Les bureaux n’étaient-ils pas fermés à cette heure tardive, dans cette petite localité ? Le bureau de la pointe Saint-Mathieu était fermé à huit heures du soir.
Fantômas lâcha l’appareil, s’écroula sur le plancher, la tête entre les mains.
Quiconque aurait vu dans cette posture, celui qui, depuis des années, faisait trembler l’humanité entière, n’aurait jamais pu reconnaître en cette loque l’insaisissable bandit, le génie du crime, l’incomparable Fantômas.
Fantômas voyait Jean-Marie pénétrer dans la pièce, fermer derrière lui la porte, balbutier d’abord quelques paroles vagues, il le voyait, profitant d’un moment d’inattention, se précipiter sur la vieille dame, lui plonger son couteau dans le cœur et regarder couler le sang, ce sang que Jean-Marie aimait tant à répandre, et dans lequel il prétendait éprouver une si grande joie à tremper les mains.
15 – NIKITA RÊVAIT-IL ?
— Me suis-je trompé ? L’endroit que j’ai visité ne serait-il pas celui que m’indique Juve ? Si seulement il faisait clair, si je pouvais consulter une carte, mais non, la nuit est obscure et des nuages épais interceptent le moindre rayon de lune. Quelle nuit sinistre. Quelle obscurité de cauchemar.
Relevant le col de son pardessus, le personnage monologuant ainsi, cependant qu’il arpentait à grands pas la falaise abrupte qui s’étend au nord de la pointe Saint-Mathieu, n’était autre que le lieutenant prince Nikita, qui, sitôt après avoir quitté le policier Juve, était venu sur ses indications à la pointe extrême du Finistère, rechercher sur la falaise escarpée le précieux document que le policier lui déclarait y avoir dissimulé. Le voyageur était arrivé au crépuscule dans les environs de la pointe Saint-Mathieu.
Pendant plusieurs heures, il avait exploré l’endroit nettement désigné par Juve, mais ses recherches avaient été vaines.
Par moments, le prince Nikita se demandait s’il avait bien compris les indications qui lui avaient été données.
Mais non, impossible. S’il n’avait pas trouvé le précieux document dans l’anfractuosité du rocher indiquée par le policier de la rue Bonaparte, il avait du moins très nettement découvert la cachette qui l’avait contenu.
Or, cette cachette, le prince Nikita s’en rendait aisément compte, était vide, absolument vide, et l’officier devait en conclure qu’entre le départ de Juve et la venue de l’envoyé russe, quelqu’un avait découvert la cachette et emporté le dépôt.
À présent, le prince Nikita cherchait en vain sa route. Au cours de ses pérégrinations, il s’était égaré et désormais ne retrouvait plus le véhicule qui, plusieurs heures auparavant, l’avait conduit à quelque cent mètres du phare de la pointe et s’y était arrêté.
Fouillant des yeux l’obscurité, après de longues tentatives infructueuses, Nikita avait aperçu une petite lumière qui scintillait à l’horizon, émergeant d’une masse d’ombre.
Il s’en était approché, croyant découvrir quelque maison de pêcheurs dans laquelle il pourrait prendre un peu de repos. Mais, comme il arrivait aux abords de la demeure ainsi éclairée, il s’apercevait en présence d’une habitation fort importante, d’un manoir aux épaisses murailles, aux contours tourmentés.
Il hésita à sonner.
Lentement, il fit le tour du vieux manoir, espérant rencontrer quelque domestique, trouver quelqu’un d’éveillé. Mais c’était partout le silence et la nuit.
Soudain, cependant, comme il passait entre les écuries et une grange voisine de la maison, le prince Nikita s’arrêta.
Il venait d’entendre un léger bruit et à peine s’était-il arrêté qu’une voix dans l’ombre appelait :
— Psst.
Instinctivement, l’officier se rapprocha d’une petite porte basse à peine entrebâillée. Derrière cette porte, la même voix articulait doucement :
— Ici, c’est par ici, suivez-moi, je vais vous montrer le chemin.
