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M. Bolton-Archinet avait encore changé de physionomie. Il avait sur ses cheveux naturels, une perruque blanche et sa lèvre rasée s’ornait d’une épaisse moustache grise.

Le patron, un robuste Gascon, vint à lui, la main tendue :

— Hé, tiens, M. Collimasque. Quel bon vent vous amène ?

— Mon cher patron, répondit l’énigmatique voyageur, ce n’est pas le vent mais le chemin de fer, je descends de la gare d’Orsay à l’instant même, j’arrive de Bordeaux.

— Une chambre, monsieur Collimasque ?

— Bien entendu, patron.

— Voulez-vous le 23, on y est très bien, vous en avez l’habitude.

— Va pour le 23, répliqua avec enjouement celui qui, successivement venait d’être appelé Bolton, Archinet et Collimasque. Seulement je ne monte pas me coucher de sitôt, voilà bien trois semaines que je ne suis pas venu à Paris, vous pensez bien que j’ai envie de faire un petit tour.

— L’hôtel est ouvert toute la nuit, faites donc comme chez vous.

— Oh, comme chez moi, poursuivit le voyageur, mieux que chez moi, car je vous promets bien qu’à Bordeaux, si je m’avisais de rentrer après onze heures du soir, la bourgeoise ferait une musique épouvantable.

— Tandis qu’à Paris, ni vu ni connu…

— Surtout, comme je rentrerai peut-être tard, ne me faites pas réveiller. Je descendrai bien tout seul.

À peine avait-il regagné la rue des Saints-Pères que le personnage aux trois noms, reprenait encore une voiture, et ce n’était pas pour se faire conduire dans les endroits de plaisir comme en fréquentent volontiers les provinciaux à Paris. Le pseudo vieillard donna à son automédon, l’adresse du Britannic-Hôtelet, quelques instants après, M. Collimasque, qui rue Duphot venait d’être M. Archinet, redevenait l’Anglais Frédérik Bolton au Britannic-Hôtel.

Lorsque le faux Anglais eut regagné sa chambre, ayant soigneusement fermé les rideaux des fenêtres, il tourna le commutateur et se mit en devoir d’enlever sa perruque, de supprimer les favoris roux qu’il avait substitués depuis quelques instants à sa moustache grise et il apparut enfin tel qu’il était.

Ce mystérieux individu n’était autre que Fantômas.

C’était bien le bandit qui, désormais, seul et sans témoin, ne jouait plus de comédie, ne tenait plus de rôle. Il se déshabilla lentement, le front soucieux, puis, une inspiration subite le détermina à remettre sa perruque rousse et ses favoris jaunes. Il sonna alors, se fit monter par le garçon de l’eau chaude et les journaux du soir, puis il boucla sa porte.

***

Fantômas, machinalement, avant de se mettre au lit, avait déchiré la bande d’un journal qu’il déployait devant lui.

Mais, le bandit ne lisait pas : il était préoccupé. Soudain, celui que l’on avait tant de fois qualifié d’insaisissable, et qui ce soir-là se disposait à passer une nuit paisible et tranquille comme la nuit du plus honnête des bourgeois, tressaillit soudain en considérant le journal qu’il avait sous les yeux.

Cette feuille, en effet, portait la date du 24 mars.

Le bandit tira sa montre :

— Dix heures, fit-il, et dire que je n’y songeais plus. Me suis-je donc trompé de jour ? Non pourtant. Nous sommes bien aujourd’hui le 24.

La pensée de Fantômas se reportait à quelques journées en arrière, à la conversation avec le sinistre équarrisseur rencontré sur la falaise bretonne, avec l’énigmatique et mystérieux Jean-Marie, au rendez-vous avec lui. Tant pis, il n’y serait pas. Il avait dépêché Jean-Marie aux trousses de sa fille et l’émotion qu’il éprouvait donc ce soir-là en s’apercevant que l’on était le 24 mars, qu’il était 10 heures 1/4 du soir et qu’il avait rendez-vous dans un quart d’heure, à six cents kilomètres de là, n’était qu’une émotion rétrospective, car il se doutait bien que s’il manquait au rendez-vous, Jean-Marie, lui non plus, n’avait pas pu s’y rendre. Fantômas se rassura, mais sa tranquillité ne devait être que de courte durée.

