Выбрать главу

– Regarde, il faut d'abord brancher les fils sur l'électricité. Tu préfères le faire fonctionner avec des piles ou directement sur le secteur?

– Avec des piles.

– D'accord.

Le père aligna dans la petite trappe prévue à cet effet les six piles de 9 volts, puis reprit le manuel à la page «installation».

– Il suffit de lire, tout est indiqué.

À voix haute, il énonça:

– «Heureux acheteur du parfait petit maître de l'Univers, il va te falloir avant tout installer ton univers. Nous nommons univers ce petit monde en aquarium désormais à ta charge. Quelques précautions sont nécessaires. Tout d'abord, ne jamais placer son univers près d'un courant d'air ou d'une zone humide. La température idéale est de 19 °C, c'est-à-dire probablement celle de ta chambre.»

Le père et le fils vérifièrent au thermomètre mural si cette première condition était remplie, puis le premier reprit sa lecture.

«Autre protection. Si tu possèdes un chat, protège ton univers en l'entourant d'un grillage. Les chats ne doivent pas toucher à ton monde en gestation.»

L'enfant s'empressa de repousser Suchette dans le couloir. Ils avaient baptisé ainsi l'animal juste pour le jeu de mots: «Ma chatte Suchette.» La féline émit un miaulement vexé, ce n'était pas la première fois qu'on l'écartait au profit d'un gadget. Tant pis, elle ne mangerait pas d'univers. Mais elle savait que l'enfant finissait toujours par se lasser et revenait au plaisir simple de caresser sa fourrure tiède.

Le père continuait à énumérer les mises en garde:

– «Ne pose pas ton univers en équilibre sur le coin d'une commode ou d'un bureau: il pourrait tomber.

«Les parois de l'univers sont solides mais ne tape pas dessus avec un marteau ou un objet lourd.

«Pas de musique trop forte, genre hard rock, à proximité de ton univers.

«Un peu de musique classique de temps en temps aidera ton univers à s'épanouir.

«Il ne faut pas sortir les objets ou les gadgets hors de leur monde.

«Quoi qu'il arrive, ne pas touiller les étoiles.

«Attention: dans l'univers, rien n'est comestible.»

Le père sauta plusieurs pages puis reprit:

– «Une fois que vous aurez inséré les piles ou branché le jeu sur une prise 220 V, vous pourrez commencer à lancer le "début de l'évolution de votre univers". Pour cela, comme on plante une graine dans un pot pour faire pousser une fleur, vous planterez une graine de lumière pour faire pousser vos mondes.

«Cette étincelle se nomme le Big Bang. Vous la déclencherez vous-même grâce au détonateur d'univers. Il ne peut y avoir de propagation d'étoiles sans le Big Bang. Vous trouverez normalement dans toutes les boîtes un percuteur et une amorce à hydrogène. Placez le percuteur sur la paroi gauche de l'aquarium et installez l'amorce à hydrogène dans le réceptacle à Big Bang. Attention, une fois que le Big Bang est lancé, tout processus de retour est impossible. Ne faites pas ça à la va-vite, n'importe comment. À chaque Big Bang correspond un univers. Il est donc particulièrement important de soigner cette première phase.»

– Comment réussir un joli Big Bang? demanda Jess.

Le père se pencha sur la notice.

– «Il faut que l'amorce claque le plus fort possible et que le percuteur soit orienté vers le centre. Si le percuteur est orienté vers les bords, votre univers risque fort de s'écraser sur la paroi de verre comme une figue mûre. Ce n'est pas l'effet souhaité.»

– Je veux essayer! s'exclama l'enfant avec impatience.

– Attends, attends, je n'ai pas tout lu.

Mais déjà Jess, qui estimait avoir tout compris, avait installé l'amorce.

– Non, une minute, ils disent qu'il faut…

Trop tard. Jess avait tiré de façon que son univers parte vers le centre de l'aquarium.

Il déclencha une détonation époustouflante. Le coup de tonnerre dépassa complètement la simple envergure de l'aquarium. Les murs et les verreries tremblèrent. Les tableaux se décrochèrent. Les bibelots vacillèrent. Les livres dégringolèrent en vrac de la bibliothèque de la chambre.

