L’avion était à l’heure, décollage prévu à 17h 12. En ce jour, le 9 juillet 2008, Roissy était bondé. Les destinations se succédaient sur le tableau des départs. Les vacanciers patientaient, pleuraient, riaient, s’énervaient. Un brouhaha envahissait le hall.
15 h 25. L’enregistrement des bagages se déroula sans encombre.
Le couple prit le temps de boire un rafraîchissement dans une cafétéria. Les doigts de Vic tremblaient, des auréoles se dessinaient sur sa chemise. Il fit tout pour que Céline ne remarque rien, mais quelque chose n’allait pas en lui.
16 h45. Au moment où la famille s’apprêtait à embarquer pour le vol 796, on annonça un retard indéterminé.
— Que se passe-t-il ? demanda Céline. Tu n’arrêtes pas de te tripoter les mains.
Vic ne décollait plus les yeux du tableau d’affichage.
— Ce retard m’inquiète, dit-il en se rongeant les ongles. Pourquoi seulement notre vol à nous, juste avant qu’on embarque ? Regarde ! L’avion se trouve là-bas, en face. Pourquoi on cherche tant à nous faire rester dans l’aéroport ? On… On dirait que c’est fait exprès.
Céline soupira.
— Non, ce n’est pas fait exprès. Non, on ne cherche pas à nous faire rester dans l’aéroport. Des retards comme ça, il y en a tout le temps.
— Non. Il se passe un truc pas normal. Je… J’en suis sûr.
La jeune femme lui serra les deux mains. Ces derniers temps, Vic avait été tendu. Il s’était un peu renfermé sur lui-même.
— Je t’en prie, fit Céline. Tu dois arrêter de voir des coïncidences partout, de tout suspecter, de croire sans cesse qu’on te guette.
Vic se mit à observer les gens dans le hall. L’ex-flic de la Criminelle veillait encore en lui. Le bruit environnant lui donnait mal au crâne. Soudain, au-dessus d’eux, le tableau des départs indiqua : « Retard vol 796.18 h 14 ».
— Mince, que se passe-t-il encore ? dit Vic d’un ton paniqué.
— Ce n’est rien… répondit Céline dans un soupir.
Vic ne tenait plus en place. Il partit chercher une autre boisson au distributeur et l’engloutit en quelques secondes. Ça n’allait pas mieux, il tremblait toujours autant. La chaleur était écrasante. Au bout d’une demi-heure, le bébé se mit à pleurer.
A nouveau, l’affichage des départs changea : « Embarquement vol 796 ».
— Tu vois bien, fit Céline.
Très vite, les passagers s’entassèrent devant la zone d’embarquement. La famille Marchal s’inséra dans la file.
Vic ne parvenait pas à se détendre. Il continuait à scruter les visages autour de lui. En se décalant légèrement, il remarqua un homme chauve, resté assis, qui occupait un enfant en lui faisant un tour de magie avec des cartes. L’individu se leva, ramassa ses deux sacs et se dirigea vers la file. Il portait un tee-shirt noir avec une publicité pour un site de poker, « www. 888. com ».
888.
D’un mouvement brusque, Vic s’empara de la poussette, prit sa femme par le poignet et la tira sur le côté.
— On doit sortir d’ici. Tout de suite.
Il se mit à courir en direction du hall principal, avec la poussette et l’enfant. Céline lui emboîta le pas, ahurie.
— Oh ! Que se passe-t-il ? Vic !
— Tout de suite, j’ai dit !
Il passa les contrôles en sens inverse, prétextant qu’il ne pouvait plus prendre l’avion à cause d’une urgence familiale, puis se fraya un passage dans la cohue en accélérant plus encore.
— Vite ! cria-t-il. Dépêche-toi !
Céline courait à sa suite en essayant désespérément de le raisonner, mais il ne l’écoutait plus. Ils arrivèrent en trombe devant l’aire des taxis.
Alors, Vic se sentit envahi par une immense détresse. Tout était bouché. Les routes, les voies d’accès, les parkings. Impossible de quitter les lieux, de s’enfuir. Il arracha le bébé de sa poussette, la laissa sur place et reprit sa course folle. Derrière lui, Céline n’en pouvait plus.
Ils atteignirent enfin un énorme bloc de béton qui délimitait l’arrière d’un parking souterrain. Là, Vic força Céline à s’accroupir. Ils étaient épuisés.
18 h 08. Soudain, la terre se mit à trembler.
La déflagration souffla les vitres avec une puissance phénoménale. Des éclats de verre parvinrent jusqu’à leurs pieds.
Partout on entendait des cris, des hurlements, des claquements de portières, des coups de klaxons. Le hall de l’aéroport sombrait dans un gigantesque nuage de poussière et d’étincelles.
Son fils serré contre lui, Vic redressa lentement la tête. À ses côtés, Céline restait prostrée. Le jeune homme lui caressa délicatement la joue et se mit à pleurer.
Ça lui arrivait.
Il comprit alors pourquoi il avait été mêlé à toute cette histoire.
Il avait toujours été comme Stéphane. Et aujourd’hui, les fiashes se réveillaient.
Un don. Une malédiction.
Je tiens à remercier les éditions Le Passage pour leur soutien.
Merci à Yann qui a su s’immerger dans le texte et m’accompagner sur l’anneau.
Ce n’était pas chose aisée avec cette histoire.
Retrouvez Franck Thilliez sur son site Internet : www. auteursdunord.com