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Vic se pencha en avant, les sourcils froncés.

— Attends ! Ce passage est complètement différent de ce que j’ai vu la première fois ! Rembobine !

Mais Stéphane ne quittait plus l’écran des yeux. Car son double passé – même si on ne reconnaissait absolument pas Stéphane à cause de sa casquette et parce qu’il ne levait pas les yeux vers la caméra – venait d’apparaître dans l’angle de l’image. Il s’approchait à son tour du grillage et passait lui aussi par le trou avant de disparaître en marchant, les mains sur les côtes.

Stéphane se leva d’un bond.

— Ça a marché ! Il est allé à l’usine d’équarrissage ! Même s’il a laissé l’assassin se tirer, il a compris le message ! Il sait que tout ceci est vrai !

Vic se redressa également, abasourdi, tandis que Stéphane s’emparait d’une troisième bière et la levait devant lui, s’adressant au plafond.

— Bien joué, mec ! Tu as réussi ! A ta santé !

Il considéra Vic avec une pointe d’espoir au fond des yeux.

— On a réussi à changer quelque chose !

Le lieutenant restait perplexe.

— Peut-être oui, répliqua-t-il, perturbé par ce qu’il venait de voir. Mais les meurtres ont quand même eu lieu. Il faut qu’on se résigne, une bonne fois pour toutes. Ce qui est mort est mort. Pour toi, comme pour moi… Je vais remettre la cassette à mon commandant, peut-être qu’elle les aidera à s’en sortir. Si le tueur s’est blessé, il a sans doute perdu du sang, ils pourront alors faire des analyses ADN. Mais je veux vérifier quelque chose avant…

Il s’empara de la télécommande et fit dérouler la cassette en retour accéléré. À « 21 h 32 », on voyait un homme avec une casquette pénétrer dans l’usine.

— On ne te reconnaît pas là-dessus, ni quand tu entres, ni quand tu sors. Tu ne seras pas ennuyé par les collègues.

Stéphane perdit son enthousiasme. Vic avait raison. Une partie du message était sans doute passée, mais en définitive, rien n’avait changé.

— J’y vais, dit le flic en éjectant la cassette. J’ai encore un peu de route, je tombe de fatigue et j’ai une barre horrible dans la tête. Il faut que je dorme.

— Tu peux rester ici, tu sais ?

— Non, c’est gentil, mais je préfère rentrer chez moi.

Alors que Vic enfilait son blouson, Stéphane lui dit :

— C’est l’enterrement de Sylvie lundi. Je sais que tu ne la connaissais pas, mais…

— Je serai là.

Quand Vic rentra chez lui, il se servit un dernier cognac pour s’aider à s’endormir sans Céline. Elle lui manquait horriblement.

Il ne remarqua pas que le niveau de la bouteille avait mystérieusement augmenté par rapport à la dernière fois…

SIX JOURS ET VINGT HEURES PLUS TÔT…

72. DIMANCHE 6 MAI, 05 H 32

Le rêve avait été stupéfiant. Hallucinant. Stéphane y avait vu Stéfur installé dans le canapé du salon, avec Vic Marchal, en train de boire des canettes et, surtout, de visionner une cassette vidéo. Celle provenant d’une caméra de surveillance qui donnait sur l’usine d’équarrissage ! Une cassette sur laquelle on le devinait, lui, à la poursuite de l’homme au visage monstrueux !

Il s’agissait de son périple de la veille. Sur la vidéo, le fuyard semblait s’être empalé sur une tige d’acier. Stéphane n’avait rien remarqué, à cause de la pluie, des gouttes d’eau dans les yeux, de la douleur dans ses côtes. Mais peut-être y avait-il des indices à récupérer sur place. Il se rua vers sa Ford et démarra en quatrième vitesse.

