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Robert arracha la feuille du cahier, la plia en quatre et la mit dans sa poche. Il jeta un dernier regard sur la chambre de Tania, ouvrit un placard, effleura ses robes, le referma et quitta le cottage.

Du cottage de Tania on voyait bien la mer, calme, semblable à de l’huile verte. Des dizaines de petits sentiers menaient à travers l’herbe vers la plage jaune où s’éparpillaient des chaises longues et des châlits. Quelques barques, la quille en l’air, reposaient tout près de l’eau. L’horizon du nord brillait de reflets de soleil insupportablement vifs. Robert se dirigea rapidement vers son flyer. Il enjamba le bord, s’arrêta et se retourna à nouveau vers la mer. Et soudain, il comprit : ce n’était pas le soleil, c’était la crête de la Vague.

Pris de fatigue, il s’assit sur le siège et démarra. La même chose au sud, pensa-t-il. Elle nous coince au nord et au sud. Un piège à souris. Un couloir entre deux morts. Le flyer survola de nouveau la forêt tropicale. « Combien nous reste-t-il encore ? se demandait-il. Deux heures ou trois ? Deux places dans le vaisseau ou dix ? »

La forêt sous le flyer se termina brusquement, et Robert aperçut, dans une vaste clairière, un grand aérobus de voyageurs entouré d’une foule de gens. Machinalement, il freina et amorça la descente. Apparemment, l’aérobus avait eu une panne, et ces gens à côté de lui — bizarre, comme tous étaient petits ! — attendaient que le pilote répare l’appareil. Il vit le pilote, un immense Noir, en train de fouiller dans le moteur. Puis il comprit que c’étaient des enfants et immédiatement, il reconnut Tania. Elle se tenait à côté du pilote qui lui passait des pièces du moteur.

Le flyer atterrit à une dizaine de pas de l’aérobus, et tous, ils se tournèrent aussitôt vers lui. Mais Robert ne voyait que Tania, son magnifique visage exténué, ses mains fines serrant contre sa poitrine des morceaux de fer huileux, ses yeux élargis par la surprise.

— C’est moi, dit Robert. Que s’est-il passé, Tania ?

Tania le regardait silencieusement ; alors, il jeta un coup d’œil sur le pilote noir et reconnut Gaba. Gaba fit un large sourire et cria :

— Ah ! Robert ! Viens donc ici, donne-moi un coup de main ! Tania est une fille merveilleuse, mais elle n’a jamais eu affaire à un aérobus ! Moi non plus ! Le moteur n’arrête pas de caler !

Les enfants — des gamins et des gamines de sept ans — contemplaient Robert avec intérêt. Robert s’approcha de l’aérobus, effleurant tendrement au passage de sa joue les cheveux de Tania et se pencha sur le moteur. Gaba lui tapota le dos. Ils se connaissaient bien. Ils s’entendaient remarquablement bien. D’ailleurs, Robert s’entendait fort bien avec les dix expérimentateurs-zéro qui, mourant d’ennui, se tournaient les pouces sur la planète depuis l’expérience ratée avec le chien Fimka, deux ans auparavant.

Ce que Robert vit dans le moteur l’obligea à retenir son souffle une secondé. Oui, apparemment, Gaba n’avait, en effet, jamais eu un aérobus entre les mains. Il n’y avait strictement rien à faire : plus de carburant. C’était en pure perte que Gaba avait démonté pratiquement tout le moteur. Cela arrive. Cela arrive même aux conducteurs les plus expérimentés, car ce n’est pas souvent que le carburant vient à manquer dans les aérobus. Robert regarda Tania en cachette. Elle serrait toujours contre sa poitrine les pièces détachées enduites de lubrifiant et attendait.

— Alors ? demanda Gaba d’une voix alerte. Nous avons bien fait de pester contre ce levier, comment il s’appelle déjà ?

— Eh bien, dit Robert, c’est très possible. (Il mit la main sur le levier et tira à plusieurs reprises dessus.) Est-ce que quelqu’un est au courant que vous êtes coincés ici ?

— Je Fai signalé, répondit Gaba. Mais ils n’ont pas assez de véhicules à leur disposition. Tu connais l’histoire des embryons ?

