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Off. FKW : Jour 2, huit heures vingt. Monsieur Miesel, je suis l’officier Fredric Kenneth White, Special Operation Command, US Army. Pour des raisons de sécurité, avec votre autorisation, notre conversation est enregistrée. Vous êtes bien Victor Serge Miesel, né le 3 juin 1977 à Lorient, en France ?

VSM : Je suis né à Lille, pas à Lorient.

Off. FKW : Merci pour cette correction, monsieur Miesel.

VSM : Pouvez-vous m’expliquer ce qui se passe ?

Off. FKW : Je suis désolé. Quelle est la raison de votre venue sur le territoire des États-Unis ?

VSM : Je viens recevoir un prix de traduction pour un roman.

Off. FKW : Vous êtes traducteur ? Je vois que vous êtes auteur.

VSM : Je… j’écris aussi des romans, des nouvelles. Et de toute façon, une traduction est une œuvre, les traducteurs sont des auteurs. Bref… Pourquoi me posez-vous ces questions ?

Off. FKW : Pouvez-vous me décrire votre voyage, et surtout les turbulences ?

VSM : L’avion a plongé, nous étions très secoués, le bruit était épouvantable, on a tous cru qu’on allait mourir, et tout s’est arrêté d’un coup. Voilà.

Off. FKW : Travaillez-vous sur un livre en ce moment ?

VSM : Je… je traduis un roman fantastique d’un auteur américain, une histoire de teenagers vampires…

Off. FKW : Mais travaillez-vous sur un livre plus personnel, un livre dont le titre sera L’Anomalie ?

VSM : L’Anomalie ? Non. Pourquoi cette question ?

Off. FKW : Monsieur Miesel, faites-vous de la peinture, de la musique ?

DBM : Non.

Off. FKW : Percevez-vous des sons persistants, agréables, mélodiques ?

VSM : Non.

Off. FKW : Ressentez-vous des maux de tête, des migraines ?

VSM : Non.

Off. FKW : Des irritations des yeux, des sinus ?

VSM : Mais… Vous me faites marcher ! Vous vous croyez dans Rencontres du troisième type ?

Off. FKW : Je ne comprends pas, monsieur Miesel.

DBM : J’ai vu vingt fois le film de Spielberg, je le connais par cœur : vous me posez les questions que François Truffaut pose à Richard Dreyfus, au mot près. Quel est l’abruti qui a rédigé ce questionnaire ?

Off. FKW : J’ignore de quoi vous me parlez. C’est le protocole suivi par la Défense nationale dans ce genre de situation.

VSM : Quel genre de situation ? Vous croyez que j’ai rencontré des extraterrestres ? Et là, vous allez me demander si j’ai des irritations, des coups de soleil sur le front et les joues ?

Off. FKW : Euh… Oui… Donc, vous avez des démangeaisons, ou des brûlures sur le visage ? […]

FIN DE L’INTERVIEW le 2021/06/25 à 08:53

* * *

Extraits de l’interview de Femi Ahmed Kaduna, dit Slimboy

CONFIDENTIALITÉ : Secret-défense / PROTOCOLE : no 42

ENTRETIEN EFFECTUÉ PAR : Charles Woodworth, PsyOp., SOC.

DATE : 2021/06/25 / HEURE : 09:08 AM / LIEU : McGuire Airbase, US Army

NOM : Kaduna / PRÉNOMS : Femi Ahmed / CODE : June

DATE DE NAISSANCE : 19/11/1995 (25 ans) / NATIONALITÉ : Nigeria

POSTE PASSAGER : cabine 2 Economy class / SIÈGE : N04

Off. CW : Jour 2, neuf heures huit. Je suis l’officier Charles Woodworth, Special Operation Command, US Army. Vous êtes Femi Ahmed Kaduna, vous êtes né le 19 novembre 1995, à Ibadan, au Nigeria.

FAK : Oui. À Lagos. Pas Ibadan.

Off. CW : Quelle est la raison de votre venue sur le territoire des États-Unis, monsieur Kaduna ?

