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— Eh bien, Juve ? en avant pour les catastrophes. Voilà dix ans que nous nous débattons dans les luttes les plus insensées, au milieu des périls les plus caractérisés, que diable, nous n’en sommes plus à économiser quatre jours d’aventures ?

***

À midi et demi, après un bon déjeuner qu’ils avaient arrosé d’un vin d’excellente qualité, Juve et Fandor se retrouvaient, assis dans le jardinet formant la cour du petit hôtel où ils étaient descendus.

Mais tandis que Juve, une heure auparavant, était silencieux, un peu sombre, alors que Fandor était de bonne humeur, suivant son habitude, c’était exactement tout le contraire aujourd’hui. Juve plaisantait et Fandor boudait.

— Mon petit, expliqua le policier parlant à haute voix, n’ayant nullement l’air de redouter que l’on entendît ses paroles, mon petit, il faut se faire une raison. Puisque nous avons été assez heureux pour sauver le portefeuille rouge du naufrage du Skobeleff, il faut que nous employions tous les moyens possibles pour arriver à voyager avec lui jusqu’à Paris sans nous exposer à ce qu’on nous l’enlève. Voyons, que proposes-tu ? Où cacher le portefeuille ?

— Que diable, vous êtes fou de parler ainsi Juve ? Voilà que vous criez maintenant à tous les échos que nous détenons le portefeuille ? Ah çà, vous n’avez donc pas aperçu Ellis Marshall et Sonia qui dînent sous cette tonnelle, à moins de cinq mètres de nous et qui certainement ne perdent pas de vue un seul de nos mouvements ? Vous voulez donc que nous ayons tout le monde à nos trousses ?

— Peu nous importe, va. Nous serons bien assez malins pour déjouer leur poursuite, et puis, d’abord, là n’est pas la question. Comment proposes-tu de faire voyager le portefeuille rouge ? Réponds.

— Eh bien que diriez-vous de cette proposition : cacher cette maudite serviette de maroquin dans un train ? Nous prendrions le train suivant.

— On fait dérailler un train, Fandor.

— Alors, si nous frétions une automobile ?

— Encore plus sot, Fandor. Une automobile a des pannes, brûle. Trouve autre chose.

— C’est difficile. Tiens, au fait, pourquoi n’enverrions-nous pas le document par la poste ?

— Parce que l’on vole à la poste.

— Vous avez raison. Mais vous êtes bien difficile. Que proposez-vous, vous ?

Juve décidément avait complètement perdu ses habitudes de prudence. Ostensiblement et alors qu’il savait les deux agents Sonia et Ellis Marshall embusqués à quelques pas de lui, il tira de sa poche le fameux portefeuille rouge.

— Mon petit Fandor, la meilleure cachette que je connaisse la voici : le portefeuille est dans ma poche. Il y restera jusqu’au moment où je le remettrai au lieutenant prince Nikita. J’imagine qu’on ne me le prendra pas à mon insu. D’ailleurs, pour plus de sûreté et pour occuper les quatre jours qui nous séparent du moment où nous pourrons nous en débarrasser, Fandor : voyageons à petite journée. Ce soir allons coucher à Morlaix. Demain nous irons un peu plus loin.

Le policier soudain, éclata de rire :

— Ma foi, Fandor, continua Juve, – mais maintenant le policier parlait à voix basse, – je crois que nous avons merveilleusement joué notre comédie. Tu entends ce ronflement de moteur ? Il y a gros à parier que c’est la voiture de Sonia et d’Ellis Marshall qui démarre. Quand j’ai dit : « Nous coucherons à Morlaix », j’ai parfaitement vu le couple tressaillir de joie. Ces imbéciles vont aller nous attendre sur la route. Ces imbéciles vont nous arracher ce fameux maroquin.

— Qu’ils ne nous enlèveront pas.

— Et pour cause.

Puis Juve, amicalement, pressa Fandor :

— Et maintenant, mon petit, allons acheter quelques vêtements de rechange, une valise et filons tout droit sur Morlaix, comme je te le disais tout à l’heure.

