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La place devant l’édifice du Conseil était vide ; seul, un aérobus grand et lourdaud stationnait à l’entrée.

— J’ai envie de voir Matveï, dit Gorbovski. Venez avec moi, Marc.

— Qui est Matveï ?

— Je vais vous le présenter. Matveï Viazanitzine. Matveï Sergueïevitch. Il est directeur ici. Un vieil ami à moi, un pilote interstellaire. Ancien commando. Au fait vous devez vous en souvenir, Marc. Ah non, c’était avant.

— Eh bien, dit Marc, allons-y. Une visite de courtoisie. Mais arrêtez votre tam-tam. C’est gênant, on est quand même au Conseil.

Le directeur fut ravi de les voir.

— Formidable ! tonnait-il d’une voix de basse, leur offrant des fauteuils. C’est formidable que vous soyez venus ! Bravo, Leonid ! Vraiment, bravo ! Valkenstein ? Marc ? Mais bien sûr, bien sûr ! Seulement, pourquoi n’êtes-vous pas chauve ? Leonid m’avait assuré que vous étiez chauve  … Ah non, il le disait de Dickson ! Il est vrai que Dickson est célèbre pour sa barbe, mais cela ne signifie rien : je connais un tas de barbus chauves ! Du reste, ce sont des bêtises tout ça, des bêtises ! Il fait chaud chez nous, n’est-ce pas ? Leonid, tu manges mal, tu as le visage d’un anorexique ! On déjeune ensemble  … Et en attendant, permettez-moi de vous proposer des rafraîchissements. Il y a du jus d’orange, du jus de tomate, du jus de grenade  … Bien de chez nous ! Ah oui ! Du vin ! Notre propre vin d’Arc-en-ciel, tu imagines, Leonid ? Alors ? Etonnant, mais il me plaît  … Et vous, Marc ? Je vais vous dire : je n’aurais jamais pensé que vous ne buviez pas de vin ! Ah ! vous ne buvez pas de vins locaux ?

« Leonid, j’ai mille questions à te poser  … Je ne sais pas par laquelle commencer, et dans une minute je ne serai plus un homme, mais un administrateur enragé. Vous n’avez jamais vu un administrateur enragé ? Vous allez en voir un. Je vais juger, châtier, distribuer des faveurs ! Je vais régner, ayant préalablement divisé ! A présent, je comprends quelle vie de chien menaient les rois et tous les empereurs-dictateurs ! Ecoutez, mes amis, je vous en prie, ne partez pas ! Je vais me tuer au travail, et vous, restez assis et plaignez-moi. Ici, personne ne me plaint  … Vous êtes bien, non ? Je vais ouvrir la fenêtre, ça nous fera un peu d’air  … Leonid, tu ne t’imagines pas  … Marc, vous pouvez vous mettre à l’ombre. Je disais, donc, Leonid, te rends-tu compte de ce qui se passe ici ? L’Arc-en-ciel a contracté la rage, et ça fait deux ans que ça dure. »

Il s’écroula devant son tableau de commande dans le fauteuil qui gémit aussitôt. Enorme, bronzé à outrance, ébouriffé, la moustache en avant comme celle d’un chat, il déboutonna sa chemise jusqu’au ventre et regarda avec plaisir par-dessus son épaule les pilotes interstellaires qui sirotaient sagement avec des pailles leurs jus glacés. Sa moustache bougea et il faillit ouvrir la bouche, mais à ce moment, sur l’un des six écrans du tableau de commande apparut une jolie femme mince aux yeux pleins de rancœur.

— Monsieur le directeur, dit-elle très sérieusement. Je m’appelle Haggerton, peut-être ne vous sou venez-vous pas de moi. Je me suis adressée à vous au sujet de la barrière de rayons sur la montagne d’Albâtre. Les physiciens refusent de l’enlever.

— Comment ça, ils refusent ?

— J’en ai parlé à Rodrigos ; je crois que c’est lui qui est le zéroïste en chef là-bas ? Il a déclaré que vous n’aviez pas le droit de vous mêler de leur travail.

— Ils se payent votre tête, Helen ! dit Matveï. Rodrigos est zéroïste en chef comme moi je suis une timide violette. C’est un servomécanicien et il en sait moins que vous sur les problèmes-zéro. Je m’en occupe immédiatement.

— S’il vous plaît, nous vous en prions instamment  …

Tout en secouant la tête, le directeur tourna un commutateur.

— Montagne d’Albâtre ! hurla-t-il. Passez-moi Pagava !

— Je t’écoute, Matveï.

