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Les deux amis en un clin d’œil se jetèrent à bas de leur couchette.

Mais comme Juve passait sa veste et machinalement tâtait sa poche, il étouffait un juron :

— Bigre de nom…

Sœur Natacha accourut.

— Ah ! petit père, déclarait la bonne religieuse, tu t’étonnes de ne point retrouver tout ce que tu avais dans tes poches ? Ne te fâche pas ! vois-tu, on te rendra tes armes quand tu quitteras le Skobeleff, à notre prochaine escale, mais, ici, l’ordre est formel : j’ai dû faire porter ton revolver, ainsi que celui de ton ami à notre capitaine d’armes.

Il n’y avait rien à dire. Juve fronça les sourcils.

***

Sous la conduite de sœur Natacha, ainsi qu’il avait été convenu, Juve et Fandor au sortir de l’infirmerie avaient suivi un étroit petit couloir, puis étaient arrivés en une sorte de vestibule où débouchait un tortueux escalier menant sur le pont.

Avec un bon sourire, sœur Natacha les quitta alors, en bas des marches :

— Montez, disait l’excellente religieuse, et Dieu vous garde, petits pères. Je ne vous oublierai point dans mes prières aux Saintes Images. Pour vous, souvenez-vous quelquefois de sœur Natacha qui fut heureuse de vous soigner. Montez donc, mes petits pères, les règlements du bord m’interdisent à moi, pauvre femme, de paraître sur le pont, mais vous trouverez en haut de ces degrés un planton qui vous conduira à notre Commandant.

Que répondre ?

— Ma sœur, disait le policier, fouillant dans son portefeuille et en tirant un billet de banque, vous avez bien, quelque part, un pauvre malade à qui vous vous intéressez ? Voilà de quoi améliorer son sort.

Et Fandor avait ajouté :

— Mais ne croyez pas, ma sœur, que nous pensions, avec un peu d’argent, payer vos soins. Vous saurez peut-être, quelque jour, que les deux pauvres diables que vous avez aidés sont de braves gens. Si vous ne les oubliez pas, ils ne vous oublieront pas eux non plus.

L’escalier qui menait au pont était long et étroit. Juve marchant devant, Fandor suivant le policier, le gravirent pourtant en moins d’une minute, car il leur prenait une hâte extrême de se trouver en face du commandant du Skobeleff.

Qu’allait-il se passer ?

Fantômas les avait-il reconnus alors qu’on les repêchait ?

À mi-chemin, Juve s’arrêta et regardant Fandor :

— Mon petit, déclara froidement le policier, tu comprends bien, j’imagine, l’importance de la partie que nous allons jouer ? nous n’avons aucune arme. Matériellement, nous sommes dans ses mains. Moralement, nous sommes en son pouvoir. S’il lui fait plaisir de nous envoyer par-dessus le bastingage piquer une tête dans l’Océan, rien ne peut s’opposer à l’accomplissement de sa fantaisie. Par conséquent…

— Par conséquent, conclut le journaliste, en poussant doucement le policier qui s’était retourné vers lui, par conséquent ne perdons pas de temps !

Juve tendit sa main à Fandor. Puis Juve haussa les épaules :

— Allons, Fandor.

— Allons.

Ils trouvèrent un fusilier-marin au débouché de l’escalier.

Fandor et Juve suivirent leur guide, sans mot dire, et fort occupés à résister aux surprises du roulis et du tangage. Ils passèrent sur cette partie du pont que l’on appelle « la plage », encombrée d’engins formidables, de canons aux culasses reluisantes, aux mécanismes complexes, de mitrailleuses, à peine reconnaissables sous les housses de toile épaisse qui les garantissaient des intempéries. Ils arrivèrent enfin :

— Entrez, petits pères.

Le brave matelot qui, sans doute, ne connaissait que quelques mots de français, car si tous les Russes de haute condition tiennent à honneur de parler couramment notre langue, il n’en est pas de même chez le peuple, venait de pousser une porte toute ceinturée d’épaisses barres de cuivre, garnie d’un robuste vitrage dépoli, qui donnait accès dans une sorte de petit salon attenant à la cabine du Commandant. Juve et Fandor entrèrent. Fantômas allait-il paraître ? Juve et Fandor entendirent la voix du bandit. Il murmura quelque chose d’incompréhensible, peut-être un mot russe, le fusilier entrouvrit la porte à laquelle il venait de frapper, puis il s’effaça, il répéta, regardant Juve et Fandor :

— Entrez.

