Enfin, quel que soit le lieu de votre campement, bon ou mauvais, il faut que vous en tiriez parti; n'y soyez jamais oisif, ni sans faire quelque tentative; éclairez toutes les démarches des ennemis; ayez des espions de distance en distance, jusqu'au milieu de leur camp, jusque sous la tente de leur général. Ne négligez rien de tout ce qu'on pourra vous rapporter, faites attention à tout.
Si ceux de vos gens que vous avez envoyés à la découverte vous font dire que les arbres sont en mouvement, quoique par un temps calme, concluez que l'ennemi est en marche. Il peut se faire qu'il veuille venir à vous; disposez toutes choses, préparez-vous à le bien recevoir, allez même au-devant de lui.
Si l'on vous rapporte que les champs sont couverts d'herbes, et que ces herbes sont fort hautes, tenez-vous sans cesse sur vos gardes; veillez continuellement, de peur de quelque surprise.
Si l'on vous dit qu'on a vu des oiseaux attroupés voler par bandes sans s'arrêter, soyez en défiance; on vient vous espionner ou vous tendre des pièges; mais si, outre les oiseaux, on voit encore un grand nombre de quadrupèdes courir la campagne, comme s'ils n'avaient point de gîte, c'est une marque que les ennemis sont aux aguets.
Si l'on vous rapporte qu'on aperçoit au loin des tourbillons de poussière s'élever dans les airs, concluez que les ennemis sont en marche. Dans les endroits où la poussière est basse et épaisse sont les gens de pied; dans les endroits où elle est moins épaisse et plus élevée sont la cavalerie et les chars.
Si l'on vous avertit que les ennemis sont dispersés et ne marchent que par pelotons, c'est une marque qu'ils ont eu à traverser quelque bois, qu'ils ont fait des abattis, et qu'ils sont fatigués; ils cherchent alors à se rassembler.
Si vous apprenez qu'on aperçoit dans les campagnes des gens de pied et des hommes à cheval aller et venir, dispersés çà et là par petites bandes, ne doutez pas que les ennemis ne soient campés.
Tels sont les indices généraux dont vous devez tâcher de profiter, tant pour savoir la position de ceux avec lesquels vous devez vous mesurer que pour faire avorter leurs projets, et vous mettre à couvert de toute surprise de leur part. En voici quelques autres auxquels vous devez une plus particulière attention.
Lorsque ceux de vos espions qui sont près du camp des ennemis vous feront savoir qu'on y parle bas et d'une manière mystérieuse, que ces ennemis sont modestes dans leur façon d'agir et retenus dans tous leurs discours, concluez qu'ils pensent à une action générale, et qu'ils en font déjà les préparatifs: allez à eux sans perdre de temps. Ils veulent vous surprendre, surprenez-les vous-même.
Si vous apprenez au contraire qu'ils sont bruyants, fiers et hautains dans leurs discours, soyez certain qu'ils pensent à la retraite et qu'ils n'ont nullement envie d'en venir aux mains.
Lorsqu'on vous fera savoir qu'on a vu quantité de chars vides précéder leur armée, préparez-vous à combattre, car les ennemis viennent à vous en ordre de bataille.
Gardez-vous bien d'écouter alors les propositions de paix ou d'alliance qu'ils pourraient vous faire, ce ne serait qu'un artifice de leur part.
S'ils font des marches forcées, c'est qu'ils croient courir à la victoire; s'ils vont et viennent, s'ils avancent en partie et qu'ils reculent autant, c'est qu'ils veulent vous attirer au combat; si, la plupart du temps, debout et sans rien faire, ils s'appuient sur leurs armes comme sur des bâtons, c'est qu'ils sont aux expédients, qu'ils meurent presque de faim, et qu'ils pensent à se procurer de quoi vivre; si passant près de quelque rivière, ils courent tous en désordre pour se désaltérer, c'est qu'ils ont souffert de la soif; si leur ayant présenté l'appât de quelque chose d'utile pour eux, sans cependant qu'ils aient su ou voulu en profiter, c'est qu'ils se défient ou qu'ils ont peur; s'ils n'ont pas le courage d'avancer, quoiqu'ils soient dans les circonstances où il faille le faire, c'est qu'ils sont dans l'embarras, dans les inquiétudes et les soucis.
Outre ce que je viens de dire, attachez-vous en particulier à savoir tous leurs différents campements. Vous pourrez les connaître au moyen des oiseaux que vous verrez attroupés dans certains endroits. Et si leurs campements ont été fréquents, vous pourrez conclure qu'ils ont peu d'habileté dans la connaissance des lieux. Le vol des oiseaux ou les cris de ceux-ci peuvent vous indiquer la présence d'embuscades invisibles.
Si vous apprenez que, dans le camp des ennemis, il y a des festins continuels, qu'on y boit et qu'on y mange avec fracas, soyez-en bien aise; c'est une preuve infaillible que leurs généraux n'ont point d'autorité.
Si leurs étendards changent souvent de place, c'est une preuve qu'ils ne savent à quoi se déterminer, et que le désordre règne parmi eux. Si les soldats se groupent continuellement, et chuchotent entre eux, c'est que le général a perdu la confiance de son armée.
L'excès de récompenses et de punitions montre que le commandement est au bout de ses ressources, et dans une grande détresse; si l'armée va même jusqu'à se saborder et briser ses marmites, c'est la preuve qu'elle est aux abois et qu'elle se battra jusqu'à la mort.
Si leurs officiers subalternes sont inquiets, mécontents et qu'ils se fâchent pour la moindre chose, c'est une preuve qu'ils sont ennuyés ou accablés sous le poids d'une fatigue inutile.
Si dans différents quartiers de leur camp on tue furtivement des chevaux, dont on permette ensuite de manger la chair, c'est une preuve que leurs provisions sont sur la fin.
Telles sont les attentions que vous devez à toutes les démarches que peuvent faire les ennemis. Une telle minutie dans les détails peut vous paraître superflue, mais mon dessein est de vous prévenir sur tout, et de vous convaincre que rien de tout ce qui peut contribuer à vous faire triompher n'est petit. L'expérience me l'a appris, elle vous l'apprendra de même; je souhaite que ce ne soit pas à vos dépens.
Encore une fois, éclairez toutes les démarches de l'ennemi, quelles qu'elles puissent être; mais veillez aussi sur vos propres troupes, ayez l'œil à tout, sachez tout, empêchez les vols et les brigandages, la débauche et l'ivrognerie, les mécontentements et les cabales, la paresse et l'oisiveté. Sans qu'il soit nécessaire qu'on vous en instruise, vous pourrez connaître par vous-même ceux de vos gens qui seront dans le cas, et voici comment.
Si quelques-uns de vos soldats, lorsqu'ils changent de poste ou de quartier, ont laissé tomber quelque chose, quoique de petite valeur, et qu'ils n'aient pas voulu se donner la peine de la ramasser; s'ils ont oublié quelque ustensile dans leur première station, et qu'ils ne le réclament point, concluez que ce sont des voleurs, punissez-les comme tels.