Surpris, Nikita allait se nommer à cet interlocuteur invisible, mais celui-ci, curieux évidemment de savoir à qui il s’adressait, venait de braquer sur l’inconnu le pinceau lumineux de sa lanterne sourde.
La voix qui avait appelé Nikita murmura avec une intonation de surprise :
— Tiens, ce n’est pas vous ? Ce n’est pas lui.
Puis la voix ajoutait, une voix d’homme, grave, un peu rude :
— Je comprends. Vous venez peut-être de sa part ?
Intrigué, soupçonnant un mystère, peut-être aussi une aventure, et redoutant par-dessus tout d’être laissé dehors, Nikita répondit évasivement.
L’homme, cependant, qui l’avait si opportunément rencontré et appelé poursuivit la conversation :
— Évidemment, vous venez pour l’affaire.
Ce fut, dans l’esprit de l’officier russe, un trait de lumière :
— Oui, je viens pour l’affaire, répondit-il.
Tout en parlant l’officier avait franchi la porte du vieux manoir, et il se trouva bientôt à l’entrée d’un couloir.
Son interlocuteur le considéra un instant avec une certaine attention, presque de la méfiance, mais, sans doute l’air décidé et martial du jeune officier lui plut :
— Ça va bien, suivez-moi.
Nikita avait eu le temps de voir cet hôte étrange et mystérieux qui peut-être allait dans un instant lui fournir les explications dont il avait si grand besoin.
C’était un homme de médiocre condition, à en juger par ses vêtements mal tenus, et même déchirés.
Mais le personnage ne paraissait pas s’inquiéter de l’examen dont il était l’objet.
Il avait pris l’officier par le bras, lui faisait gravir un petit escalier de pierre et soudain se penchant à son oreille, déclarait :
— Nous allons l’avoir aisément, rien n’est plus facile, j’ai tout préparé.
Il ajouta :
— Mais pourquoi n’est-il pas venu ?
À ce moment, Nikita pensait aux dernières paroles de Juve qui, fort subtilement d’ailleurs, avait suggéré à l’officier de se rendre seul en Bretagne, d’où il pourrait plus à son aise revenir avec le document, sa personnalité étant ignorée des bandits qui prétendaient s’en emparer.
Et, spontanément, répondant à son interlocuteur, Nikita déclarait :
— C’est qu’il avait peur d’être reconnu.
— Je comprends fit l’homme, il a eu raison. Il est connu.
Cependant, les deux hommes arrivaient au sommet de l’escalier, ils se trouvaient sur un palier étroit où s’ouvraient trois couloirs obscurs.
L’homme interroge l’officier :
— Vous êtes armé ?
— Sans doute, répondait celui-ci.
— Bien, je pense que vous n’avez pas peur ?
— Non, fit Nikita, jamais.
L’homme avait éteint sa lanterne, il serra le bras du prince et l’entraîna dans l’obscurité.
L’officier, malgré tout son courage, malgré son désir de faire l’impossible pour se procurer le portefeuille rouge, était en proie à une certaine émotion.
Certes, il bénissait l’heureux hasard qui lui avait permis de rencontrer cet homme, mais il maudissait la légèreté de Juve qui avait complètement omis de lui dire que, dans le cas où le document ne se trouverait pas dans la cachette, il conviendrait de se rendre au manoir voisin pour y trouver un collaborateur pouvant l’assister dans ses recherches.
Juve n’avait rien dit. C’était invraisemblable. Et Nikita, par moments, se demandait s’il n’était pas victime d’un extraordinaire quiproquo, ou s’il ne bénéficiait pas d’une chance inespérée.
Soudain, comme il passait près d’une porte sous laquelle filtrait un filet de lumière, l’homme proféra ;
— Doucement, ne faisons pas le moindre bruit, elle a beau être vieille, elle a l’oreille fine, elle pourrait nous entendre.
— Ah.
Ils avaient beau marcher sur la pointe des pieds, on entendait le grincement des clous sur les dalles de pierre. Et soudain, ce fut la porte ouverte, un flot de lumière dans l’étroit passage, une voix angoissée, une voix de femme :