Elles s'éparpillèrent, cherchant un abri dans les broussailles. Des détonations sifflèrent. Un cri fusa soudain d'un bosquet.
Anaïs rampa jusqu'à Charlotte. Elle était morte.
Marie-Natacha en profita pour viser Anaïs mais son arme était vide. Elle voulut recharger, quand Anaïs fonça tête baissée, l'attrapant par les genoux pour la faire chuter.
Elles roulèrent dans les fourrés. Danse horizontale. Elles se frappèrent, se mordirent, s'arrachèrent des touffes de cheveux.
Un couteau brilla soudain dans la main de Marie-Natacha.
Attention, Anaïs!
Anaïs donna un coup de pied et, d'une ruade, renversa son adversaire. Mais l'autre s'agrippa. À cet instant, dans le regard d'Anaïs passa de l'éton-nement. Dans celui de Marie-Natacha, il y avait déjà du regret.
Anaïs baissa la tête vers son ventre, puis tomba à genoux, les mains serrées sur sa blessure.
– Désolée, dit Marie-Natacha, c'était toi ou moi.
Elle recula, puis s'enfuit en courant.
Non!
Anaïs rampa vers Georges, le poing crispé. Elle se redressa péniblement et murmura:
– Georges… Aide-moi.
Elle tendit sa main fermée vers son ami, et déposa quelque chose dans son cœur.
– Venge-moi.
Puis elle chercha dans sa veste, dégagea son téléphone portable et composa un numéro.
– Allô… La police… Dans la forêt de Fon…tainebleau… Le sentier 4 jusqu'au rocher de la Vierge, et là vous suivez le chemin qui mène sous le rocher de la dame Jouanne… la dame Jouanne.
Elle s'effondra.
Anaïs!!!
Sans toi ma vie n 'a plus de sens.
Tout ce qu 'il me reste c 'est la vengeance.
Si je le peux, oui, je te vengerai.
Trois semaines plus tard, deux policiers surgissaient, encadrant Marie-Natacha dont les poignets étaient menottes d'acier chromé.
Le premier s'adressa à l'autre:
– Que faisons-nous, inspecteur?
– C'est ici qu'on a retrouvé les corps. À présent que nous savons que cette fille appartenait au gang des Louves noires, j'espère découvrir un indice qui prouvera que c'est bien elle qui a tué ses deux complices.
Marie-Natacha toisa les deux policiers avec dédain.
– Je suis innocente.
– Les diamants, mieux vaut trouver autre chose à voler. Ils sont tous répertoriés. Mais voilà, les femmes sont fascinées par les diamants. Ils leur brûlent les doigts. Il faut qu'elles les portent ou qu'elles les vendent. Il serait intéressant d'étudier ce rapport des femmes et du minéral, dit l'inspecteur.
– Peut-être un rapport à la pureté, philosopha le policier. Nous cherchons quoi exactement, inspecteur?
– Un indice. Regardez bien dans les fourrés.
– Vous ne trouverez rien, déclara Marie-Nata-cha en haussant les épaules. Je veux un avocat.
C'est elle. C'est elle l'assassin.
Si seulement je pouvais les aider. Mais comment faire?
Lorsque leur parvint un bruit de camionnette tout-terrain, l'inspecteur sembla soulagé.
– Voilà justement l'homme dont j'avais besoin.
Deux personnes descendirent du véhicule. Dont un homme corpulent, au visage poupin, au crâne marqué d'un début de calvitie, au nez chaussé de petites lunettes dorées. Il examina les lieux et reconnut la jeune fille.
– Bonjour, Marie-Natacha, énonça-t-il simplement.
Elle lui répondit par un mouvement du menton.
Une femme brune suivait le journaliste scientifique.
– Docteur Sylvia Ferrero, annonça-t-il pour présenter sa compagne.
Il pria les policiers de les aider à décharger leur matériel. Pour plus de sécurité, Marie-Natacha eut une main libérée, l'autre fixée par une menotte à une grosse racine.
Toujours secondés par des policiers, Isidore et son assistante commencèrent par installer une table, puis disposèrent plusieurs appareils électroniques aux multiples cadrans connectés à un ordinateur portable. Une grosse batterie fournissait l'électricité nécessaire à l'ensemble de cet attirail hétéroclite.
