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L'hôtesse sourit.

– Comme je vous comprends, monsieur. Vraiment, c'est un bon choix. Votre enthousiasme fait plaisir à voir.

Elle s'empare d'une fiche d'inscription et entreprend de la remplir.

– Monsieur a pensé à tous ses vaccins?

– Des vaccins! Je ne me rends pas dans un pays du tiers-monde, que je sache!

– Certes, mais vous savez, à l'époque, l'hygiène…

– Je veux aller en 1666 pour assister à une représentation du Médecin malgré lui interprété par Molière devant la Cour! Je ne pars pas me vautrer dans un quelconque marécage de la jungle birmane! s'offusque Pierre Luberon.

L'hôtesse se veut conciliante.

– Peut-être, mais en 1666, en France, il y avait encore à l'état endémique la peste, le choléra, la tuberculose, la fièvre aphteuse, et j'en passe. Il faut vous faire vacciner contre toutes ces maladies, sinon vous risqueriez de les rapporter avec vous. C'est une précaution obligatoire.

Le lendemain Pierre Luberon revient, un carnet couvert de tampons à la main.

– J'ai été vacciné contre tout et plus encore. Quand puis-je partir?

L'hôtesse vérifie les cachets puis lui tend un petit vade-mecum de voyage.

– Vous avez là tous les bons conseils pour réussir votre périple. Encore quelques recommandations: prenez de la nivaquine tous les jours et ne buvez surtout pas d'eau.

– Alors je bois quoi?

– De l'alcool, bien sûr! vocifère d'une voix grave un grand barbu, entré derrière lui dans l'agence.

– De l'alcool? s'étonne Pierre en se retournant.

– Monsieur a raison, confirme l'hôtesse. En 1666, mieux vaut consommer de l'alcool. Cervoise, hydromel, bière, vin, ambroisie… L'alcool tue les microbes.

– Heureusement, il y avait alors de très bons spiritueux, reprend l'autre client. Ils fabriquaient par exemple un vin d'orge dont vous me direz des nouvelles.

Pierre le considère avec suspicion.

– Vous avez déjà fait le voyage de 1666?

– Plusieurs fois! répond l'homme. Je suis un grand voyageur dans l'espace et dans le temps. Laissez-moi me présenter: Anselme Duprès, pour vous servir et vous informer. Je suis un touriste chevronné. C'est moi qui ai écrit le Guide du routard temporel. J'ai déjà exploré pas mal d'époques.

Il s'assoit et son regard se perd à l'horizon.

– Tel que vous me voyez, je suis un touriste professionnel. J'ai aidé à bâtir la pyramide de Khéops en Egypte. Ah! Quelle ambiance sur le chantier! Il y avait un type vraiment impayable, toujours la bonne blague qui vous oblige à poser vos fesses sur une pierre pour vous marrer. J'ai chevauché aux côtés d'Alexandre le Grand. J'étais présent à la victoire d'Arbèles contre les Perses. Ses généraux et lui étaient peut-être homosexuels mais comme soldats avec les hoplites, ils étaient redoutables.

«Vous avez choisi l'époque de Louis XIV? C'est un joli moment. Si vous en avez l'occasion, goûtez à un plat typique d'alors, l'ortolan à la sauce Grand Veneur. Vous m'en direz des nouvelles.

Pierre se méfie de ce barbu. Il se tourne vers l'hôtesse.

– D'autres recommandations?

– Oui. Vous allez rencontrer des gens du passé. Ne leur apprenez pas de techniques modernes. Ne les informez pas sur l'avenir. N'avouez jamais que vous êtes un touriste temporel. En cas de problème, rentrez immédiatement.

– Comment s'y prend-on?

La jeune femme lui tend un objet ressemblant à une calculatrice couverte de touches diverses.

