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— Diable de diable dit Fandor, qui soudain, s’était immobilisé et fixait un personnage avec des yeux littéralement ahuris. Qui est-ce donc ? J’ai déjà vu ce bonhomme-là. Mais où ?

Et délibérément dès lors, Fandor se hâta pour rejoindre le passant et le regarder à loisir.

Le passant, bien évidemment, ne se doutait nullement qu’il était suivi par Fandor.

Peut-être n’avait-il aucune raison de vouloir éviter que l’on observât ses démarches ?

Très naturellement, après avoir traversé le champ de foire, il alla s’arrêter à l’entrée d’un humble baraquement dont l’enseigne, éclairée à giorno par une abondance de lampions, portait ces mots alléchants :

«  À la femme qui tue, sans tuer. »

Évidemment, l’homme allait entrer à la suite de la foule pour assister à la séance.

Fandor arriva tout juste pour le voir passer de l’autre côté du petit bureau servant de contrôle, où siégeait, imposant et digne, vêtu d’un extraordinaire uniforme de vieux général, un mince vieillard, patron de l’établissement…

— Miséricorde songea Fandor, que dirait Juve, dans son wagon, probablement endormi, s’il me voyait en train de baguenauder dehors à la poursuite d’un inconnu que je crois reconnaître ?

Le journaliste était toutefois trop têtu pour renoncer à sa poursuite.

À son tour, il franchit les degrés de l’estrade, à son tour, il entra voir la femme qui « tuait sans tuer ».

Debout sur la scène ménagée au fond de la tente, le journaliste aperçut une femme, une jeune fille plutôt, une jeune fille qu’il reconnut parfaitement, qu’il ne pouvait pas ne pas reconnaître, qui n’était autre qu’Hélène.

Oui, Hélène, la fille de Fantômas, la malheureuse et innocente enfant du Maître de l’Effroi.

Comment Hélène se trouvait-elle là ?

Le jeune homme, toutefois, était bien trop maître de lui-même pour trahir ses impressions.

À peine avait-il reconnu en entrant dans la baraque la fille de Fantômas, qu’il se jeta en arrière, se dissimulant dans un coin sombre de la tente…

— Morbleu, songeait Fandor à ce moment, je vais laisser finir le spectacle et il faudra bien, coûte que coûte, la toile tombée, que j’obtienne un entretien de cette énigmatique enfant. Sait-elle seulement si son père est sauf ? Pourquoi est-elle là ? n’est-elle pas devenue sa complice ?

Mais le spectacle débutait. La mère Zizi – car l’établissement dans lequel Fandor venait de pénétrer était l’établissement forain du père Zizi – s’avançait et annonçait :

— Messieurs et Mesdames et vous aussi, militaires la jeune femme, merveilleusement belle, que vous avez devant vous va avoir l’honneur d’exécuter avec l’un des honorables membres de la société, qui voudra bien se désigner lui-même, un exercice éminemment intéressant et émouvant, l’exercice du sabre magique. Messieurs et Mesdames, la jeune fille merveilleusement belle va prendre le fusil de chasse que voici, et que vous pouvez examiner dans tous les sens. Elle va charger ce fusil avec la cartouche que voici, et que vous pouvez encore examiner vous-mêmes, afin de vous assurer visuellement qu’elle n’est point truquée. Puis, elle épaulera son arme, elle visera l’amateur qui voudra bien tenter cet exercice. Et si c’est un honnête homme s’il n’a rien à se reprocher, grâce à la vertu du sabre magique que je lui donnerai, non seulement cet amateur ne sera pas tué, mais encore il retrouvera dans sa poche, la balle qui se trouve dans cette cartouche, et cette balle sera enveloppée dans une feuille de papier, où sera disposée, encore, la somme de deux sous, dix centimes.

Et subitement, avec cet esprit de décision qui lui était particulier, voilà que Fandor, en bon gavroche qu’il était, se sentit pris du désir de faire une bonne blague.

La mère Zizi, à ce moment, demandait :

— Un amateur qui veut éprouver la vertu du sabre magique ?

— Moi, dit Fandor.

