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Siriel inclina la tête, les lèvres serrées. Il passa quelque chose dans ses yeux, de la surprise mêlée à de la haine. Brusquement, il lâcha le DVD dans la cheminée et voulut s’emparer de l’arme posée devant lui, mais un coup de feu retentit. Une balle en pleine poitrine projeta le vieil homme sur le sol.

Le flic se précipita et, avec le tisonnier, poussa le DVD hors des flammes. Il le ramassa. Apparemment, le disque n’était pas endommagé.

Vic se tourna vers Siriel, qui gisait à ses pieds, baignant dans son propre sang. Ses lèvres remuaient faiblement.

— Comment… Comment vous avez su… chuchota-t-il dans un râle.

Les mâchoires serrées, Vic lui écrasa le visage avec sa semelle.

— Je t’ai déjà vu mourir une fois, espèce de salopard. Tu ne t’en sortiras pas mieux maintenant.

Et le vieux rendit son dernier souffle.

Un bruit, derrière la porte.Vicse retourna, à bout de nerfs, à deux doigts de tirer.

Stéphane accourait, haletant. Il s’immobilisa. Alors, celui à qui on avait tout pris, tout arraché, tout volé, s’abattit sur la dépouille du vieil homme, comme un loup affamé, et frappa, frappa encore. Le maigre corps bondissait sous les coups.

— Pourquoi ? Pourquoi, espèce de fumier !

Vic rengaina son arme et tira son ami par le bras.

— Laisse-le. Ça ne sert plus à rien.

Stéphane se redressa, les yeux rouges de colère. Il désigna le DVD que Vic tenait au bout des doigts et se tourna vers un large écran plat.

— Mets-le.

— Tu devrais d’abord me laisser le regarder seul.

Stéphane le lui arracha des mains et partit le glisser dans le lecteur.

Il alluma l’écran.

Ça démarrait. L’impensable.

Comme des flashes subliminaux, apparurent une multitude de séquences, dont certaines n’étaient qu’images fixes, d’autres des fragments à peine plus longs, d’autres encore, de simples inserts, véritables coups de scalpel visuels. Se mélangeaient du noir et blanc, de la couleur, du sépia. De l’accéléré, du ralenti, des fondus. Les victimes aux différents stades de leur calvaire. Entre ces plans s’intercalaient des radiographies de fractures, des photos de plaies, de brûlures. Les deux spectateurs plissaient les yeux, secouaient la tête, voyaient sans voir, entendaient sans entendre. Des sons – bruits de scie, de marteau, hurlements, flammes – accompagnaient les images. Tout n’était qu’explosion de sang, de tripes, de souffrance. Stéphane s’effondra quand il aperçut, un instant à peine, une bouche qui hurlait, dans laquelle on fourrait un chiffon.

La bouche de sa femme.

Puis, quelques secondes plus tard, entre des plans immondes, vint une image de ses grands yeux bleus. Puis une autre de sa poitrine, alors que défilaient de nouveaux supplices, les souffrances d’autres victimes. Puis encore des fractures, des radiographies. Crâne, tibia, poignet en miettes, tandis que des rires d’enfants éclataient, des moqueries, des sifflements. À nouveau, des photos d’un corps de môme, dardé d’aiguilles. Des pleurs, des gloussements. Un fakir qui se transperçait la langue. Des Indiens qui marchaient sur des braises ou se baignaient dans du verre.

Les deux amis restaient figés. Sur l’écran, un visage monstrueux. Une main, posant des chauffages électriques face à un corps trempé. Un gant qui touchait, explorait la chair. Un long souffle de jouissance se mêlait aux lamentations des victimes. Des doigts puissants plongeaient dans un bol de glaçons, malaxaient la chair. Des cris. L’éclat d’un scalpel. Le sang, partout.

Durée du film, deux minutes et vingt-quatre secondes.

L’écran se mit alors à cracher des parasites bleutés.

Vic, à la limite de vomir, s’avança vers le lecteur et arrêta le DVD. Une pulsation battait sous son crâne. Il plaça ses mains sur son visage, incapable de dire un mot. Stéphane se tenait replié sur lui-même, les yeux dans le vide. Il écarta enfin les lèvres pour demander :

— Qu’est-ce… Qu’est-ce que c’était…

Vic le regarda, les larmes aux yeux.

— Un fantasme… Nous… avons vu le fantasme de… Siriel, mêlé à… la souffrance de l’assassin…

Stéphane redressa la tête.