Les voisins du dessus se mirent à cogner avec une chaussure pour faire cesser le vacarme.

La mère accourut pour voir ce qu'il se passait.

Elle découvrit son fils et son mari devant un grand aquarium.

– Qu'est-ce qui a produit ce boucan? demanda-t-elle, sa casserole de purée de brocolis à la main.

– Il a… démarré un monde. Mais je n'ai pas eu le temps de lire la notice en entier et je me demande s'il a opéré correctement son Big Bang.

La mère s'approcha pour mieux observer le cube de verre noir. Une orchidée de lumière se déployait lentement. Sur la corolle de la fleur, des poussières d'étoiles commençaient à scintiller timidement, comme si elles cherchaient à mesurer le volume de l'univers dans lequel elles venaient d'apparaître.

– Oh, maman, tu aurais dû voir comme c'était beau! Dès que j'ai appuyé sur la gâchette, une

étincelle s'est produite et de la poussière blanche s'est répandue…

La mère scrutait le spectacle, fascinée. La fleur de lumière se tordait comme si elle hurlait en silence. Un instant, elle eut l'impression que la fleur vomissait douloureusement les étoiles tapies au fond de son ventre. La poudre de matière et d'énergie palpitait.

– Voilà, annonça le père, tu viens de créer un univers.

– Formidable.

– Mais attention, ton univers ne se développera pas tout seul, n'importe comment, sinon ce serait le chaos. Il faut que tu continues à le surveil1er et à le soigner. C'est un peu comme un bonsaï, tu sais. Il faut retailler son monde, l'ajuster en permanence, ça demande beaucoup de soins.

La mère porta une main à son front.

– Parlons-en du bonsaï, il l'a laissé crever au bout d'une semaine. Et le hamster qu'il a empoisonné en lui laissant manger ses stylos! Vraiment, chéri, tout un monde à surveiller, c'est peut-être un peu beaucoup pour notre chère tête blonde.

– Non, non. Cette fois, ce sera différent, je ferai très attention, jura Jess. Promis.

– C'est ce que tu racontes chaque fois.

– Oh, papa, explique-moi comment on fait pour soigner et surveiller son univers? Dis, comment on s'y prend?

Le père se replongea dans le manuel, puis désigna plusieurs manettes placées sur le tableau de bord contigu au grand bocal-aquarium.

– Dans la notice, ils précisent qu'avec ces émetteurs ondulatoires, tu peux lancer des champs de force dans ton univers.

– Et ça sert à quoi, ces trucs?

L'homme regarda son fils. Il n'en savait rigoureusement rien. Saisissant le manuel, il chercha dans le glossaire l'expression «champ de force».

Mais l'enfant perdait patience. L'enthousiasme du début avait cédé la place à une moue dubitative.

– Oh, papa! je ne sais pas si c'est une si bonne idée de m'avoir offert ce laboratoire très compliqué. J'ai l'impression d'être à l'école des créateurs d'univers. Il faut retenir les lois, les règles, les méthodes, tu parles d'un jeu! J'aurais préféré un train électrique ou une panoplie de cow-boy. Le train électrique, avec sa gare et ses montagnes, c'est aussi un monde, non?

L'enfant fixa de nouveau l'aquarium noir où l'orchidée de lumière continuait de se déployer.

Le père, mécontent de voir son cadeau perdre de son charme, feuilleta nerveusement le manuel. La mère retourna dans sa cuisine en haussant les épaules.

– Quand vous aurez terminé de jouer, vous viendrez dîner. Mon repas refroidit.

Mais le père n'entendait pas renoncer aussi facilement.

– Ah, ça y est! «Champ de force: c'est en quelque sorte la pince qui permet d'agir sur les univers en gestation. Voir: "Exercices pratiques".»

Le père chercha la rubrique en question. Des gouttes de sueur commençaient à perler sur son front.

Payer un jeu aussi cher pour ne récolter que si peu d'enthousiasme, c'était vraiment rageant. Il reconnaissait son erreur, il avait visé trop haut. Le petit Jess n'était pas assez patient.