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– Oh! Ah! Oh! dit-on dans la foule.

Les habitants du village restèrent muets un instant, car tout s'était passé très vite. Et puis ils protestèrent, parce que ça faisait cher la minute. Jacquemort, un peu inquiet, sentit que ça allait se gâter.

– Rends l'argent, curé! cria la foule.

– Non! dit le curé.

– Rends l'argent, curé! Une chaise vola, puis une seconde. Le curé bondit hors du ring. Une pluie de chaises s'abattit sur lui.

Jacquemort se faufilait vers la sortie quand il reçut un coup derrière l'oreille. Instinctivement il fit front et riposta. Il reconnut son adversaire au moment même de lui briser les dents avec son poing. C'était le menuisier qui s'effondra en crachant sa bouche. Jacquemort regarda ses doigts; il avait deux jointures fendues. Il lécha. Une gêne le prenait. Il la rejeta d'un haussement d'épaules.

– Qu'importe…, pensa-t-il. La Gloïre est là pour la prendre. Il fallait déjà que j'aille le voir pour cette gifle que j'ai donnée à l'enfant de chœur.

Il avait encore envie de se battre. Il cogna dans ce qu'il vit. Il cogna et ça le soulageait énormément de cogner sur des adultes.

VIII

135 avroût.

Lorsque Jacquemort poussa la porte de La Gloïre, ce dernier commençait à s'habiller. Il s'était déjà baigné dans sa baignoire d'or massif et, ayant accroché ses vieux habits de travail, il enfilait une somptueuse robe d'intérieur en brocart d'or. Il y avait de l'or partout, l'intérieur de la vieille maison paraissait coulé d'une pièce en métal précieux. L'or débordait des coffres, la vaisselle, les sièges, les tables, tout était jaune et brillant. Ce spectacle avait frappé Jacquemort la première fois, mais il le contemplait maintenant avec la même indifférence qu'il témoignait envers toutes choses non directement reliées à sa manie; c'est-à-dire qu'il ne le voyait même plus.

La Gloïre lui dit bonjour, et s'étonna de le voir en cet état.

– Je me suis battu, dit Jacquemort. Au spectacle du curé. Tout le monde s'est battu. Lui aussi, mais déloyalement. C'est pour ça que les autres se sont mis de la partie.

– Ravis de ce prétexte, dit La Gloïre. Il haussa les épaules.

– Je…, dit Jacquemort. Euh… J'ai un peu honte; car je me suis battu aussi; alors, j'ai profité de ce que je venais vous voir, j'ai apporté du liquide…

Il lui tendit une pile de pièces d'or.

– Naturellement…, murmura La Gloïre, amer. Vous avez vite pris le pli. Mais arrangez un peu vos vêtements. Ne vous en faites pas. Je prends votre honte.

– Merci, dit Jacquemort. Et maintenant, si nous continuions notre séance?

La Gloïre laissa tomber la pile de pièces d'or dans un saladier de vermeil et s'étendit, sans dire un mot, sur le lit bas, disposé au fond de la salle. Jacquemort vint s'asseoir près de lui.

– Racontez, dit-il. Détendez-vous et parlez. Nous étions arrivés à votre histoire à l'école, quand vous avez volé ce ballon.

La Gloïre passa sa main devant ses yeux et se mit à parler. Mais Jacquemort ne l'écouta pas tout de suite. Il était intrigué. Au moment où la main du vieillard se posait sur son front, il avait cru, mais peut-être était-ce une illusion, voir, à travers la paume, le regard fiévreux et mobile de son patient.

IX

136 avroût.

Les jours où Jacquemort se sentait intellectuel, il se retirait dans la bibliothèque d'Angel et lisait. Il n'y avait qu'un livre, amplement suffisant, un excellent dictionnaire en cyclopédique où Jacquemort retrouvait, classés et ordonnés alphabétiquement sinon logiquement, les éléments essentiels de tout ce dont se composent les bibliothèques ordinaires sous un volume hélas! si encombrant.

