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– Quoi de plus naturel? Ces enfants me tiennent lieu de tout, ils sont mon unique raison d'exister; il est juste que, réciproquement, ils s'habituent à se reposer sur moi en chaque circonstance.

– Mais malgré tout, dit Jacquemort, je crois que vous vous exagérez le danger… parce qu'à ce moment vous pouvez le voir partout; tenez, par exemple… je m'étonne que vous les laissiez se servir de papier; avec le papier, ils peuvent s'érafler, et qui sait, à supposer que la femme qui a emballé la ramette ait simplement empoisonné sa famille à l'arsenic en pesant la dose exacte sur la première feuille, cette feuille peut être contaminée et dangereuse… au premier contact, un de vos gosses peut s'effondrer… vous devriez leur lécher le derrière. Elle réfléchit un moment.

– Vous savez, dit-elle… les animaux le font bien pour leurs petits… peut-être qu'une bonne mère doit le faire…

Jacquemort la regarda.

– Je crois que vous les aimez vraiment, dit-il, très sérieux. Et, au fond, cette histoire d'arsenic, ça n'a rien d'impossible, quand on y réfléchit.

– C'est affolant, dit Clémentine, effondrée. Elle se mit à pleurer.

– Je ne sais pas quoi faire… je ne sais pas quoi faire…

– Calmez-vous, dit Jacquemort, je vous aiderai. Je viens de me rendre compte que c'est un problème très complexe. Cela peut s'arranger, sûrement. Remontez vous étendre.

Elle passa.

«Ça, c'est une passion», se dit Jacquemort en reprenant sa route.

Il aurait voulu l'éprouver. Mais, à défaut, il pouvait toujours l'observer.

Une vague pensée qu'il ne réussissait pas à formuler le taquinait cependant. Une vague pensée. Une pensée vague. De toute façon, ce serait intéressant de recueillir le point de vue des enfants.

Mais le temps ne pressait pas.

XIII

7 octembre.

Ils jouaient sur la pelouse devant les fenêtres de leur mère. De moins en moins elle tolérait qu'ils s'écartent.

Pour l'instant, elle les regardait, suivant leurs gestes et tentant de deviner leurs yeux. Joël paraissait moins vif que d'habitude et restait à la traîne, suivant le mouvement tout juste. Un moment il se leva, tâta sa petite culotte et regarda ses frères. Ils se mirent à danser autour de lui comme s'il leur avait dit quelque chose de très drôle. Joël frotta ses poings sur ses yeux et il pleurait, c'était visible.

Clémentine sortit de sa chambre, descendit l'escalier et gagna la pelouse en quelques instants.

– Qu'est-ce qu'il y a, mon petit chou?

– Mal au ventre! sanglota Joël.

– Qu'est-ce que tu as mangé? C'est cette idiote qui t'a encore donné quelque chose de pas bon, mon pauvre ange.

Joël, debout, les jambes écartées, rentrait le ventre et sortait le derrière.

– J'ai fait dans ma culotte! hurla-t-il effondré.

Citroën et Noël prirent un air méprisant.

– C'est un bébé! dit Citroën. Il fait encore dans sa culotte!

– Quel bébé! dit Noël.

– Allons! dit Clémentine. Voulez-vous être gentils avec lui! Ce n'est pas sa faute. Viens, mon chéri, viens, je vais te mettre une belle culotte propre et tu auras une bonne cuillerée d'élixir parégorique.

Citroën et Noël restèrent frappés d'envie et d'étonnement.

Joël suivit Clémentine en trottant, tout consolé.

– C'est dégoûtant, dit Citroën, il fait dans sa culotte et on lui donne des lixirs paracoliques.

– Oui, dit Noël. J'en veux aussi.

– Je vais essayer de pousser, dit Citroën.

– Moi aussi, dit Noël.

Ils poussèrent de toutes leurs forces, les joues violacées, mais rien ne venait.

– Je ne peux pas, dit Citroën. J'ai juste fait un tout petit peu pipi.

– Tant pis, dit Noël, on n'aura pas des lixirs. Mais on va cacher l'ours de Joël.

– Tiens? dit Citroën, surpris d'entendre Noël faire une si longue phrase.

– C'est une bonne idée, mais il ne faut pas qu'il puisse le trouver.