Une fois garé dans la zone industrielle déserte, Stéphane traversa la rue et observa l’une des pointes d’acier, à côté du grillage. Il repéra la caméra de surveillance, lui tourna le dos et enfonça sa casquette avant de s’approcher. Un morceau de tissu ensanglanté se trouvait accroché à la tige. Peut-être cet échantillon serait-il utile pour la police ? Mais comment le leur transmettre ? Comment leur faire comprendre qu’il s’agissait d’un bout du pantalon ensanglanté du tueur ? Une idée lui traversa alors l’esprit : il allait envoyer l’information de manière anonyme à ce flic, Vic Marchal, en lui signalant l’endroit exact du délit. Il retourna à sa voiture, s’empara de son reflex numérique et photographia sa « scène de crime ».

Il rechercha aussi des traces de sang sur le sol. Mais la pluie de la veille avait tout effacé.

Assis dans sa voiture, il comprenait de mieux en mieux ce qu’il s’était passé. Stéfur lui avait demandé de se rendre à l’usine d’équarrissage afin d’intercepter le meurtrier, puis il avait probablement visualisé la cassette du 5 mai, vers 22 h 00, pour tout suivre presque en direct. Un moyen très astucieux de sauter dans le temps et d’observer le passé.

Stéphane imagina la déception de Stéfur, face à son écran. Car, même s’il disposait de ces photos pour la police, il n’était pas parvenu à éliminer l’assassin.

Mais il ne faillirait pas dans l’autre mission. Ce soir, il se rendrait chez la femme de ce flic et ferait tout pour qu’elle évite son amniocentèse demain. Même s’il fallait pour cela employer la force.

Il rentra chez lui aux alentours de 7 h 00 et se mit à mouler le visage monstrueux du tueur, tel qu’il en conservait le souvenir.

En fin de matinée, il partit pour Méry-sur-Oise et parvint à aborder la petite Mélinda alors qu’elle se rendait à la messe. Il l’emmena à la carrière Hennocque et lui fit tellement peur qu’il était sûr que plus jamais elle ne suivrait un inconnu. Même s’il devait « Rester loin de Mélinda », il ne pouvait avoir empiré les choses.

Ensuite, dans l’après-midi, il glissa une enveloppe kraft dans une boîte à lettres à proximité du poste de garde de la brigade, adressée au nom de Vic Marchal. Elle contenait les photos du morceau de tissu ensanglanté prises à l’usine, ainsi qu’un mot tapé à l’ordinateur : « L’assassin que vous recherchez s’est blessé sur une tige en fer, dont vous trouverez les photos sous ce pli, en face du grillage de l’usine d’équarrissage de Saint-Denis. Il est venu y prendre de la viande en décomposition. Une cassette de surveillance vous donnera la preuve que je ne mens pas. »

A présent, il fallait s’occuper de cette histoire d’amniocentèse. Convaincre l’épouse de Vic Marchal qu’elle perdrait son bébé si elle décidait de la faire.

En se rendant chez elle, il apprit que Marchal était parti pour Lyon. La jeune femme se trouvait donc seule. Cela l’arrangeait, mais leur rencontre se passa pourtant très mal. Il ressortit de l’appartement en colère et frustré. Elle avait affirmé qu’elle ne se rendrait pas au cabinet médical le lendemain matin pour réaliser son amniocentèse. Mais elle avait menti, il le savait.

La main sur la portière de sa voiture, les yeux tournés vers le troisième étage et ses petites fenêtres, il s’interrogea : que faire ? Pouvait-il rentrer tranquillement chez lui et laisser ce bébé mourir ? Il avait lamentablement échoué à l’usine d’équarrissage en laissant filer le tueur, hors de question de tout rater à nouveau. Le Stéphane du futur avait été très clair : il fallait empêcher cet examen par tous les moyens.

Quand il monta dans son véhicule, il n’avait plus qu’un seul nom en tête. Un nom que Céline Marchal avait prononcé quelques minutes plus tôt : Sénéchal. Le nom de son gynécologue.

Le docteur Sénéchal.

Il remit sa casquette et noua ses cheveux en une queue-de-cheval qu’il fit disparaître sous son pull.

Trente-cinq minutes plus tard, il se garait dans une petite rue, Marchait cinq ou six cents mètres en frôlant les murs et frappait à la porte d’une belle maison bourgeoise, au sud d’Issy-les-Moulineaux.