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VI. Les lieux à plusieurs issues, dont je veux parler ici, sont ceux en particulier qui permettent la jonction entre les différents États qui les entourent. Ces lieux forment le nœud des différents secours que peuvent apporter les princes voisins à celle des deux parties qu'il leur plaira de favoriser.

VII. Les lieux que je nomme graves et importants sont ceux qui, placés dans les États ennemis, présentent de tous côtés des villes, des forteresses, des montagnes, des défilés, des eaux, des ponts à passer, des campagnes arides à traverser, ou telle autre chose de cette nature.

VIII. Les lieux où tout serait à l'étroit, où une partie de l'armée ne serait pas à portée de voir l'autre ni de la secourir, où il y aurait des lacs, des marais, des torrents ou quelque mauvaise rivière, où l'on ne saurait marcher qu'avec de grandes fatigues et beaucoup d'embarras, où l'on ne pourrait aller que par pelotons, sont ceux que j'appelle gâtés ou détruits.

IX. Enfin, par des lieux de mort, j'entends tous ceux où l'on se trouve tellement réduit que, quelque parti que l'on prenne, on est toujours en danger; j'entends des lieux dans lesquels, si l'on combat, on court évidemment le risque d'être battu, dans lesquels, si l'on reste tranquille, on se voit sur le point de périr de faim, de misère ou de maladie; des lieux, en un mot, où l'on ne saurait rester et où l'on ne peut survivre que très difficilement en combattant avec le courage du désespoir.

Telles sont les neuf sortes de terrain dont j'avais à vous parler; apprenez à les connaître, pour vous en défier ou pour en tirer parti.

Lorsque vous ne serez encore que dans des lieux de division, contenez bien vos troupes; mais surtout ne livrez jamais de bataille, quelque favorables que les circonstances puissent vous paraître. La vue de leur pays et la facilité du retour occasionneraient bien des lâchetés: bientôt les campagnes seraient couvertes de fuyards.

Si vous êtes dans des lieux légers, n'y établissez point votre camp. Votre armée ne s'étant point encore saisie d'aucune ville, d'aucune forteresse, ni d'aucun poste important dans les possessions des ennemis, n'ayant derrière soi aucune digue qui puisse l'arrêter, voyant des difficultés, des peines et des embarras pour aller plus avant, il n'est pas douteux qu'elle ne soit tentée de préférer ce qui lui paraît le plus aisé à ce qui lui semblera difficile et plein de dangers.

Si vous avez reconnu de ces sortes de lieux qui vous paraissent devoir être disputés, commencez par vous en emparer: ne donnez pas à l'ennemi le temps de se reconnaître, employez toute votre diligence, que les formations ne se séparent pas, faites tous vos efforts pour vous en mettre dans une entière possession; mais ne livrez point de combat pour en chasser l'ennemi. S'il vous a prévenu, usez de finesse pour l'en déloger, mais si vous y êtes une fois, n'en délogez pas.

Pour ce qui est des lieux de réunion, tâchez de vous y rendre avant l'ennemi; faites en sorte que vous ayez une communication libre de tous les côtés; que vos chevaux, vos chariots et tout votre bagage puissent aller et venir sans danger. N'oubliez rien de tout ce qui est en votre pouvoir pour vous assurer de la bonne volonté des peuples voisins, recherchez-la, demandez-la, achetez-la, obtenez-la à quelque prix que ce soit, elle vous est nécessaire; et ce n'est guère que par ce moyen que votre armée peut avoir tout ce dont elle aura besoin. Si tout abonde de votre côté, il y a grande apparence que la disette régnera du côté de l'ennemi.

Dans les lieux pleins et unis, étendez-vous à l'aise, donnez-vous du large, faites des retranchements pour vous mettre à couvert de toute surprise, et attendez tranquillement que le temps et les circonstances vous ouvrent les voies pour faire quelque grande action.

Si vous êtes à portée de ces sortes de lieux qui ont plusieurs issues, où l'on peut se rendre par plusieurs chemins, commencez par les bien connaître; alliez-vous aux États voisins, que rien n'échappe à vos recherches; emparez-vous de toutes les avenues, n'en négligez aucune, quelque peu importante qu'elle vous paraisse, et gardez-les toutes très soigneusement.

Si vous vous trouvez dans des lieux graves et importants, rendez-vous maître de tout ce qui vous environne, ne laissez rien derrière vous, le plus petit poste doit être emporté; sans cette précaution vous courriez le risque de manquer des vivres nécessaires à l'entretien de votre armée, ou de vous voir l'ennemi sur les bras lorsque vous y penseriez le moins, et d'être attaqué par plusieurs côtés à la fois.

Si vous êtes dans des lieux gâtés ou détruits, n'allez pas plus avant, retournez sur vos pas, fuyez le plus promptement qu'il vous sera possible.

Si vous êtes dans des lieux de mort, n'hésitez point à combattre, allez droit à l'ennemi, le plus tôt est le meilleur.

Telle est la conduite que tenaient nos anciens guerriers. Ces grands hommes, habiles et expérimentés dans leur art, avaient pour principe que la manière d'attaquer et de se défendre ne devait pas être invariablement la même, qu'elle devait être prise de la nature du terrain que l'on se occupait et de la position où l'on se trouvait. Ils disaient encore que la tête et la queue d'une armée ne devaient pas être commandées de la même façon, qu'il fallait combattre la tête et enfoncer la queue; que la multitude et le petit nombre ne pouvaient pas être longtemps d'accord; que les forts et les faibles, lorsqu'ils étaient ensemble, ne tardaient guère à se désunir; que les hauts et les bas ne pouvaient être également utiles; que les troupes étroitement unies pouvaient aisément se diviser, mais que celles qui étaient une fois divisées ne se réunissaient que très difficilement. Ils répétaient sans cesse qu'une armée ne devait jamais se mettre en mouvement qu'elle ne fût sûre de quelque avantage réel, et que, lorsqu'il n'y avait rien à gagner, il fallait se tenir tranquille et garder le camp.

En résumé, je vous dirai que toute votre conduite militaire doit être réglée suivant les circonstances; que vous devez attaquer ou vous défendre selon que le théâtre de la guerre sera chez vous ou chez l'ennemi.

Si la guerre se fait dans votre propre pays, et si l'ennemi, sans vous avoir donné le temps de faire tous vos préparatifs, s'apprêtant à vous attaquer, vient avec une armée bien ordonnée pour l'envahir ou le démembrer, ou y faire des dégâts, ramassez promptement le plus de troupes que vous pourrez, envoyez demander du secours chez les voisins et chez les alliés, emparez-vous de quelques lieux qu'il chérit, et il se fera conforme à vos désirs, mettez-les en état de défense, ne fût-ce que pour gagner du temps; la rapidité est la sève de la guerre.

Voyagez par les routes sur lesquelles il ne peut vous attendre; mettez une partie de vos soins à empêcher que l'armée ennemie ne puisse recevoir des vivres, barrez-lui tous les chemins, ou du moins faites qu'elle n'en puisse trouver aucun sans embuscades, ou sans qu'elle soit obligée de l'emporter de vive force.

Les paysans peuvent en cela vous être d'un grand secours et vous servir mieux que vos propres troupes: faites-leur entendre seulement qu'ils doivent empêcher que d'injustes ravisseurs ne viennent s'emparer de toutes leurs possessions et ne leur enlèvent leur père, leur mère, leur femme et leurs enfants.