Et les deux amis pénétrèrent dans la cabine où se trouvait Fantômas.

C’était une pièce, petite, mais confortablement meublée, toute garnie de tapis et de tentures. Au fond se trouvait un lit de dimensions exiguës, devant lui, une table-bureau surchargée de papiers. Les chaises étaient fixées au sol. Un jour timide et blême pénétrait par des hublots s’ouvrant sur le pont.

Pas plus que Fandor, toutefois, le policier ne s’attardait à regarder les détails de l’installation de la cabine du Commandant du Skobeleff. Au premier coup d’œil, en effet, Juve avait aperçu, assis derrière le bureau, le monstrueux criminel, celui qui se donnait pour le commandant du Skobeleff, Fantômas.

Juve, très à son aise, avec un léger signe de tête, tranquillement, salua en disant :

— Bonjour.

Fantômas, ne sourcilla pas.

Si Juve était à son aise, le bandit ne paraissait nullement troublé : imitant la voix de Juve, plagiant son intonation, il riposta :

— Bonjours, Juve. Bonjour, Fandor. Vous allez bien ? Oui ? Vraiment ? Allons, tant mieux.

Puis, jugeant sans doute qu’il avait sacrifié suffisamment à l’ironie, brusquement, avec cet art de parfait comédien qui faisait une grande partie de sa force, Fantômas changea de ton :

— Ah ça, demanda-t-il, d’une voix qui était devenue brève et impérative, j’imagine que vous allez me fournir une explication ?

Mais jamais Fantômas ne devait surprendre Juve. À sa phrase qui était presque une menace, Juve haussa les épaules.

— Nous fournirez-vous des justifications, vous, Fantômas ?

— Des justifications, Juve ? à quoi ? Que voulez-vous savoir ?

Fantômas éclata de rire : puis il ajouta :

— Sans doute vous prétendez que je vous livre mon but ? Le plan que je poursuis ? Vous êtes monté à bord du Skobeleffpour apprendre où Fantômas menait le Skobeleff ? C’est cela ?

— Nous sommes montés, répondit-il, parce que la malchance nous a fait naufrager devant votre bâtiment.

Là encore, Fantômas éclata de rire :

— Allons donc, vous plaisantez. C’est enfantin.

Et changeant encore une fois de ton, devenant insinuant, Fantômas reprit :

— Juve, jadis, nous avons eu à lutter ensemble, à lutter, mon Dieu, la chose fut amusante, contre les Autorités. Vous rappelez-vous les aventures de Tom Bob ?

— Certes, mais où voulez-vous en venir ?

— Vous allez le savoir. À ce moment, Juve, je me souviens fort bien que nous jouâmes certaine partie de cartes intéressante au plus haut point. Je vois à votre air que vous ne l’avez pas oubliée non plus ? Mais vous rappelez-vous tout spécialement mon cher Juve, la façon dont nous jouâmes cette partie ?

— Je ne vous comprends pas.

— Eh bien, vous allez me comprendre : Nous jouâmes, alors, cartes sur table. Voulez-vous que nous recommencions à jouer ainsi ?

Il fallait en vérité que Fantômas eût une belle impudence pour oser parler sur ce ton à Juve.

Ce n’était pas, toutefois, le moment de discuter avec lui, d’user de formalisme.

Juve, brusquement, se leva :

— Soit, déclara le policier, cartes sur table. Jouons franc jeu, Fantômas. Dites-moi quel but vous poursuivez, dites-moi ce que vous comptez faire, je vous dirai ce que je vais tenter.

Mais pour toute réponse, nouvel éclat de rire de Fantômas.

— Franchement, déclara le bandit, votre ami, monsieur Fandor, est déconcertant. Cartes sur table me dit-il, mais quelles cartes a-t-il donc dans la main à retourner contre moi ? Juve, vous me dites : « Confessez-moi votre but, je vous confesserai le mien. » Quel but pouvez-vous avoir, mon bon Juve ? Vous voici à bord du Skobeleffet c’est superbe à vous d’être parvenu à embarquer de force à mon bord, car, je n’ai pu empêcher votre sauvetage, c’est entendu, mais, maintenant, que pouvez-vous contre moi ? Pensez-vous me démasquer ? Non, n’est-il pas vrai ? Vous ne pouvez tenter un pareil scandale, vous n’avez aucune preuve, on vous croirait fou, le médecin de ce bord serait le premier à appuyer l’ordre d’une mise aux fers que je ne manquerais pas de donner. Alors ?