— Chota ? Je te salue, mon très cher ami ! Pourquoi n’enlèves-tu pas la barrière ?

— Je l’ai enlevée. Qui dit que je ne l’ai pas enlevée ?

— Ah, c’est parfait. Dis à Rodrigos d’arrêter de faire tourner les gens en bourrique, sinon je le convoque chez moi ! Dis-lui que je me souviens très bien de lui. Comment va votre Vague ?

— Tu comprends  … (Chota se tut un moment.) C’est une Vague intéressante. Pas assez de temps pour t’en parler maintenant, je le ferai plus tard.

— Eh bien ! bonne chance !

S’affalant sur l’accoudoir, Matveï se tourna vers les pilotes interstellaires.

— A propos, Leonid ! s’écria-t-il. Ça tombe on ne peut mieux ! Que dit-on chez vous de la Vague ?

— Où, chez nous ? demanda avec sang-froid Gorbovski et il aspira avec la paille. Sur le Tariel ?

— Toi, par exemple, que penses-tu de la Vague ?

Gorbovski réfléchit.

— Je n’en pense rien, dit-il. Marc, toi, peut-être ? questionna-t-il en jetant un regard indécis sur son navigateur.

Marc était assis, très droit, avec une raideur toute officielle, son verre à la main.

— Si je ne me trompe pas, dit-il, la Vague est un certain processus lié à la transportation-zéro. Je connais mal le sujet. Bien sûr, comme tout pilote interstellaire, la transportation-zéro m’intéresse. (Là, il salua légèrement le directeur.) Mais sur la Terre on n’accorde pas une grande importance aux problèmes-zéro. A mon avis, pour des disconti-nuistes terrestres c’est un problème trop réduit dont la signification relève manifestement des techniques appliquées.

Le directeur émit un rire sardonique.

— Qu’est-ce que tu en dis, Leonid ? Un problème trop réduit ! Oui, je vois que vous êtes trop loin de notre Arc-en-ciel, et tout ce qui se passe chez nous vous semble trop petit. Cher Marc, le problème trop réduit en question bourre ma vie à craquer ; pourtant je ne suis même pas un zéroïste ! Je suis exténué, mes amis ! Avant-hier, dans le bureau où vous êtes, j’ai séparé de mes propres mains Lamondoy et Aristote, et maintenant je regarde mes mains (il tendit devant lui ses bras bronzés et puissants) et, parole d’honneur, je m’étonne de n’y voir ni morsures, ni éraflures. Pendant ce temps, sous les fenêtres vociféraient deux foules. L’une tonnait : « La Vague ! La Vague ! » et l’autre hurlait : « La T-zéro ! » Vous croyez que c’était un débat scientifique ? Eh bien, non ! Ça avait tout l’air d’une antique chamaillerie de voisins dans un appartement collectif à propos de l’électricité ! Vous vous rappelez ce livre drôle, bien que, j’avoue, pas tout à fait compréhensible, où l’on a donné les verges à quelqu’un qui n’éteignait pas la lumière dans les toilettes ? Le Bouc d’or ou L’Ane d’or ?  … Eh bien, Aristote et sa bande essayaient de donner les verges à Lamondoy et sa bande parce qu’ils avaient mis la main sur toute la réserve d’énergie  … Par Arc-en-ciel ! Il y a un an encore Aristote se promenait bras dessus bras dessous avec Lamondoy ! Pour un zéroïste, un autre zéroïste était un ami, un camarade et un frère. Personne ne pouvait s’imaginer que l’engouement de Forster pour la Vague scinderait la planète en deux !

« Dans quel monde je vis ! Tout manque : l’énergie manque, les appareils manquent, on se bat pour chaque blanc-bec de laborantin ! Les gens de Lamondoy volent de l’énergie, les gens d’Aristote donnent la chasse aux « extérieurs », ces malheureux touristes qui viennent ici pour se reposer ou pour écrire quelque chose de gentil sur l’Arc-en-ciel, puis essaient de les enrôler ! Le Conseil, le Conseil ! s’est transformé en un organisme de conflits ! J’ai demandé qu’on m’expédie Le Droit Romain  … Ces derniers temps je ne lis que des romans historiques. Par Arc-en-ciel ! Bientôt, je m’organiserai ici une police et une cour d’assises. Je suis en train de m’habituer à une terminologie nouvelle, absolument barbare. Hier, j’ai traité Lamondoy de défenseur et Aristote de plaignant. Je prononce sans trébucher des mots comme jurisprudence et Polizeipraesi-dium  … »