– Ici, vous inscrivez la date de votre objectif dans le temps et vous validez là. Vous créerez ainsi un carrefour quantique qui vous placera au point d'espace-temps demandé. Mais attention, prenez garde à ne pas vous tromper de date de retour. Cette machine n'est programmée que pour un seul voyage. Vous n'avez pas droit à l'erreur.

– Ah ça non, renchérit Anselme Duprès. Il ne faut pas se tromper sinon on risque de se retrouver bloqué dans le passé. J'ai des amis auxquels c'est arrivé. J'ai tenté plusieurs fois de retourner les chercher mais j'ignore où ils se trouvent exactement. Chercher quelqu'un de par la planète, c'est déjà difficile, mais trouver une personne dont on ignore la localisation, et dans l'espace et dans le temps, c'est une gageure.

L'hôtesse tend une feuille jaune.

– Souhaitez-vous souscrire une Temporo assistance?

Pierre examine le papier.

– C'est quoi?

– Une assurance. En cas de pépin, une équipe de secours vient vous chercher. Nous avons déjà sauvé pas mal de touristes égarés dans le temps…

– C'est cher?

– Mille euros. Mais avec ce contrat, vous bénéficiez d'une sécurité à toute épreuve. Je ne saurais trop vous le conseiller.

Pierre déchiffre l'offre en détail.

– Je me permets également de vous la recommander, monsieur, dit le client barbu. Je ne voyage jamais sans.

Mille euros, c'est pratiquement le tiers du prix du billet. Rien que pour une assurance! Il ne faut quand même pas exagérer, se dit Pierre Luberon. Lui qui ne prend pas ce genre de précautions pour ses voyages ordinaires ne va pas faire exception pour celui-ci. Ce n'est qu'un simple loisir après tout!

– Non, désolé, c'est assez cher comme ça. Je ne veux pas de votre Temporo assistance.

L'hôtesse lève les yeux au ciel en signe d'impuissance.

– Dommage, Monsieur risque de le regretter.

– Ma décision est prise. D'autres recommandations?

– Non, vous pouvez partir à présent. Introduisez votre année et votre lieu de voyage et appuyez là, dit l'hôtesse en lui tendant la calculatrice rouge.

Pierre revêt une tenue Louis XIV achetée chez un costumier de cinéma. Il n'emporte avec lui qu'un sac de cuir temporellement indéfini. Puis il s'assied confortablement sur une chaise, affiche la date souhaitée et presse le bouton de départ. 

PARIS. 1666.

La première sensation forte qui assaille Pierre, c'est l'odeur. La ville empeste l'urine. Au point qu'il songe aussitôt à appuyer sur le bouton de retour. Mais en réduisant l'ampleur de sa respiration, un mouchoir sur le nez, il parvient à s'accoutumer à cette infamie.

Second choc, les mouches. Il n'en a jamais vu autant, même dans les pays du tiers-monde. Il faut dire qu'il n'a jamais vu autant d'excréments humains joncher les rues d'une ville. Il se hâte vers une rue commerçante. Les échoppes sont surmontées d'enseignes aux couleurs vives. Une chaussure pour le cordonnier. Une bouteille pour la taverne. Une poule pour le rôtisseur. Les marchands hurlent pour attirer le chaland. Tout le monde parle un français qui, pour le touriste contemporain, ressemble davantage à du patois qu'à ce qu'il attend de la langue de Molière.

Pierre Luberon évite de peu les ordures lancées depuis une fenêtre par une ménagère pressée. Ciel, il n'avait jamais imaginé le xviie siècle aussi sale! Et toujours cette odeur d'urine et de pourriture. Normaclass="underline" pas de tout-à-l'égout, pas d'arrivées d'eau dans les appartements, pas de vide-ordures, pas de services de voirie. Des rats courent partout, des cochons en liberté fouillent du groin pour trouver leur pitance. Cochons et rats sont les éboueurs de l'époque.

Les rues sont étroites et tortueuses. Pierre a l'impression d'être pris dans un immense labyrinthe nauséabond.