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— Que penses-tu de mon mobilier ? C’était pour la prochaine petite salope, mais puisque tu es venu jusqu’à moi…

Il fouilla dans un tiroir et, une dizaine de secondes plus tard, s’agenouilla devant Stéphane, leva sa manche et lui fit une injection.

— Voilà… Morphine… Tu seras un peu dans le gaz, mais tu vas voir, la douleur va vite disparaître. Pour l’instant.

— Pourquoi ? Pourquoi vous faites tout ça ? gémit Stéphane.

L’homme se redressa, ignorant la question.

— J’ai entendu ce coup de téléphone, ce message, alors que je m’occupais de ta femme. Comment tu as pu deviner que j’allais agir à ce moment-là ? Et comment m’as-tu retrouvé ?

Le produit agissait déjà. Stéphane se sentait légèrement étourdi, alors que le feu dans son mollet s’éteignait lentement.

— La photo de la petite fille à quatre jambes et… quatre bras que vous m’avez montrée à Dupuytren… Vous êtes allé en Inde… Et c’est… c’est là-bas que vous avez filmé ce vieil homme qui se transperce la langue… sur le DVD.

— Tu es décidément très brillant, même si ça ne m’explique pas comment tu as fait pour l’obtenir, ce DVD, ou comment tu m’as retrouvé à l’usine d’équarrissage.

— Allez vous… faire foutre… Vous êtes un monstre…

Achille Delsart le gifla violemment.

— Non, tu es un monstre ! Comme tous ceux qui viennent s’extasier devant l’abominable ! Ceux qui se moquent, ceux qui rejettent ! Je me souviens du regard de ta femme à Dupuytren, face à ces corps malheureux. C’est ce regard-là qui m’horripile, que je ne veux plus voir. C’est ce regard-là que je punis.

Il rapprocha le fauteuil de torture.

— Pour eux, j’étais devenu un objet d’expérimentation. A l’école, on m’envoyait toujours en première ligne, pour les bagarres. Je me sentais fier, flatté, important, mais on m’utilisait, comme un vulgaire cobaye. On me piquait, on me pinçait, on me plantait des aiguilles, on me brûlait avec des flammes de briquet, pour « jouer », pour « essayer ». On m’a tout fait subir, je ne ressentais pas la douleur, mais ma souffrance intérieure était pire que tout. Et puis Siriel m’a montré la voie. Il m’a fait comprendre qu’aux yeux des autres, je n’étais pas différent d’un John Merrick. C’est d’ailleurs à cette exposition que… que j’ai sélectionné Leroy et Liberman. Car, évidemment, elles étaient venues se repaître devant les photos d’Elephant Man…

Il brillait quelque chose d’indéfinissable dans ses yeux. Peut-être la manifestation du mal absolu.

— Je dois dire que ta femme a été une exception. Elle est morte par ta faute, pour ainsi dire. Si tu n’étais pas venu à Dupuytren, ce jour-là, jamais je ne l’aurais croisée. Et elle serait encore en vie. Triste coup du sort, non ?

Achille regarda sa montre et se tourna vers son fauteuil trafiqué.

— C’est maintenant que les choses sérieuses commencent. Je ne voudrais pas que les effets de la morphine s’estompent avant que tu sois bien installé, ce serait du gâchis.

Stéphane tenta de se lever mais il se sentit vaciller et se retrouva à terre. Il essaya alors de se traîner sur la droite, de fuir en rampant.

— Il est temps d’en finir avec toi, s’écria Achille en actionnant sa scie électrique.

La lame tournait, l’engin hurlait.

— Tu veux goûter à ça ?

Il posa l’outil sur le sol, agrippa Stéphane par l’épaule et le redressa pour l’entraîner vers le fauteuil. Stéphane se sentait mou, inerte, comme extérieur à son propre corps. Mais de tout son poids, il se laissa tomber sur son bourreau et le ceintura de ses bras.

Sous l’effet de la surprise, Achille trébucha, se prit les pieds dans le fil électrique de la scie et chuta lourdement. La lame lui entailla profondément la jambe gauche. Le sang gicla sur le visage des deux hommes.

