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— C’est entendu, fit Juve, mais vous mort, on s’en emparerait aussi facilement que d’un caillou sur la grand-route, ou que d’un tableau au Musée du Louvre.

— Que puis-je faire ? interrogea le lieutenant.

— Il faut, expliquait Juve, simplement ne pas vous mettre dans le cas de risquer votre existence. Dans les circonstances actuelles ce serait mal servir les intérêts de l’Empereur.

— Bien, monsieur, fit le lieutenant, dites-moi donc ce que je dois faire.

Je dois tout d’abord vous dire que, depuis mon arrivée à bord du «  Skobeleff, » car j’étais à bord de l’infortuné navire, jusqu’au moment où j’ai pris le train hier pour Paris, j’ai été l’objet, ainsi que mon meilleur collaborateur, des attaques les plus audacieuses et des vols les plus téméraires. Il est bien évident que j’aurais été dépouillé, au moins deux ou trois fois pour une, du portefeuille rouge contenant le document secret si j’avais eu l’imprudence de le porter sur moi.

— Vous n’avez donc pas le document ?

— Je n’ai rien du tout, et c’est fort heureux. Le document est en parfaite sécurité là où je l’ai laissé. C’est vous, lieutenant prince Nikita, vous que nos adversaires ne connaissent pas, qui allez partir le chercher, vous le trouverez là où je l’ai mis, vous le rapporterez à votre maître, pendant ce temps je continuerai à dérouter nos poursuivants, en multipliant les maladresses, les imprudences, en faisant l’impossible pour les induire en erreur.

— C’est un jeu dangereux que vous jouez là, monsieur.

— C’est un bon jeu, fit Juve simplement.

— Où dois-je aller chercher le document, monsieur ?

Juve se leva, alla à son bureau, en tira une carte d’état-major et, mettant le doigt au milieu de la carte, déclara :

— C’est ici que vous irez chercher le document.

Et comme l’officier paraissait de plus en plus intrigué, Juve lui expliquait :

— J’avais réussi à savoir où se trouvait le portefeuille à bord du Skobeleff, lorsque soudain le navire vint à s’échouer. Le naufrage avait-il été prémédité ou non ? je suis partisan de la première hypothèse, mais là n’est pas la question : profitant de l’émotion générale et cependant que les flots tumultueux envahissaient le navire, j’ai pris ce portefeuille. Je suis tombé à la mer avec, et fort heureusement j’ai pu me sauver. Mais, par malheur, le plus redoutable adversaire que j’avais, que nous avions et que nous avons encore dans cette affaire, a échappé lui aussi au désastre et j’ai deviné que, me sachant possesseur du document, il allait mettre tout en œuvre pour me le reprendre. J’avais à le conserver quatre jours, jusqu’à votre arrivée. Je l’ai immédiatement dissimulé dans une anfractuosité de la falaise qui constitue un abri sûr, une cachette presque inaccessible, et, jouant les lièvres du rallye, j’ai aussitôt orienté mes poursuivants sur ma trace. Vous comprenez, n’est-il pas vrai, mon procédé ? Il est fort simple, et il ne me reste plus maintenant qu’à vous préciser, lieutenant, l’endroit exact de la falaise où il faudra vous rendre pour retrouver le document.

Dix minutes encore, le policier expliqua au lieutenant prince Nikita l’endroit exact de la cachette.

À peine le prince Nikita avait-il quitté l’appartement de Juve que Joseph apportait une dépêche.

Elle était signée Fandor :

«  Hélène arrêtée, lettre suit ».

Le télégramme venait de Rennes.

Juve demeura perplexe.

Ainsi donc on avait retrouvé la trace de la fille de Fantômas et celle-ci s’était laissée prendre ? Mais dans quelles conditions ? Le téléphone sonna. Joseph alla répondre.

— Qu’est-ce qui se passe ? interrogea Juve d’une voix qui tremblait d’émotion.

— Chef, c’est le chef de mon chef qui désire parler à mon chef.

— Qu’est-ce que vous me chantez là ?

