagine ! Imagine seulement que…

— Il n’y a rien à imaginer. Laisse-moi, à présent, j’ai du travail avec mes photos.

La femme voulut s’approcher, mais il tendit une main ouverte devant lui.

— Laisse-moi, j’ai dit.

Elle n’insista pas. Mieux valait en rester là.

A peine eut-elle disparu que l’homme partit s’enfermer dans son laboratoire. Il se fichait bien des photos, suspendues là depuis des jours sans que son idiote de femme s’en aperçoive.

Non, ce qui l’intéressait par-dessus tout, c’était le DVD.

Il le sortit de nouveau de sa boîte métallique et le glissa dans un lecteur.

Puis, il remit son casque, augmenta un peu le volume et fit défiler le film monté.

Sa langue courut sur ses lèvres.

Le film était splendide.

71. DIMANCHE 13 MAI, 00 H10

Il était presque minuit quand les deux hommes pénétrèrent dans la maison de Lamorlaye, avec, enfin, une copie de la cassette de surveillance en leur possession. Vic ne comprenait pas comment Stéphane Kismet réussissait encore à vivre dans la demeure où sa femme s’était fait sauvagement assassiner. Apparemment, il n’avait pas oublié de faire le plein d’alcool. Le réfrigérateur était rempli de canettes de bière, et quatre bouteilles de whisky – dont une déjà vide – reposaient sur la table de la cuisine.

Stéphane décapsula deux canettes et en tendit une à Vic, qui tenait la cassette vidéo dans la main.

— Plus j’y pense, et plus je me dis que notre quête n’a aucun sens, fit le flic. On ne peut pas ramener les morts. Tout comme le contenu de cette cassette ne peut pas changer.

Stéphane engloutit sa bière à une vitesse impressionnante. Il s’en ouvrit une seconde.

— C’est ce qu’on va voir. Amène-toi.

Une fois dans le salon, Vic ôta son blouson et s’assit dans le canapé. Il s’alluma une cigarette et souffla la fumée par le nez. Stéphane n’en démordait pas, il voulait y croire encore. Il plongea la cassette dans le magnétoscope et rembobina avant d’appuyer sur « play ». Sur le téléviseur, la bande se mit à cracher ses images en plan fixe. Stéphane accéléra par à-coups, jusqu’à ce que l’heure au bas de l’écran s’approche de 21 h 55. À 22 h 00 précises, on vit soudain l’assassin se faufiler par le trou dans le grillage en direction de l’usine, puis sortir du champ visuel.

— Je la connais par cœur, c’est exactement le même scénario, dit Vic en se redressant. D’ici quelques minutes, il va pleuvoir des cordes, puis notre homme va ressortir et disparaître. Ni vu, ni connu.

Il s’empara d’une nouvelle bière que Stéphane avait rapportée et en descendit une bonne moitié.

— Tu vois ? Rien n’évolue vraiment. Ce qui est passé ne peut être modifié.

Il pompa longuement sur sa cigarette avant de l’écraser dans une capsule avec un geste de dégoût. Puis il fixa Stéphane avec un air triste.

— Je vais repartir pour Avignon. Je vais reprendre des études de psychologie, un ou deux ans, puis je travaillerai dans le cabinet du frère de Céline. Je vais arrêter de boire, de fumer, de me transformer en cadavre. Je… Je ne peux plus bosser dans la police après ce qu’il s’est passé chez Siriel, avec… ce que je cache… Sans oublier cette douleur dans mon bras, qui me bouffe la vie à chaque fois que je tiens une arme. Je dois quitter cette ville. On va revendre notre appartement hors de prix et habiter une petite location dans le Sud. Avec l’argent qui nous restera, on pourra tenir, le temps que tout aille mieux.

Stéphane ne répondit pas, mais son regard signifiait qu’il comprenait. Le jeune lieutenant termina sa bière et, d’un mouvement du menton, désigna le téléviseur.

— Ça va arriver…

Lorsque l’horloge incrustée au bas de l’image indiqua 22 h 10, une silhouette franchit le trou, direction la sortie. En cours de route, elle se retourna vers l’usine, comme essoufflée. Et quand elle poursuivit sa course, elle ne prit pas garde aux tiges métalliques qui sortaient de vieux blocs de bétons entassés à proximité du grillage. L’homme chuta lourdement. Il disparut alors du champ. Impossible de savoir s’il s’était relevé ou pas.