— Non, vas-y, dit Robert, nettoyant sans nul besoin, mais très soigneusement, la rainure du levier d’alimentation. Il se pencha afin que son visage reste invisible.

— On avait besoin de moyens de transport. Kanéko commença à activer des embryons de « méduses » ; toutefois il s’est avéré que ce n’était pas des « méduses », mais des cuisines cybernétiques. Erreur de livraison, hein ? Gaba éclata de rire. Qu’est-ce que tu en dis ?

— C’est tordant, grogna Robert.

U leva la tête et regarda le ciel. Il vit du bleu blanchâtre et vide et, au nord, au-dessus des cimes des arbres lointains, la crête éblouissante de la Vague. Alors, il rabaissa doucement le capot, marmonna : « Bon, bon  … On va voir ! » et passa de l’autre côté de l’aérobus, où il n’y avait personne. Là, il s’accroupit, le front appuyé contre le revêtement brillant et lisse. Gaba se mit à chanter.d’une tendre voix grommelante :

One is none, two is some,

Three is a many, four is a penny,

Five is a little hundred  …[5]

Ouvrant les yeux, Robert vit l’ombre de Gaba qui dansait sur l’herbe, l’ombre de ses bras levés, de ses mains aux doigts écartés. Gaba était en tram de distraire les enfants. Robert se redressa, ouvnt la porte et grimpa dans Paérobus. Un garçon, férocement agrippé aux manettes de commande, était assis sur le siège du pilote. Sifflant et vrombissant, il tripotait les manettes d’une manière invraisemblable.

— Doucement, tu vas les casser, dit Robert.

Le garçon ne lui prêta aucune attention.

Robert faillit allumer le phare-S.O.S., mais il s’aperçut que c’était déjà fait..Alors, il regarda de nouveau le ciel : à travers le spectrolite de la lanterne, celui-ci, résolument vide, paraissait d’un bleu tendre. Il faut se décider, pensa-t-il. Il loucha vers le garçon. Le môme, plein d’entrain, imitait le hurlement du vent.

— Rob, viens donc ici, dit Gaba. Il se tenait près de la porte.

Robert descendit.

— Ferme la porte, dit Gaba.

On entendait Tania raconter quelque chose aux petits derrière l’aérobus, on entendait le garçon assis sur le siège du pilote siffler et vrombir.

— Quand sera-t-elle ici ? demanda Gaba.

— Dans une demi-heure.

— Que s’est-il passé avec le moteur ?

— Plus de carburant.

Le visage de Gaba vira au gris.

— Pourquoi ? demanda-t-il bêtement. (Robert ne dit rien.) Et le carburant de ton flyer ?

— Avec une caisse comme celle-ci, il n’y en aura même pas pour cinq minutes.

Gaba se frappa le front de ses deux poings serrés, et il s’assit sur l’herbe.

— Tu es un mécanicien, dit-il d’une voix rauque. Invente quelque choe.

Robert s’adossa à l’aérobus.

— Tu te souviens de ce petit conte sur le loup, la chèvre et le chou ? Ici, il y a une douzaine de mômes, une femme et nous deux. Et cette femme, je l’aime plus que tout au monde. Je la sauverai à n’importe quel prix. Voilà. Le flyer a deux places  …

Gaba hocha la tête.

— Je comprends. C’est évident. Pas la peine d’en parler. Tania monte dans le flyer et prend avec elle autant d’enfants qu’on réussira à caser dedans  …

— Non, dit Robert.

— Pourquoi non ? Dans deux heures, ils seront au cosmodrome.

— Non, répéta Robert. Cela ne la sauvera pas. La Vague atteindra la Capitale d’ici trois heures. Là-bas, le vaisseau attend. Tania doit partir dedans. Ne discute pas ! chuchota-t-il, véhément. U n’y a que deux solutions possibles : ou c’est moi qui pars avec Tania, ou c’est toi, mais dans ce cas tu me jures sur tout ce que tu as de plus sacré que Tania partira avec le vaisseau ! Choisis.

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5

Une comptine anglaise (N.d.T.).