– C'est quoi tout ce bazar? demanda la suspecte.
– Le galvanomètre sert à mesurer les émotions. C'est l'instrument utilisé notamment pour savoir si une personne ment ou non.
– Vous comptez me passer au détecteur de mensonge? demanda Marie-Natacha, sans rien perdre de son aplomb.
– Non, pas vous, répondit Isidore. Il désigna quelque chose derrière elle.
– Lui.
Tous suivirent son regard, se demandant de qui il parlait. La ligne indiquée par son doigt s'achevait sur une silhouette tourmentée.
Un arbre.
Un arbre ancien, tout tordu.
Ses branches semblaient figées dans une position de yoga compliquée. Ses feuilles bruissaient, chatouillées par le vent. Ses longues racines émergeant parfois de la terre lui assuraient une prise solide.
Sur sa face sud, il était gris clair, strié de noir et d'ocre. Sur sa face nord, protégés par l'ombre et les froids, des mousses et des lichens s'étendaient comme autant de maladies de peau.
Son écorce marbrée était recouverte de bosses et de cicatrices.
Un écureuil, sentant que les humains regardaient dans sa direction, fila vers les cimes aux branchettes fines mais aux feuilles larges destinées à capter les rayons du soleil et assurer la photosynthèse. Une mésange commença aussi à s'inquiéter, craignant que les humains ne s'intéressent à la cache de son nid: ses œufs n'étaient pas encore éclos. Elle décida pourtant de ne pas céder à la panique. Après tout, les humains ne mangeaient plus d'œufs de mésange. Elle se fit sentinelle, immobile dans les feuillages.
C'est mon grand jour.
Avec beaucoup de délicatesse, Sylvia Ferrero implanta des pinces dans l'écorce. Des pinces aux bouts métalliques reliées à des fils électriques, eux-mêmes reliés aux machines à cadrans, elles-mêmes reliées à l'ordinateur portable.
Isidore expliqua posément aux deux policiers qu'en 1984, son ami, le professeur Gérard Rosen, de l'université de Tel-Aviv, spécialiste de l'irrigation, de la lutte contre la désertification et de l'observation des comportements végétaux, s'était aperçu que les plantes réagissaient aux stimuli extérieurs.
– Il a eu l'idée de placer des électrodes sur l'écorce puis, en les branchant à un galvanomètre sensible aux changements infimes de résistance, il a pu mesurer l'action de ces stimuli sur le comportement des arbres. Dans la Bible, on parle du «buisson ardent», lui pense qu'il s'agit plutôt d'une parabole pour un «buisson parlant». Au début, lors de ses premières expériences, il a confronté des fleurs à des musiques différentes, du hard rock au classique. Il a ainsi constaté qu'elles appréciaient Vivaldi.
– Comment a-t-il pu vérifier cela? demanda le policier, un peu incrédule.
– Comme pour nous. À l'état de repos, nous présentons une résistance électrique de 10 sur 20. Lorsque nous sommes calmes, elle baisse à 5, et si nous nous excitons, elle peut monter à 15. Quand la musique leur plaisait, les plantes du professeur Rosen se calmaient et donc l'aiguille du transcripteur descendait sous 10. Lorsqu'elles se sentaient agressées, on constatait des pics. Comme si elles étaient irritées et souhaitaient que toutes ces manipulations cessent… Le professeur Rosen a ensuite eu l'idée d'exposer des plantes à toutes sortes d'autres éléments. Le froid, le chaud, la lumière, l'obscurité, la télévision.
– Mais elles n'ont pas d'yeux, s'étonna le policier.
– Elles perçoivent à leur manière le monde qui les entoure. Un jour, alors qu'un acacia était branché sur des électrodes et que le professeur Rosen préparait sa manipulation, il a effectué un faux mouvement et s'est blessé.
«Pour en avoir le cœur net, Gérard Rosen a renouvelé l'expérience en tranchant un morceau de viande à proximité. Rien. Comme si l'arbre savait que cette chair était déjà morte. Il a plongé une fleur dans de l'oxygène liquide. La plante a réagi et est montée à 13. Il a ensuite jeté tout près une autre plante dans de l'eau bouillante: 14. Il a introduit de la levure dans l'eau bouillante: 12. L 'acacia percevait la mort de la levure.