Nous savons désormais l’un comme l’autre ce qui « nous » est arrivé. « Tu » m’as quitté, lasse de mon empressement, de mon impatience. J’ai lu ces mails que « nous » avons échangés, les mots d’une autre Lucie qui disent son éloignement d’un autre André, j’ai lu des phrases où je me suis reconnu, dans toute ma fragilité et ma stupidité aussi.
Je vais être bref. Être avec moi n’a jamais été pour toi un choix de raison. Pourtant, tu es venue à moi. Être avec toi était un miracle, et pourtant aussi, je suis parvenu à te perdre.
On a rarement l’occasion de sauver un amour avant même qu’il soit menacé. Je veux avoir une seconde chance avant d’avoir gâché la première.
Je t’aime. Je te serre contre moi, mais pas trop fort.
André
GHOST’S SONG
Music & Lyrics :
Femi Taiwo Kaduna & Sam Kehinde Chukwueze
© RealSlim Entertainment, 2021
Jeudi 1er juillet 2021,
Clyde Tolson Resort, New York
— Voulez-vous entendre à nouveau les enregistrements, madame Kleffman ?
Avril June secoue la tête. Jamy Pudlowski la regarde qui tangue sur son siège, absente. Le jeu, la bouche, le savon, le monde tournoie et chaque mot résonne sans former de sens. La femme du FBI lui tend un verre d’eau, qu’Avril doit reposer, tant ses mains tremblent. Cette histoire d’avion, et maintenant, ça.
— La pédopsychiatre a laissé votre fille parler, elle ne l’a orientée en aucune manière. La confiance s’est installée et Sophia a expliqué chaque dessin, parlé du secret. Vous comprenez ?
Avril est tétanisée. Clark, sa propre fille, le bain, tout en elle se refuse à convoquer la moindre image. April tender, April shady, Avril tendre, avril ombrageux, disait le poème qui n’était pas de Clark. L’officière laisse de longues pauses dans ses explications. Mais chaque fois, elle reprend, avec douceur.
— Madame Kleffman, je m’appelle Jamy. Puis-je vous appeler Avril ?
— Oui, c’est moi, dit Avril d’une voix sans timbre.
Jamy tend à nouveau le verre à Avril.
— Buvez, Avril.
Avril obéit, de manière mécanique. April soft, so sleepy warm, Avril douce, si chaude de sommeil…
— Oui, merci, madame.
— Avril…, dit Jamy. Vous m’entendez ? Votre fille n’est pas détruite. Elle a pu en parler. C’est important, la parole, c’est très important. Les cogniticiens lui ont très longuement parlé, ont évoqué sa peur de l’eau, de l’obscurité, son rapport à son corps. Ils sont rassurants sur les conséquences à court terme du traumatisme qu’a subi Sophia. Mais bien sûr, on ne peut rien affirmer sur son développement futur, madame Kleffman. Nous espérons que tout ira bien.
— … que tout ira bien.
— Voici ce qui va se passer : votre mari va passer en jugement, et au vu du témoignage de Sophia, des Sophia, sans trop m’avancer, il sera condamné. Car, depuis Paris, et pendant ces trois mois… qui vous manquent… votre fille, enfin… l’autre Sophia a de nouveau subi à votre domicile des attouchements. Vous me comprenez ? Dans l’État de New York, dont nous dépendons, la peine encourue pour ce crime est de dix ans à vingt-cinq ans.
— Vingt-cinq ans. Oui.
— Ce pourra être moins, s’il accepte les traitements, le suivi, l’éloignement. Il va falloir expliquer à vos enfants et surtout à Liam, qui sera en colère, contre vous, contre sa sœur, et même contre lui…
— Est-ce que… Liam… ?
— Non. Rassurez-vous. Les entretiens ne laissent aucun doute.