Le front de Noël se plissa douloureusement. Il cherchait. Il tourna la tête de droite et de gauche, en quête d'inspiration. Citroën n'était pas en reste et faisait fébrilement travailler ses neurones.

– Regarde! dit-il. Là-bas!

Là-bas, c'était l'espace libre où la bonne accrochait son linge à de hauts fils de fer. Au pied de l'un des poteaux blancs qui supportaient les fils se dessinait la silhouette de l'escabeau.

– On va le cacher dans un arbre, dit Citroën. On va prendre l'escabeau de Blanche. Vite avant qu'il ne revienne!

Ils coururent de toute la force de leurs jambes.

– Mais, haleta Noël tout en courant, il pourra le reprendre…

– Non, dit Citroën. Tu comprends, à nous deux, on peut soulever l'escabeau, mais lui tout seul ne pourra pas.

– Tu crois? demanda Noël.

– Tu vas voir, dit Citroën.

Ils arrivèrent à l'escabeau. Beaucoup plus grand qu'il n'en avait l'air de loin.

– Il faut faire attention de ne pas le faire tomber, dit Citroën, sans ça on ne pourrait plus le remettre debout.

Cahin-caha, ils s'éloignèrent, traînant l'objet.

– Ouille, c'est lourd! dit Noël au bout de dix mètres.

– Dépêche-toi, dit Citroën. Elle va revenir.

XIV

– Là! dit Clémentine. Comme ça, tu seras tout propre. Elle jeta le morceau de coton dans le pot. Joël était debout devant elle, de dos. Elle, agenouillée, venait de le nettoyer. Elle hésita et lui dit:

– Penche-toi, mon petit chou.

Joël se pencha, les coudes aux cuisses. Elle lui saisit délicatement les fesses, les écarta un peu et se mit à lécher. Soigneusement. Consciencieusement.

– Qu'est-ce que tu fais, maman? demanda Joël, étonné.

– Je te nettoie, mon chéri, dit Clémentine en interrompant sa besogne. Je veux que tu soies aussi propre qu'un bébé chat ou qu'un bébé chien.

Ce n'était même pas humiliant. Et, au fond, très naturel. Quel crétin, ce Jacquemort! Incapable de comprendre ça. C'est la moindre des choses, pourtant. Et au moins, comme ça, elle serait sûre qu'ils n'attrapent plus rien. Puisqu'elle les aimait, rien de ce qu'elle faisait ne pouvait leur nuire. Rien. Au fond elle aurait même dû les débarbouiller entièrement de cette façon-là.

Elle se releva, reculotta Joël, pensive. Voilà de nouveaux horizons.

– Va rejoindre tes frères, mon chéri, dit-elle.

Joël s'en fut en courant. Au bas de l'escalier, il passa son doigt sur sa culotte entre les fesses, parce qu'il était un peu mouillé. Il haussa les épaules.

Clémentine regagna lentement sa chambre. Ça n'avait pas très bon goût en fin de compte. Un rien de bifteck allait lui faire du bien.

Les débarbouiller entièrement de cette façon-là. Oui.

Car, elle se l'était dit souvent, il est extrêmement dangereux de leur faire prendre des bains. Un instant d'inattention. On tourne la tête, par exemple, on se baisse pour ramasser le savon qui a glissé et qui s'est faufilé derrière le pied du lavabo, hors de portée. Et, à ce moment, il y a une formidable surpression dans les conduites, parce que, subitement, une météorite incandescente est tombée au milieu du réservoir et a réussi à pénétrer dans le canal principal sans exploser en raison de la vitesse affolante; mais, une fois coincée, elle se met à vaporiser l'eau des canalisations et une onde de choc (c'est joli ce mot-là, une onde de choc) se propage à grande vitesse, et, naturellement, il coule bien plus d'eau qu'avant, de sorte que, le temps de se baisser pour ramasser ce savon – d'ailleurs, c'est un crime de vendre des savons de cette forme; ovoïdes et glissants, qui peuvent vous échapper pour un oui, pour un non, et s'envoler n'importe où, et même en tombant dans l'eau, envoyer un microbe dans le nez de l'enfant. Mais voilà que l'eau arrive en masse, et le niveau monte, l'enfant s'affole, il avale, s'étrangle – on peut en mourir – sa pauvre figure violette – asphyxié…