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Jean-Marie approuva, il comprenait vaguement ce qui avait dû se passer.

Un chef, un chef de bande quelconque, un de ces chefs mystérieux, comme il en est, qui donnent des ordres, qui paient, et que l’on voit rarement, avait fait venir la Bande du Bedeau à la pointe Saint-Mathieu, pour prêter main-forte à une de ces cohortes de naufrageurs qui, quoi qu’on dise, sont encore très fréquentes et merveilleusement organisées sur les côtes inhospitalières de la Bretagne.

Jean-Marie, breton d’origine, les connaissait, ces bandes, il savait comment elles procédaient.

Et le sinistre équarisseur se réjouissait à l’idée que dans quelques instants peut-être, il allait pouvoir s’occuper, s’occuper à une besogne sanguinaire, dont son imagination bestiale et cruelle goûtait à l’avance l’âpre volupté.

5 – DÉFI POUR DÉFI

Dans l’infirmerie du Skobeleff, la sœur préposée à la garde des malades du cuirassé, s’affairait, douce et patiente, auprès des deux lits de repos dressés au centre même de la pièce.

— Petit père, disait la brave femme, il faut que tu boives cela. Ne refuse pas, tu me ferais de la peine.

— Mais je ne suis pas malade du tout, que diable.

— Si, si. Tu es fatigué, et après l’effroyable aventure que tu as vécue ce matin, il importe, je t’assure, que tu fasses attention. Tiens, bois. Qu’est-ce que cela te fait, petit père. C’est du rhum et du tilleul.

— Oui, un drôle de mélange.

— Quelque chose qui te fera fort et solide, petit père. D’ailleurs, regarde, tu aurais tort de refuser ce breuvage : ton ami en a pris et tu vois que maintenant il repose très calme et parfaitement bien portant. Plus pieux que toi, sais-tu, petit père ? Il n’a pas refusé de saluer les Saintes Images.

Juve, car c’était Juve auquel la bonne infirmière du Skobeleffadressait ces puissantes exhortations, se souleva sur sa couchette, se pencha, regarda dans la direction que lui indiquait l’infirmière.

Celle-ci n’avait pas menti.

Docilement, Fandor avait absorbé la boisson capiteuse qu’on avait préparée à son intention.

Et maintenant, bien tranquille, étendu de tout son long sur le lit de repos sur lequel il avait été déposé, Fandor dormait avec un grand calme.

Le matin même, Juve et Fandor avaient été miraculeusement repêchés par le Skobeleff, et cela grâce à la manœuvre ordonnée par l’officier de quart, puis par le lieutenant Alexis, alors qu’accrochés à leur épave, ils couraient grand risque de se noyer, de trouver dans les flots tourbillonnants du raz de Sein une mort cruelle.

Depuis, ni l’un ni l’autre n’avaient échangé une parole et Juve devait s’avouer qu’il n’avait plus, somme toute, qu’une idée confuse de la façon dont le sauvetage s’était effectué.

Il n’en éprouvait d’ailleurs qu’une sensation plus pénétrante de calme et de paix à s’éveiller dans la tranquille infirmerie, en cette petite pièce, toute blanche, toute silencieuse, où flottaient de vagues relents de potions et de remèdes et qui semblait un véritable asile.

Quelle que fût cependant sa fatigue, quel que fût l’état d’épuisement où il se trouvait, Juve était bien trop énergique pour se laisser longtemps aller au besoin de somnolence qui l’engourdissait. Aussi, aux injonctions de l’infirmière, le policier qui, brusquement, dans un éveil de sa mémoire venait de songer à Fantômas, se contentait-il de répondre :

— Ma sœur, vous êtes infiniment bonne, mais je vous assure que maintenant, je suis parfaitement rétabli. Je veux bien boire votre potion, mais je ne veux pas dormir.

— Bois toujours, petit père, et on verra.

