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— De toute façon, elle est pas vraie, déclara-t-il.

Gorbovski le prit par les épaules, mais Aliocha s’esquiva.

— Je ne veux pas être avec toi, dit-il. Je veux être avec le commandant.

— Voilà qui est bien, dit Gorbovski. Percy, emmenez-le chez l’éducateur.

Il fit un pas vers la porte qui menait au couloir.

— Ne vous évanouissez pas, dit Dickson dans son dos.

Gorbovski fit coulisser la porte. Oui, le vaisseau n’avait encore jamais connu chose pareille. Piaillements, rires, sifflements, gazouillements, roucoulements, grincements du métal contre le métal, miaulements et hurlements des bébés  … Partout, les odeurs irremplaçables du lait, du miel, des médicaments, des corps échauffés des enfants, du savon, et ce en dépit de l’air conditionné, en dépit des ventilateurs de secours  … Gorbovski enfila le couloir, tout en regardant où il mettait les pieds et en jetant, par les portes béantes, des coups d’œil craintifs dans les cabines où gambadaient, dansaient, berçaient des poupées, visaient avec des fusils, lançaient des lassos, le tout dans un espace inimagi-nablement restreint, quarante garçons et fillettes entre deux et six ans qui se bousculaient et rampaient sur les tables, sous les tables, sur et sous les couchettes. Les éducateurs préoccupés couraient d’une cabine à l’autre. Dans le carré des officiers d’où on avait enlevé presque tout les meubles, de jeunes mères nourrissaient et langeaient les nou-veaux-nés ; le même endroit servait de crèche : cinq bébés, se parlant en langage d’oiseau, rampaient dans un coin à part. Gorbovski s’imagina ce tableau en état de non-pesanteur, ferma les yeux et passa dans le poste de pilotage.

Il ne le reconnut pas. Il était vide. L’énorme appareil de contrôle, qui occupait en temps normal un tiers du local, avait disparu. Le tableau de bord, le fauteuil du copilote avaient disparu. Ainsi que l’écran panoramique. Tout comme le fauteuil devant la calculatrice. La calculatrice elle-même, à moitié démontée, brillait de ses blocs-schémas dénudés. Le vaisseau n’était plus une nef interstellaire. N’ayant gardé que sa grande autonomie de vol, il s’était transformé en une péniche automotrice interplanétaire ne pouvant désormais servir que pour des trajectoires en inertie.

Gorbovski enfonça les mains dans ses poches. Dickson sifflait dans son oreille.

— Bon, bon, dit Gorbovski. Et où est Valkenstein ?

— Je suis là.

Valkenstein apparut du tréfonds de la calculatrice. Il était maussade, mais très décidé.

— Bravo, Marc, dit Gorbovski. Bravo à vous aussi, Percy. Merci !

— Pichta vous a demandé trois fois déjà, dit Marc qui plongea de nouveau dans la calculatrice. U est à la trappe de chargement.

Gorbovski traversa le poste de pilotage et entra dans la soute du fret. Son sang se glaça dans ses veines. Ici, dans un local long et exigu, faiblement éclairé par deux lampes à gaz, se tenaient debout, étroitement serrés les uns contre les autres, des écoliers, garçons et filles. Ils étaient silencieux, presque immobiles si ce n’est pour changer d’appui, et, par la trappe ouverte, Us fixaient un coin de ciel bleu et le toit blanc d’un entrepôt lointain. Pendant quelques secondes, se mordillant les lèvres, Gorbovski observa les enfants.

— Transférez ceux de l’école maternelle dans le couloir, dit-il. Les primaires dans le poste de pilotage. Exécution immédiate.

— Ce n’est pas tout, prononça Dickson à voiy basse. Il y en a dix qui sont restés bloqués quelque part sur la route de L’Enfance  … Du reste, il semblerait qu’ils aient péri. Quelques élèves des grandes classes refusent d’embarquer. Et il y a encore un groupe d’enfants extérieurs qui viennent juste d’arriver. Au demeurant, vous verrez tout cela vous-même.

— Faites néanmoins ce que j’ai dit, répéta Gorbovski. Les trois premières années dans le couloir et dans le poste de pilotage. Ici, vous donnerez de la lumière, vous placerez un écran et vous projetterez des films. Des films historiques. Qu’ils voient comment c’était avant. Allons-y, Percy. Ah ! encore une chose : alignez les enfants en file indienne jusqu’à Valkenstein : qu’ils se passent les pièces détachées, ça les occupera un peu.