Or, en même temps que Fandor sautait sur l’estrade, prêt à affronter le feu à coup sûr inoffensif de « la merveilleuse jeune femme », voilà qu’à nouveau son regard se croisait avec le regard du colosse, et il semblait à Fandor qu’il démêlait comme une sombre expression de haine dans les yeux de l’individu.

Fandor, toutefois, était bien trop occupé pour prêter plus longue attention au personnage.

Rapidement, la mère Zizi passa près de Fandor, et le journaliste sentit parfaitement qu’on lui glissait dans la poche la balle et la pièce de deux sous.

— Parbleu, pensait à ce moment Fandor, quand Hélène va lever les yeux pour me viser et qu’elle va m’apercevoir…

La fille de Fantômas au commandement leva la tête, en effet, fit machinalement le geste d’épauler le fusil.

— Feu, commanda la mère Zizi.

Une détonation.

Mais en même temps que le claquement sec de la cartouche, deux cris, deux cris terribles retentirent dans la baraque.

Et tout de suite, dans la foule, une panique se produisit :

— Arrêtez-la, arrêtez-la.

— À l’assassin, à l’assassin !

Que s’était-il donc passé ?

Au moment même où la fille de Fantômas levant la tête avait aperçu Fandor, elle avait poussé un cri et appuyé sur la détente. Et, à trois mètres d’elle, elle avait vu s’écrouler, atteint à l’épaule, dangereusement peut-être, le malheureux Jérôme Fandor.

***

Dans le public, un quart d’heure après, tandis que Fandor était emporté à une pharmacie voisine où on lui prodiguait les premiers soins, tandis que l’on entraînait vers la prison la malheureuse fille de Fantômas que le public voulait lyncher, un homme s’agitait, hurlait, ameutait les badauds, une sorte de colosse au visage bestial et repoussant : Jean-Marie.

Dans la poche de cet individu si quelqu’un avait pu fouiller, on aurait retrouvé une cartouche truquée, la cartouche préparée par la mère Zizi et à laquelle il avait criminellement substitué une autre cartouche, chargée, celle-là.

Jean-Marie, tout en ayant l’air furieux, était en réalité au comble de la satisfaction.

— Voilà, songeait l’ignoble apache, j’ai tenu ma promesse. Le Maître sera content. J’ai retrouvé sa fille. Je l’ai fait arrêter. Il la reprendra quand il voudra. Et puis j’ai vu du sang, du beau sang rouge. Le sang de cet imbécile de journaliste.

13 – MYSTÈRES ET PRÉCAUTIONS

Le train n’avait qu’une demi-heure de retard, et lorsqu’il vint se ranger le long du quai d’arrivée, à la gare Montparnasse, un homme en descendit précipitamment. Bien qu’il parût très préoccupé de regarder fixement devant lui l’employé portant sa valise, il jetait néanmoins de furtifs coups d’œil, à droite et à gauche, sur les voyageurs qui comme lui descendaient de ce train, lequel pour arriver de Rennes à Paris avait roulé pendant une bonne partie de la nuit.

Descendu, le voyageur sortit place de Rennes, héla un taxi-auto, et d’une voix claire et nette, bien timbrée qui pouvait être entendue des passants, il jeta au conducteur une adresse :

— Rue de la Banque.

Le véhicule démarrait aussitôt, et conduisait son client à l’endroit indiqué.

Le voyageur, alors descendit sa valise, mais garda le véhicule : il alla déposer son colis sous la voûte d’un immeuble, puis revint parler au mécanicien et cependant qu’il lui glissait le prix de sa course, augmentée d’un bon pourboire, dans la main, il lui ordonnait à voix basse :

— Vous allez rester ici m’attendre pendant dix bonnes minutes, après quoi vous serez libre de vous en aller.

Le voyageur, alors, entra sous la voûte, traversa la cour intérieure de la maison, s’introduisit dans un petit couloir et comme quelqu’un qui est fort au courant de la disposition des lieux, il ne tardait pas à gagner la cour intérieure d’une maison mitoyenne dont la façade donnait sur la rue Notre-Dame-des-Victoires.

Sous la voûte de cette deuxième maison, dans laquelle personne ne se trouvait, le voyageur à la valise profita de sa solitude pour, d’un geste brusque et certainement inattendu, arracher la barbe qui encadrait son visage ; et les traits d’un homme glabre alors apparurent, au visage énergique.