FAK : Tout le monde m’appelle Slimboy. Je suis le leader d’un groupe. Les autres musiciens sont arrivés hier. Nous jouons à New York demain. Vous ne pouvez pas me retenir comme ça.

Off. CW : Je comprends, monsieur Kaduna.

FAK : Slimboy…

Off. CW : Quelle est la date de votre concert, Slimboy ?

FAK : Demain, je vous ai dit. À 22 heures au Mercury Lounge.

Off. CW : C’est-à-dire ? la date ?

FAK : Le 12 mars…

Off. CW : Je vais vous faire entendre une chanson : Yaba Girls. Mettez le casque, s’il vous plaît.

INTERRUPTION DE L’INTERVIEW le 2021/06/25 à 09:15

REPRISE DE L’INTERVIEW le 2021/06/25 à 09:19

Off. CW : Connaissez-vous cette chanson ?

FAK : Non. Ce n’est pas mal. Yaba Girls ? Yaba, c’est un quartier de Lagos. C’est un groupe nigérian ? C’est bizarre, ça ne me dit rien.

Off. CW : Monsieur Kaduna, percevez-vous de manière récurrente des sons agréables, mélodiques ?

FAK : Évidemment, je suis musicien. […]

FIN DE L’INTERVIEW le 2021/06/25 à 10:07

DESCARTES 2.0

Vendredi 25 juin 2021,

salle d’hypothèses, McGuire Air Force Base

Les gens fatigués sont querelleurs. Les gens épuisés le sont beaucoup moins. Il est six heures du matin lorsque Adrian, Tina et leurs vingt premiers experts s’installent dans une salle de commandement. À sept heures, au rythme des hélicoptères qui les acheminent vers McGuire, ils sont quarante. Les canapés, les tableaux interactifs sont installés, un soldat branche la machine à expressos.

Une minute suffit à exposer la situation. Suivent dix minutes de questions, et Tina et Adrian se contentent de répéter l’invraisemblable : ces gens dans le hangar sont bien les mêmes que ceux qui se sont déjà posés cent six jours plus tôt, dans le même avion. Le dialogue entre Adrian Miller et Riccardo Bertoni – en lice pour le prix Nobel 2021 de physique pour ses travaux sur la matière noire – résume la situation :

— Vous vous foutez de nous, professeur Miller ?

— Si seulement.

À neuf heures du matin, alors que Tina Wang continue d’animer les réunions interdisciplinaires dans la salle des hypothèses, Adrian revient vers la Task Force. Meredith l’accompagne, ainsi qu’un grand type mince aux cheveux gris et exubérants, aux yeux d’un bleu acier. Silveria désigne un écran de téléconférence où s’affichent des visages connus :

— Professeur Miller, le président des États-Unis est en direct, de Rio, ainsi que les ministres des Affaires étrangères et de la Sécurité nationale.

— Ce phénomène est prodigieux, monsieur le président, commence Adrian en se raclant la gorge, mais comme le disait Arthur C. Clarke, toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. Nous sommes parvenus à dix hypothèses, sept sont des plaisanteries, trois retiennent notre attention, et l’une rencontre l’adhésion de la majorité. Commençons par la plus simple.

— S’il vous plaît, dit Silveria.

— Le « trou de ver ». Je laisse la topologiste Meredith Harper vous l’exposer.

Meredith saisit sur le bureau un crayon noir, une feuille de papier et plie cette dernière en deux. Elle a la nette impression de jouer la scène pédagogique d’un film d’anticipation à très petit budget, mais qu’importe.

— Merci, Adrian. Supposons que l’espace puisse se replier comme une feuille de papier… mais selon une dimension qui ne nous est pas accessible, qui n’est aucune des trois que nous connaissons. Si notre univers est bien régi par la théorie des cordes, c’est un hyperespace en dix, onze ou vingt-six dimensions. Dans ce modèle, chaque particule élémentaire est une cordelette qui vibre différemment des autres, aux dimensions enroulées sur elles-mêmes. Vous me suivez ?…

Le président américain reste bouche ouverte, présentant une forte ressemblance avec un gros mérou à perruque blonde.