Il s'arrêtait d'habitude à la page des drapeaux, où il y a de la couleur et où le texte, nettement moins dense qu'aux autres pages, repose et délasse l'esprit. Le onzième à partir de la gauche, une dent sanglante sur fond noir, le fit penser ce jour-là aux petites jacinthes sauvages que l'on trouve dans les bois.

X

1er juillembre.

Les trois enfants jouaient au jardin, pas trop en vue de la maison. Ils avaient choisi leur endroit: on y trouvait en proportions adéquates les cailloux, la terre, l'herbe et le sable. Il y avait de l'ombre et du soleil, du sec et du mouillé, du dur et du tendre, du minéral et du végétal, du vif et du mort.

Ils parlaient peu. Munis de pelles de fer, ils creusaient, chacun pour soi, un fossé rectangulaire. De temps en temps, la pelle rencontrait un objet intéressant, que son possesseur prélevait aussitôt pour le poser sur la pile des découvertes précédentes.

Au bout de cent coups de pelle, Citroën s'arrêta.

– Stop! dit-il.

Joël et Noël obéirent.

– J'ai une verte, dit Citroën.

Il leur montra un petit objet luisant à l'éclat d'émeraude.

– Voila la noire, dit Joël.

– Voilà la dorée, dit Noël.

Ils disposèrent les trois objets en triangle. Prudemment, Citroën les réunit au moyen de brindilles sèches. Et puis ils s'assirent chacun à un sommet du triangle et ils attendirent.

Entre les trois objets, le sol creva soudain. Une main blanche, minuscule, apparut, puis une autre. Les mains s'agrippèrent aux bords de l'ouverture et une silhouette claire de dix centimètres de haut prit pied dans le triangle. C'était une petite fille avec de longs cheveux blonds. Elle envoya des baisers aux trois enfants et se mit à danser. Elle dansa quelques minutes, sans jamais sortir du triangle. Et puis, brusquement, elle s'arrêta, regarda le ciel et s'enfonça dans le sol aussi rapidement qu'elle était sortie. A la place des pierres de couleur, il ne restait que trois petits cailloux ordinaires.

Citroën se leva et dispersa les brindilles.

– J'en ai assez, dit-il. Un autre jeu.

Déjà Joël et Noël s'étaient remis à creuser.

– Je suis sûr qu'on va trouver d'autres choses, dit Noël. Sa pelle, à cet instant, heurta quelque chose de dur.

– Voilà un caillou énorme, dit-il.

– Fais voir! dit Citroën.

Un beau caillou jaune avec des cassures luisantes, qu'il lécha pour voir si c'était bon comme ça en avait l'air. Presque. De la terre crissait sous la dent. Mais dans un creux du caillou, une petite limace, jaune aussi, était collée. Il regarda.

– Ça, dit Citroën, ce n'est pas une bonne. Tu peux la manger quand même, mais ce n'est pas une bonne. C'est les bleues qui vous font voler.

– Il y en a des bleues? demanda Noël.

– Oui, dit Citroën.

Noël goûta la jaune. Très sain. Bien meilleur que la terre, en tout cas. Mou. Et gluant. Bon, en somme.

Cependant, Joël, à son tour, venait d'insérer le tranchant de sa pelle sous une pierre lourde. Et il pesa. Deux limaces noires.

Il en tendit une à Citroën qui la regarda avec intérêt mais la repassa à Noël. Cependant Joël dégustait la sienne.

– Pas fameux, dit-il. On dirait du tapioca.

– Oui, dit Citroën, mais les bleues, c'est bon. C'est comme de l'ananas.

– C'est vrai? demanda Joël.

– Et après, on vole, dit Noël.

– On ne vole pas tout de suite, dit Citroën. Il faut travailler avant.

– On pourrait peut-être travailler d'abord, dit Noël. Après, si on en trouve des bleues, on volera tout de suite quand même.

– Oh! dit Joël qui creusait pendant ce temps-là, j'ai une belle graine toute neuve.

– Montre, dit Citroën.

C'était une graine presque aussi grosse qu'une noix.

– Il faut cracher dessus cinq fois, dit Citroën et elle va pousser.