En effet, comme il parcourait le journal, le bandit ne put retenir un cri d’angoisse. Il lut un fait-divers, le relut avec attention, poussa des exclamations étouffées, puis, devint tout pale, cependant qu’une inquiétude extrême se peignait sur son visage.

La dépêche envoyée au journal, dépêche datée de Rennes et réduite à quelques lignes, était ainsi conçue :

«  Au cours d’une expérience de tir effectuée dans les faubourgs de notre ville par une jeune fille employée dans la baraque de deux romanichels, répondant au nom du Père et de Mère Zizi, un accident qui aurait pu être grave s’est produit Les cartouches que l’on croyait chargées à blanc, étaient chargées à balles et la jeune bohémienne feignant de tirer sur un spectateur qui s’était offert comme compère bénévole, a failli tuer ce malheureux. On a procédé à l’arrestation de l’involontaire coupable qui, n’ayant pu justifier de son identité a été conduite au Commissariat de Police, puis écrouée à la prison de Rennes. »

— Hélène, murmura Fantômas, Hélène est arrêtée. Qu’a-t-il bien pu se passer ? la malheureuse, que va-t-il advenir d’elle ?

Fantômas, en effet, savait bien que la seule jeune fille faisant partie de la troupe du père et de la mère Zizi, était sa fille. Mais comment le drame s’était-il produit ? par suite de quelle affreuse supercherie, Hélène avait-elle été mise, à son insu dans un aussi mauvais cas ?

Et, tout naturellement, Fantômas en était amené à se demander quel rôle Jean-Marie, qu’il avait catégoriquement chargé de surveiller et de protéger la jeune fille, avait joué dans cette affaire.

Jean-Marie avait manqué à sa mission, peut-être même avait-il trahi ? Cette idée, Fantômas ne pouvait la supporter. Il se leva brusquement, arpenta la pièce à grands pas, faisant de profondes aspirations, en homme qui étouffe. Puis, une nouvelle inquiétude parut envahir son esprit.

— En admettant même, se disait Fantômas, que Jean-Marie ait accompagné Hélène et l’ait protégée jusqu’au moment du scandale, il est bien évident qu’il a dû déguerpir sitôt après l’accident.

Fantômas vérifia :

— La dépêche est datée du 22, fit-il. Mais alors, Jean-Marie voyant qu’Hélène était conduite en prison, a dû considérer sa mission comme terminée. Il a dû se dire qu’il convenait de m’aviser au plus vite des incidents, qu’il fallait me les expliquer. Oui, c’est évidemment logique, Jean-Marie en toute hâte a dû regagner la falaise, il doit m’attendre aux abords du manoir de Kergollen où il croit me retrouver, oh, c’est simple, terriblement simple. Nous avons rendez-vous ce soir à dix heures et demie à la porte du manoir, Jean-Marie y sera et moi je me trouve à six cents kilomètres du lieu du rendez-vous, nulle puissance humaine ne pourrait désormais me permettre d’arriver à temps. Et si Jean-Marie se trouve seul il agira peut-être.

Et Fantômas, en effet, songeait au sinistre crime que tous deux avaient comploté, le bandit songeait que dans un quart d’heure, une demi-heure peut-être, devait d’après leurs conventions, sonner l’instant suprême où Dame Brigitte allait être hors d’état de nuire.

Soudain, Fantômas bondit, pris d’une inspiration subite.

Il venait d’apercevoir, accroché au mur, l’appareil téléphonique. D’une main tremblante il décrocha le récepteur, se fit mettre en communication avec le portier de l’hôtel :

— Allô, disait-il, donnez-moi l’interurbain, dépêchez-vous, c’est très urgent.

— Que désirez-vous ?

— Jusqu’à quelle heure le téléphone fonctionne-t-il à Brest ?

— Jusqu’à minuit, monsieur.

— Peut-on avoir la communication rapidement ?

— Dans deux ou trois minutes, monsieur, les lignes ne sont pas chargées en ce moment.

Fantômas poussa un soupir de soulagement, il allait peut-être pouvoir parer au danger immédiat que courait la châtelaine du manoir de Kergollen, en l’avisant de se tenir sur ses gardes :

— Quel numéro voulez-vous à Brest ? demanda le téléphoniste.

Mais, à cette question, Fantômas paraissait à nouveau effroyablement troublé. Il se souvenait que le manoir de Kergollen n’était pas directement relié à Brest, qu’il fallait passer par le poste de la pointe Saint-Mathieu.