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Gorbovski baissa le son.

— Encore, s’il vous plaît.

Gorbovski feignit de baisser encore le son.

— Comme ça ? demanda-t-il.

— Je ne comprends pas pourquoi je ne l’ai pas cassé depuis longtemps, dit Marc à la cantonade.

Gorbovski se hâta de baisser presque complètement le son et mit le diffuseur dans la poche intérieure de sa veste.

Ils longeaient de joyeuses maisonnettes multicolores entourées de lilas ; sur les toits se dressaient, tous identiques, des récepteurs d’énergie coniques et grillagés. Un chat roux traversa le sentier en tapinois. « Tss, tss, tss », appela Gorbovski réjoui. Le chat se jeta à toutes pattes dans l’herbe dense et, de là, regarda Gorbovski avec des yeux sauvages. Des abeilles bourdonnaient paresseusement dans l’air incandescent. Quelque part retentissait, véritable rugissement, un lourd ronflement.

— Quel village, dit Marc. Et ça se prétend la capitale ! Ils dorment jusqu’à neuf heures  …

— Pourquoi dire ça, Marc, protesta Gorbovski. Moi, par exemple, je trouve que c’est très bien ici. Des abeilles  … Le chat qui traverse le sentier  … Que désirez-vous de plus ? Voulez-vous que j’augmente le son ?

— Non, dit Marc. Je n’aime pas ce genre de villages paresseux. Dans des villages paresseux vivent des gens paresseux.

— Vous, je vous connais par cœur, dit Gorbovski. Vous voudriez des conflits, que personne ne soit d’accord avec personne, que resplendissent les idées, le mieux ce serait encore une bagarre, mais ça, ce serait l’idéal  … Attention ! Arrêtez-vous ! C’est un genre d’orties. Elles sont belles, mais font très mal  …

Il s’accroupit devant un large buisson aux grandes feuilles striées de noir. Marc dit, agacé :

— Mais pourquoi prenez-vous racine, Leonid Andreïevitch ? Vous n’avez jamais vu d’orties ?

— Absolument jamais. En revanche j’ai lu des choses sur elles. Vous savez quoi, Marc ? Je vais vous radier de votre poste  … Vous êtes devenu gâté, capricieux. Vous ne savez plus apprécier une vie simple.

— Je ne sais pas ce que c’est, une vie simple, dit Marc, mais toutes ces fleurs qui riment avec bonheur, ces roses écloses, ces petits chemins qui sentent la noisette, à mon avis, ça ne fait que pervertir. Le monde est encore insuffisamment organisé, il est encore trop tôt pour se laisser aller au bucolisme.

— Le monde est mal organisé, ça oui, confirma Gorbovski. Seulement, il l’a toujours été et le sera toujours. Que deviendrait la vie si elle était impeccablement organisée ? Mais, du reste, ça va très bien.

Vous entendez, quelqu’un chante  … En dépit de la m auvaise organisation  …

Venant à leur rencontre, un énorme camion-atomocar surgit à toute vitesse sur la chaussée. D’immenses gaillards à moitié nus étaient assis à l’arrière sur des caisses. L’un d’eux, complètement arqué, plongé dans sa musique jusqu’à l’oubli total, grattait avec frénésie les cordes d’un banjo, et, tous, ils hurlaient à l’unisson :

Lorsque au printemps fleurissent les prés, Que chantent les merles noirs, Nous sommes emplis d’une franche gaieté, Planant de l’aube au soir  …

L’atomocar passa en trombe, et la vague d’air chaud courba l’herbe un instant. Gorbovski reprit :

— Ça devrait vous plaire, Marc. A neuf heures du matin les gens sont déjà debout en train de travailler. Et la chanson, vous a-t-elle plu ?

— Ce n’est pas encore ça, dit obstinément Marc.

Le sentier dévia, contournant une énorme piscine en béton emplie d’eau sombre. Ils continuèrent leur chemin à travers des herbes jaunâtres, denses, qui atteignaient la poitrine. L’air fraîchissait ; au-dessus de leurs têtes le feuillage épais des acacias formait une sorte de ciel noir.

— Marc, chuchota Gorbovski. Il y a une jeune fille qui arrive.