8 – DEUX MONSTRES

Un bruit de pas, un froissement d’herbe, quelques grognements sourds, le bruit d’une lutte rapide dans l’ombre, puis soudain la lueur blafarde d’un rayon de lune perçant la dentelure des ruines de la cathédrale gothique édifiée jadis sur la pointe Saint-Mathieu.

Deux hommes se trouvaient en présence, ils haletaient l’un et l’autre. Ils venaient de se battre.

Ces deux hommes étaient seuls dans la nuit et celle-ci se poursuivait, froide, sombre, silencieuse ; au large, la mer s’était calmée. On n’entendait plus que le bruit discret et monotone des vagues longues et nonchalantes déferlant au loin.

Les deux hommes s’examinaient sans songer à reculer ou à avancer d’un pas. Farouches, mais autant l’un d’eux paraissait lourd, vulgaire, robuste, massif, autant l’autre avait une apparence fine, distinguée, élégante et majestueuse.

Le premier de ces hommes était Jean-Marie.

Jean-Marie, soudain, s’était senti empoigné à l’épaule, il n’avait pas autrement résisté. Depuis vingt-quatre heures qu’avait eu lieu le naufrage du Skobeleff, il vivait dans la crainte, redoutant à chaque instant que sa complicité avec les naufrageurs n’eût été soupçonnée, qu’on ne vînt l’arrêter.

Mais peu à peu, après la résistance machinale qu’il avait opposée à l’homme surgi de l’ombre pour se précipiter sur lui, Jean-Marie l’étudiait avec une certaine curiosité.

Il était enveloppé dans un grand manteau noir. Sur son front s’abaissait un chapeau mou noir, à grands bords souples.

— Que fais-tu par ici, Jean-Marie ?

— Vous regarde pas.

— Parle, je veux savoir.

— On m’interrogera plus tard si l’on veut, pour le moment je ne dirai rien, j’aurai bien le temps de causer au poste, fit Jean-Marie.

— Me prends-tu donc pour un gendarme ?

— Non, mais pour un flic en civil.

— Tu te trompes, Jean-Marie. Je suis mieux que cela, tu ne m’as donc pas reconnu ?

— Non.

L’homme se pencha plus près encore de l’oreille du Breton, et, lentement :

— Je suis Fantômas, dit-il.

— Ah, répondit Jean-Marie, tant mieux, ou tant pis pour vous.

— Jean-Marie, poursuivit le bandit, sais-tu qu’il me suffirait d’une seconde de volonté pour t’abattre immédiatement à mes pieds. Tu n’as pas d’arme.

Jean-Marie haussa les épaules :

— À quoi cela vous servirait ? Vous êtes donc fou ? ou alors est-ce que vous avez l’intention de tuer pour le plaisir ?

— Je ne tue jamais sans raison. J’ai simplement voulu, Jean-Marie, te faire remarquer que tu étais en mon pouvoir.

Le Breton secoua lentement la tête :

— Je ne dépends de personne, on ne peut s’assurer les services de Jean-Marie qu’en lui donnant un peu d’or, le reste me laisse froid, je n’ai qu’un amour au monde, je n’ai qu’une passion.

Fantômas glissa dans la main velue du Breton quelques louis.

— Quel est donc ton métier ?

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Pour savoir. On pourrait t’employer.

— Je sais tuer comme personne : je suis équarrisseur. Voilà longtemps, très longtemps déjà que je n’ai rien fait. Il faut que je reprenne le métier, je regrette Paris, voyez-vous, et j’y retournerai bientôt.

— C’est là, sans doute, Jean-Marie, que tu retrouveras tes amours. J’ai entendu dire qu’une certaine Fleur-de-Rogue…

— Je me moque des femmes, et ne ferais pas un pas pour elles. Je n’ai qu’un amour, vous ai-je dit, qu’une passion.

— Laquelle ?

— Le sang, je veux voir couler du sang.

Fantômas, qui avait maintes fois entendu parler, dans les milieux d’apaches auxquels il commandait mystérieusement, de Jean-Marie l’équarrisseur et de sa cruauté proverbiale, se disait qu’il y avait évidemment là un serviteur précieux dont il convenait de s’assurer les bonnes grâces.