Des mains de l’infirmière, Juve prenait donc le grand bol fumant, le punch d’un nouveau genre, que la religieuse avait préparé.

Juve but avidement, puis, tout ragaillardi par l’absorption de cette liqueur, s’assit sur la couchette.

— Ma sœur, déclarait le policier, je vous assure qu’il faut m’autoriser à me lever.

Et avant que la religieuse, qui s’effarait des intentions de ce rescapé récalcitrant, eût pu s’opposer à ses désirs, Juve appelait d’une voix forte, bien timbrée :

— Fandor, veux-tu te réveiller, paresseux.

Fandor, à vrai dire, dormait tout son saoul.

Mais le journaliste était trop habitué à toujours se tenir prêt aux pires éventualités pour ne pas, même en dormant de toute son âme, garder le sentiment de ce qui se préparait.

À l’appel de Juve, Fandor brusquement se dressa sur son lit et d’une voix comique, encore tout empâtée de sommeil, répondit :

— Présent, Juve. Bon Dieu, je dormais bien… Que diable voulez-vous ? Ah oui, voilà.

Juve, pour toute réponse, éclata de rire. Et c’était la bonne sœur qui intervint :

— Petit père, cria-t-elle, veux-tu bien laisser dormir en paix ton ami.

Mais elle devait elle-même rester interdite car Fandor éclata lui-même d’un grand fou rire.

— Petit père, répéta le journaliste. Ma foi, Juve, cela vous va très bien.

Puis, comprenant ce qu’avait d’irrespectueux son intempestive gaieté à l’endroit de la garde-malade, Fandor s’efforça de rattraper son sérieux…

— Ma sœur, déclarait le journaliste, d’une voix qu’il voulait raffermir, ne m’en veuillez pas de rire un peu : je ne suis point méchant, mais je ne puis jamais être sérieux plus de dix minutes de suite.

Et comme la religieuse hochait la tête, souriante, Fandor ajoutait pour Juve :

— Ah ça, mon bon ami, mais savez-vous qu’à bord du Skobeleffon nous a parfaitement recueillis tous les deux et que pour deux noyés volontaires, nous apparaissons, somme toute, maintenant, en excellente santé.

— Hum.

Et le policier allait ajouter quelques phrases sceptiques, lorsque soudain, la porte de l’infirmerie s’ouvrit : un officier, le médecin-chef, faisait son apparition :

— Eh bien, mes gaillards, demanda-t-il, vous voilà rétablis, je pense ?

D’un geste spontané, Juve tendit la main au praticien.

— Docteur, répondait-il, croyez bien que sœur Natacha et vous-même, vous avez fait un miracle. Mon ami et moi, nous voici sur pieds.

— Complètement ? pas de malaise ? pas de fièvre ?

— Mais non, docteur, répondit Fandor. Nous sommes même si bien portants que nous étions en train d’exiger notre bulletin de sortie.

— Mon bon ami, vous allez vite en besogne. Voyons d’abord votre pouls ?

Juve laissa le docteur tranquillement ausculter Fandor, et se prêta lui-même à l’examen médical. Mais comme l’homme de l’art gardait un bon sourire, il demanda :

— Vous nous autorisez à nous lever, docteur ?

Le médecin venait de remettre sa montre dans le gousset de son gilet, il hocha la tête :

— Parfaitement ! faisait-il, levez-vous, mes bons amis, il n’y aura d’autre suite à votre aventure que la perte de votre jolie embarcation. Mais, aussi, quelle drôle d’idée avez-vous eue d’aller vous promener par le raz de Sein ? Dès que vous serez prêts, sœur Natacha vous conduira sur le pont, vous trouverez à l’escalier de la coupée un planton qui vous conduira vers notre Commandant, notre nouveau Commandant, qui désire vous parler.

Le médecin cependant, après un cordial salut à la sœur Natacha, venait de quitter l’infirmerie.

— Debout, Juve.

— Debout Fandor.