Marc s’arrêta, pétrifié. Des herbes surgit une fille brune, grande et potelée, vêtue d’un short blanc et d’un blouson blanc dont les boutons étaient arrachés. Non sans effort, la jeune fille tirait un câble lourd.

— Bonjour, dirent en chœur Gorbovski et Marc.

La fille brune tressaillit et s’arrêta. La peur apparut sur son visage. Gorbovski et Marc se regardèrent.

— Bonjour, mademoiselle ! rugit Marc.

La brune lâcha le câble, confuse.

— Bonjour, murmura-t-elle.

— J’ai l’impression, Marc, dit Gorbovski, que nous gênons.

— Pouvons-nous vous aider ? demanda Marc galamment.

La jeune fille l’observait par en dessous.

— Vipères, dit-elle soudain.

— Où ? s’écria Gorbovski, épouvanté, et il souleva un pied.

— Des vipères, en général, expliqua la jeune fille. (Elle examina Gorbovski.) Avez-vous vu se lever le soleil ce matin ? s’enquit-elle suavement.

— Aujourd’hui, nous avons vu quatre levers de soleil, dit Marc nonchalant.

La jeune fille plissa les paupières et rajusta ses cheveux d’un geste impeccablement calculé. Marc se présenta aussitôt :

— Valkenstein, Marc.

— D-pilote interstellaire, ajouta Gorbovski.

— Ah, un D-pilote interstellaire, dit la jeune fille avec une intonation bizarre.

Elle releva le câble, fit un clin d’œil à Marc et disparut dans les herbes. Le câble bruissait sur le sentier. Gorbovski se tourna vers Marc, qui regardait dans la direction où la jeune fille s’était évaporée.

— Allez-y, Marc ; allez-y, dit Gorbovski. Ce ne sera que logique. Le câble est fichtrement lourd, la jeune fille est si fragile, si jolie, et vous, vous êtes un pilote interstellaire tellement costaud.

Pensivement, Marc mit le pied sur le câble. Celui-ci bougea, et ils entendirent, provenant des herbes :

— Laisse filer, Sémion, laisse filer !

Marc se dépêcha de relever le pied. Ils reprirent leur chemin.

— Une jeune fille bien étrange, dit Gorbovski. Mais mignonne ! A propos, Marc, pourquoi ne vous êtes-vous quand même pas marié ?

— Avec qui ? demanda Marc.

— Allons, allons, Marc. Arrêtez. Tout le monde est au courant. C’est une femme très douce, très gentille. Très fine et délicate. J’ai toujours considéré que vous étiez un tantinet rustaud pour elle. Mais, apparemment, elle ne partageait pas cet avis  …

— Eh non, je ne me suis pas marié, dit Marc à contrecœur. Ça ne s’est pas fait.

Le sentier les ramena de nouveau vers la chaussée. A présent, de longues citernes s’étiraient sur leur gauche ; devant, étincelait au soleil la pointe argentée de l’édifice du Conseil. Pas âme qui vive.

— Elle aimait trop la musique, dit Marc. On ne peut tout de même pas prendre sa choriole à chaque vol. Votre diffuseur nous suffît amplement. Percy ne supporte pas la musique.

— A chaque vol  …, répéta Gorbovski. Le fait est, Marc, que nous sommes trop vieux. Il y a vingt ans, nous ne nous serions même pas demandé ce qui était le plus précieux : l’amour ou l’amitié. Aujourd’hui, c’est trop tard. Aujourd’hui, nous sommes condamnés. Au demeurant, ne perdez pas espoir, Marc. Peut-être rencontrerons-nous encore des femmes qui nous seront plus chères que tout au monde.

— En tout cas, pas Percy, dit Marc. Déjà que pour amis, il n’a que vous et moi. Quant à Percy amoureux  …

Gorbovski s’imagina Percy Dickson amoureux.

— Percy aurait été un excellent père, avança-t-il, indécis.

Marc fit la grimace.

— Toutefois cela aurait été malhonnête. Un enfant n’a pas besoin d’un bon père, mais d’un bon maître. Tout comme un homme a besoin d’un ami. Et une femme d’un homme à aimer. Et puis, parlons plutôt de roses écloses.