Il se fraya difficilement un chemin vers la trappe et descendit la passerelle en courant. En bas se tenait un grand groupe d’enfants de tous les âges entourés par les éducateurs. A leur gauche traînaient, en un tas désordonné, les objets les plus précieux de la culture matérielle de l’Arc-en-ciel : piles de documents, appareils et prototypes d’appareils, sculptures enveloppées dans du tissu, peintures roulées. A droite, une vingtaine de pas plus loin, se tenaient des jeunes gens et des jeunes filles maussades de quinze et seize ans ; Stanislav Pichta, très sérieux, déambulait devant eux, bras croisés dans le dos, tête baissée. Il disait d’une voix basse mais nette :

—  … Considérez cela comme un examen. Pensez moins à vous et davantage aux autres. Vous avez honte, et alors ? Reprenez-vous en main, surmontez ce sentiment !

Les autres se taisaient, obstinés. Comme se taisaient, accablés, les adultes rassemblés devant la trappe de chargement. Quelques jeunes gens jetaient des coups d’œil furtifs en arrière, et on comprenait qu’ils auraient aimé s’enfuir ; mais c’était impossible : autour, se trouvaient leurs pères et leurs mères. Gorbovski regarda la trappe. Même d’ici on voyait que le vaisseau était plein à craquer. Dans l’ouverture on apercevait les enfants alignés, serrés les uns contre les autres. Leurs visages n’avaient rien d’enfantin : Us étaient trop sérieux et trop mélancoliques.

Un jeune homme immense, très beau, aux yeux tristes et suppliants qui juraient d’une façon révoltante avec son aspect, s’approcha de Gorbovski.

— Un mot, commandant, prononça-t-U d’une voix tremblante. Juste un mot  …

— Attendez une minute, dit Gorbovski.

Il rejoignit Pichta et le prit par les épaules.

— Il y aura assez de place pour tout le monde, disait Pichta. Ne vous inquiétez pas  …

— Stanislav, dit Gorbovski, donne l’ordre d’embarquer à ceux qui restent.

— Mais U n’y a pas de place, protesta Pichta, très illogique. Nous t’attendions justement. Il faudra déblayer la chambre-D de réserve.

— Le Tariel ne possède pas de chambre-D de réserve. Mais tu auras de la place. Exécution.

Gorbovski se retrouva face à face avec les élèves des grandes classes.

— Nous ne voulons pas partir, annonça l’un d’eux, un garçon de grande taille, blondasse, aux yeux vert vif. Ce sont les éducateurs qui doivent partir.

— C’est vrai 1 dit une jeune fille portant un pantalon de survêtement.

Derrière Gorbovski, la voix de Percy Dickson tonna :

— Jetez ! jetez tout par terre !

Les plaques tintinnabulantes des blocs-schémas dégringolèrent de la trappe. La chaîne s’était mise en marche.

— Voilà ce que j’ai à vous dire, mes amis, commença Gorbovski. D’abord, vous n’avez pas encore le droit de vote parce que vous n’avez pas terminé vos études secondaires. Ensuite, il ne faut pas exagérer. H est vrai que vous êtes encore jeunes, vous vous précipitez pour accomplir des exploits héroïques, mais le fait est qu’ici on c’a pas besoin de vous, tandis qu’à bord, si. La peut me prend rien qu’à l’idée de ce qui s’y passera pendant le vol en inertie. Il nous faut deux grands par cabine chez les petits, au moins trois filles adroites pour la crèche et pour aider les mères avec les nouveau-nés. Bref, c’est là que vous devez accomplir un exploit.

— Excusez-moi, commandant, dit avec ironie le garçon aux yeux verts, mais les éducatrices peuvent très bien se charger de tout ça.

— Excusez-moi, jeune homme, dit Gorbovski, mais je suppose que vous n’ignorez pas les droits d’un commandant. En tant que tel, je vous déclare qu’il n’y aura que deux éducateurs qui partiront. Le plus important n’est pas là : faites un effort et tâchez de vous demander comment vos éducateurs pourraient continuer à vivre s’ils prenaient vos places à bord du vaisseau. Les jeux sont terminés, mes petits. Devant vous, il y a maintenant la vie, telle qu’elle est parfois, mais heureusement pas souvent. Et maintenant, excusez-moi, j’ai à faire. Je ne peux vous offrir qu’une seule consolation : vous monterez à bord les derniers. C’est tout.