Joseph, de plus en plus troublé, allait répéter sa phrase obscure, aux allures de rébus, mais Juve, précipitamment, avait couru à l’appareil. À l’autre bout du fil il reconnaissait la voix du Directeur de la Sûreté, de M. Havard, qui lui disait :

— C’est vous Juve ? Je suis bien content de vous savoir rentré à Paris. Passez donc d’urgence à mon bureau, il importe que nous nous mettions d’accord sur les mesures à prendre à l’occasion de la prochaine arrivée à Paris de l’Empereur de Russie. Et puis vous me raconterez l’affaire du Skobeleff. Qu’est-ce que c’est donc que cette histoire-là ? J’imagine que Fantômas y est pour quelque chose.

— Peut-être, répondit Juve qui, prenant son chapeau et son pardessus, partit aussitôt pour la Préfecture de Police.

14 – L’HEURE FATALE

— Je sors pendant une heure.

— Yes, mister Bolton.

— Je rentrerai d’ailleurs assez tôt.

— Yes, mister Bolton.

— Et demain matin vous me réveillerez à cinq heures et demie précises.

— Yes, mister Bolton.

Cependant que le client du Britannic-Hôtelqui donnait ainsi ses instructions, nettes et précises, s’exprimait dans un français très pur, bien qu’il eût l’aspect caractéristique d’un naturel d’Outre-Manche, le garçon s’obstinait, lui, à lui parler dans la langue de Shakespeare, qu’il écorchait.

Néanmoins, les deux hommes s’étaient très facilement compris et le voyageur sans répondre aux salutations exagérées du domestique, fit avancer une voiture devant la façade de l’hôtel de la rue de Rome et y monta aussitôt.

Fred Bolton se fit conduire à toute allure à la gare du Nord. Il changea de véhicule après avoir passé à la consigne d’où il retira une valise. Puis, il ordonna au cocher de le mener rue Duphot, à l’hôtel de la Paix. Lorsqu’il descendit de voiture, l’homme à l’allure anglaise avait changé d’aspect. De roux qu’ils étaient précédemment, ses cheveux étaient devenus bruns. Lorsqu’il se présentait au bureau de l’hôtel, la caissière, dont il était évidemment connu, le salua d’un :

— Bonjour, monsieur Archinet, familier et cordial.

— Chère madame, donnez-moi, je vous prie, la chambre du rez-de-chaussée, vous le savez, l’état de mon cœur m’interdit les escaliers, ainsi que l’ascenseur.

La caissière appela un domestique qui prit les bagages du voyageur, cependant, qu’aimable, toujours, elle répondait à celui-ci :

— Nous connaissons vos habitudes, monsieur Archinet, la chambre que vous occupez d’ordinaire est à votre disposition.

— Eh bien, poursuivit ce bizarre habitué de l’hôtel, je suis très fatigué, je comptais aller voir mes enfants ce soir, mais la banlieue me fait peur. Elle est trop loin. Je vais me coucher. Inutile de me réveiller. Demain, au petit jour, je partirai pour me rendre comme d’ordinaire chez mon gendre, à Boissy-Saint-Léger. Et il est probable, mademoiselle, que je n’aurai pas le plaisir de vous voir demain matin.

— En effet, monsieur, poursuivit la caissière, je veille ce soir jusqu’à minuit. Ce sera ma remplaçante.

L’individu qui, à l’hôtel de la Paix, répondait au nom d’Archinet, ne tarda pas à éconduire le garçon exagérément complaisant qui s’éternisait dans sa chambre.

Sitôt le serviteur parti, il ferma sa porte à double tour, éteignit, mais il ne se coucha pas.

Le mystérieux M. Archinet entrebâilla sa fenêtre, s’assura que la cour sur laquelle elle donnait, était absolument déserte, il enjamba alors le petit balcon, puis, se dissimulant le long du mur, il gagna la sortie de service de l’hôtel et se retrouva dans la rue sans que personne eût pu soupçonner son départ.

Frédérik Bolton qui, rue Duphot, s’appelait M. Archinet, prit alors une troisième voiture qui le transporta rue des Saints-Pères où il descendit devant un troisième hôtel aux apparences modestes mais confortables, qui portait pour enseigne : Aux Amis de la Gironde.