— La… La souffrance de l’assassin ? Quelle souffrance ?

— Je n’en sais rien. Je n’en sais rien, bon Dieu.

Ils restèrent là un moment, inertes. Enfin, Vic se décida à sortir le DVD du lecteur et le mit dans sa poche.

Puis il s’approcha du corps de Siriel, le retourna, déchira sa chemise et enfonça son doigt dans le trou causé par la balle. C’était trop profond. Il dénicha un coupe-papier sur le bureau et, dans une grimace, parvint à récupérer le morceau de métal. Ensuite, il attrapa le tisonnier, prêt à disperser les braises et les bûches enflammées sur le sol.

Stéphane lui agrippa le bras.

— Pourquoi ? Pourquoi tu veux tout brûler ? Pourquoi on… on n’appelle pas ta brigade ?

— Parce que encore une fois j’ai franchi les frontières. Je ne veux pas me retrouver en taule à cause d’un tel monstre, séparé de ma femme et de mon futur enfant. Je veux rentrer à Avignon et reprendre une vie normale. Dis-moi que tu me comprends, Stéphane. Dis-le-moi.

Sans répondre, Stéphane le lâcha, et Vic accomplit son geste destructeur. Au moment où s’élançait la première flamme, il murmura :

— Dans un autre passé, ces lieux ont déjà brûlé une fois. Rendons au destin ce qui lui appartient.

76. MARDI 15 MAI, 02 H 37

Il avait fallu attendre. Attendre que Céline s’endorme pour sortir la copie du DVD et la glisser dans le lecteur du salon. Avant d’appuyer sur la télécommande, Vic ferma toutes les portes, but un grand ballon de cognac, d’un trait, puis il baissa les paupières quelques instants. Quelles sensations curieuses et antagonistes… Voilà une semaine, il venait de perdre son enfant et Céline déprimait à l’hôpital. Et aujourd’hui… Tout était si différent. Certes, ils n’avaient pu ramener Sylvie Kismet, mais le bébé, son bébé, son sang, grandissait dans le ventre de sa femme.

Lorsque l’écran s’anima, les images le frappèrent de nouveau avec une violence phénoménale. Mais Vic se força à endurer le spectacle horrible. Il cherchait le détail révélateur. Qui torturait ces pauvres femmes ? Que voulait exprimer l’assassin dans cette œuvre macabre ? Sa signature, l’empreinte de sa personnalité se dissimulaient-elles dans ce montage infâme ?

Vic faillit éteindre. Pourquoi ne pas envoyer anonymement le DVD à la brigade ? Ils l’analyseraient, progresseraient, découvriraient de nouvelles pistes… Oui, pourquoi pas ?

Cependant, il éprouva le besoin de persévérer. Pour Stéphane. Ce pauvre Stéphane qui, lui aussi, décortiquait une copie de cette abomination, seul, dans sa grande maison.

Alors Vic fit abstraction de tout, et se força à adopter un regard de flic. Aller simple pour l’enfer.

Le film se présentait en un montage vidéo et sonore assez perfectionné. La réalisation était sophistiquée. S’agissait-il du travail d’un professionnel ? D’un amateur ? Chose certaine, il œuvrait dans un endroit secret, à l’abri des regards.

Vic plissa les yeux. Impossible de reconnaître le visage du Matador, il portait un masque en latex – très ressemblant à celui moulé par Stéphane. Jamais on ne le voyait debout ou en plan large. Le film était monté de telle façon qu’on ne pouvait deviner sa taille, ni ses caractéristiques physiques sans un matériel informatique et anthropométrique perfectionné. Ce salopard avait pris ses précautions.

Vic fit défiler de nombreuses fois le film au ralenti, l’analysa séquence par séquence et effectua de longs arrêts sur image. Quelque chose le frappa alors. Les radiographies, dispersées çà et là, succédaient à chaque fois à une scène sanglante et elles avaient toutes un point commun. Les os étaient courts, bien trop courts pour être ceux d’un adulte. Vic s’enfonça plus encore dans son siège. Les tibias, fémurs, clavieules fracturés appartenaient à un enfant. Vic eut l’intuition qu’il s’agissait d’un seul et même enfant. Un squelette malmené, radiographié aux différents stades de son développement. La charpente de l’assassin, sans aucun doute. Mais pourquoi tant de blessures ? Sur l’un des clichés, Vic dénombra dix-huit fractures. Il fronça alors les sourcils, s’approcha de l’écran et zooma au maximum vers le coin inférieur droit.