— Espèce de petit enfoiré ! grogna le tueur, indifférent à la douleur.

Ils roulèrent alors l’un sur l’autre. L’engin électrique sifflait, propulsant des giclées pourpres. Achille prit facilement le dessus. Stéphane n’était plus qu’une forme flasque, vidée de ses forces.

Dans la semi-obscurité, le Matador chercha la scie à tâtons autour de lui. Il réussit à l’attraper mais ne parvint pas à la lever. Il blanchissait déjà, la vie l’abandonnait, le sang coulait comme un fleuve de sa cuisse. Il s’effondra.

Stéphane s’assit sur sa poitrine, titubant, le visage, les vêtements dégoulinant d’hémoglobine. Il était méconnaissable.

Il empoigna la scie de ses deux mains.

— Pour ma femme, fit-il en approchant le disque dentelé des yeux du tueur. Pour elle, et toutes les autres.

Et, alors que Stéphane s’apprêtait à lui cisailler la tête, deux coups de feu retentirent et le figèrent dans son mouvement. L’outil s’écrasa sur Achille. La roue tourna sans s’arrêter dans un bruit sourd…

Stéphane s’écroula sur le côté, il sentit la caresse froide du carrelage sur sa joue. Il flottait dans la brume, il était bien, sans souffrance. Un petit trou rouge lui transperçait la poitrine.

Devant lui, Vic, les traits crispés, se tenait plié en deux, la main resserrée autour de son avant-bras droit.

Le flic releva le front, et un hurlement horrible retentit dans tout le bâtiment.

— Non !

Il se rua vers Stéphane. Dans l’obscurité, face aux formes en mouvement, frappé par la douleur, il s’était trompé de cible. Il avait abattu celui qu’il avait pris pour l’agresseur. Son ami…

Le visage inondé de sang, Stéphane parvint à esquisser un sourire.

— Alors… Alors c’est toi… C’est toi qui a interrompu mes rêves…

Il toussa, avant de reprendre :

— Mais… il fallait bien que moi aussi, je… je sois l’objet de ma propre… malédiction. J’ai rêvé de moi-même, après tout.

— Stéphane ! Non ! Je t’en prie, reste avec moi !

Dans un dernier effort, Stéphane contracta ses doigts dans le dos de Vic.

— Je sais qu’un jour… tout ceci n’aura pas lieu… Je sais qu’un jour… toi et l’un des Stépas, vous réussirez et que Sylvie vivra…

Il souffla lentement, puis il y eut comme un éclair dans ses yeux.

Vic sentit alors la pression dans son dos se relâcher.

D’un geste très tendre, il libéra l’ange qui avait sauvé son enfant.

Et l’embrassa sur le front.

ÉPILOGUE QUATORZE MOIS PLUS TARD

— Jamais je n’aurais pensé revoir cette ville, chuchota Céline avec un peu d’amertume dans la voix.

Vic, au volant, lui massa la nuque d’une main, alors qu’ils s’engageaient sur le périphérique.

— C’est pour la bonne cause. Demain, le Vietnam… Et tes grands-parents. Tu es heureuse ?

— Très. Un arrière-petit-fils, tu imagines ?

La jeune femme se retourna en souriant vers son bébé. Son visage rayonnait.

— Stéphane ne va pas tarder à se réveiller.

Vic se pinça les joues et se frotta les yeux. Certes, la route depuis Avignon avait été éprouvante, une chaleur accablante régnait dans l’habitacle, mais il suait anormalement. La nervosité de prendre l’avion, sans doute. Et cet horrible cauchemar, dont il n’avait qu’un vague souvenir, dans lequel il avait vu ce nombre, 880, incrusté dans le sol avec le chiffre des unités qui tournait lentement. Quand le 0 était devenu 8 de manière à former 888, une gigantesque bourrasque de flammes surgie du ciel était venue carboniser son visage et celui de sa femme, le réveillant dans un cri.

— Profitons encore un peu du calme, alors, se contenta-t-il de répondre.

Une fois garés sur le parking de l’aéroport, ils sortirent leurs bagages et installèrent le bébé dans sa poussette. L’enfant avait de beaux cheveux noirs, comme sa mère, et les iris très foncés de son père.