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— Je rêve, je rêve ! pensait Dick.

L’autobus était environné de fumée. Debout, à l’intérieur, il apercevait une sorte de chevalet, un véritable pied de longue-vue sur lequel était posé un instrument qui brillait.

Qu’était-ce encore ?

Dick remarquait que l’homme tournait autour du chevalet et que sa main semblait pousser un mécanisme.

Les cris de terreur retentissaient toujours. Dick, brusquement, s’affaissa sur le sol, s’y aplatit, s’y écrasa avec le secret désir de pouvoir s’y engloutir.

— C’est une mitrailleuse ! se disait-il. Ils ont une mitrailleuse.

L’acteur ne se trompait pas.

Debout à l’intérieur de l’autobus, le Bedeau actionnait bien, en effet, le mécanisme d’une mitrailleuse. Il réglait le tir de la terrible machine avec une parfaite tranquillité, une admirable présence d’esprit. Il tournait tout autour du trépied et il envoyait ainsi, guidant lentement l’instrument de mort, de véritables gerbes de balles qui balayaient à distance tous ceux qui auraient pu vouloir arrêter les bandits. Le Bedeau, d’ailleurs, se révélait tireur d’élite. Il dirigeait son feu de façon telle que les balles passaient par-dessus ses sinistres compagnons toujours occupés à défoncer la voiture des Postes. Elles ne les atteignaient pas, elles ne pouvaient pas les atteindre, elles les enfermaient au contraire à l’intérieur d’un cercle rigoureusement infranchissable. L’autobus, cependant, après avoir avancé de quelques mètres, s’était rangé près de la voiture postale renversée.

Fantômas, très calme, continuait à diriger la manœuvre avec un merveilleux sang-froid :

— Dépêchons-nous ! répétait-il de temps en temps. Sortez les sacs ! Bien. Portez-les dans l’autobus, c’est cela !

Les ordres étaient ponctuellement exécutés. La malheureuse voiture, éventrée à coups de barre de fer, fut en quelques minutes vidée de ses sacs de dépêches, de tout ce qu’elle contenait. Les hommes, deux par deux et ne prêtant attention qu’à leur travail, prenaient les ballots, les jetaient à l’intérieur de l’autobus où le Bedeau, impassible et froid, continuait à manœuvrer la mitrailleuse.

Or, à ce moment précis, alors que de toutes parts des hurlements retentissaient, alors que les blessés jonchaient le sol, alors qu’une clameur abominable montait vers le ciel, un homme, tranquillement, quittait l’arrière de l’autobus, qu’il n’avait pas abandonné jusqu’ici.

C’était Bouzille.

Bouzille paraissait stupéfié, émerveillé, intrigué aussi.

— C’est du sacré travail, murmurait-il, c’est un sacré coup.

Bouzille, penchant la tête et se faisant le plus petit possible, car il ne se souciait nullement de recevoir l’un des projectiles que tirait le Bedeau, se glissa jusqu’à la voiture dévalisée.

— Moi, je vais toujours prendre les lanternes, disait-il, le cuivre, c’est de revente.

Mais Bouzille avait mal calculé son affaire. Il arrivait au moment même où les hommes de Fantômas achevaient leur extraordinaire besogne. Le chemineau se heurta à Tête-de-Lard.

— En arrière ! cria l’apache. En arrière !

Bouzille recula.

Au même moment, un nouveau coup de sifflet retentit.

Alors, en moins d’une seconde, Fantômas sauta sur le siège de l’autobus, les bandits grimpèrent dans le véhicule où Bouzille fut lui-même jeté de force, puis la sinistre voiture s’ébranla et s’éloigna lentement, protégée par le tir ininterrompu de la mitrailleuse.

Fantômas avait arraché le volant des mains de Mort-Subite. Le bandit semblait au comble de la joie. Ayant changé de vitesse, accélérant l’allure de sa fuite, il tendait la main vers les cadavres qui jonchaient les trottoirs :

— Un joli coup, disait-il, vingt morts au moins, cinquante blessés peut-être, et, j’espère bien, cinq cent mille francs pour nous.

Mais Mort-Subite ne semblait pas, à beaucoup près, aussi tranquille que son épouvantable maître :

— Vite, vite ! hurlait-il. Dépêche-toi, Fantômas !

Et il tendait le bras vers le pont d’Arcole, montrant une grande voiture automobile, une voiture de course, qui arrivait à une vitesse folle, en faisant de terribles embardées.

— Peuh, répondit simplement Fantômas.

L’autobus suivait toujours les quais. La mitrailleuse se tut.

4 – CHASSE ET FUITE

Tandis qu’avec une effroyable audace, Fantômas, en compagnie de ses redoutables apaches, s’enfuyait au long des quais, laissant derrière lui cadavres et blessés dans le quartier où la tragique mitraillade venait de semer l’épouvante, l’émotion n’était pas prête à se calmer.

Fantômas, à coup sûr, avait opéré avec une extraordinaire rapidité, une inconcevable habileté, et il ne s’était pas écoulé plus de cinq minutes entre le moment où la voiture des postes avait heurté le câble tendu au travers de la rue, et celui où les bandits avaient pris la fuite.

Pourtant, au cours de ces cinq minutes, des milliers de badauds avaient été témoins de l’attentat, de près ou de loin, ce qui faisait qu’à l’instant même, la chasse s’organisait derrière l’autobus qui emmenait les criminels. Sur la trace de la pesante voiture, une nuée de taxi-autos s’élançaient, requis d’autorité par les agents accourus au bruit de la fusillade.

— Mettez les voitures en travers ! hurlaient-ils d’abord.

Et c’étaient une dizaine de fiacres, qui dès lors, à toute allure, virant sur deux roues, montant sur les trottoirs, embardant au travers de la chaussée, tâchaient de rejoindre le sinistre véhicule.

En même temps, quelqu’un, (qui ? on ne pouvait le savoir), brisait un avertisseur d’incendie et appelait les pompiers. En quelques secondes, avec cette extraordinaire rapidité que mettent les nouvelles fatales à se propager dans la foule, on connaissait donc la sinistre aventure qui venait encore une fois de prouver que l’audace de Fantômas n’avait pas de bornes, qu’il était capable de tout oser et aussi de tout réussir.

À la Préfecture de Police, la nouvelle arrivait, apportée par deux agents cyclistes, qui, impuissants, avaient assisté à toute la scène du quai Bourbon et n’avaient pu traverser le pont balayé par la mitrailleuse.

Les deux agents avaient fait force pédales. À peine entrés quai des Orfèvres, dans les locaux de la Sûreté, ils hurlaient plutôt qu’ils ne criaient :

— Au secours, du renfort ! Il y a un attentat aux quais !

Précisément,  stationnant  devant  la  Préfecture  de police, se trouvait la voiture automobile récemment mise à la disposition de Nalorgne et de Pérouzin, voiture avec laquelle les deux agents étaient bien persuadés qu’ils allaient désormais accomplir des prodiges.

Nalorgne et Pérouzin se précipitèrent sur les traces des agents cyclistes, et activement les questionnèrent :

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Où est-ce ?

— Quai de Gesvres, quai de l’Hôtel-de-Ville, un autobus avec une mitrailleuse. Vite. Vite ! C’est Fantômas ! Il va s’enfuir !

Nalorgne et Pérouzin n’en demandèrent pas davantage. Ils échangèrent un regard joyeux et bondirent vers leur voiture,  sautant en même temps sur le siège.

— Mettez-vous en route, Nalorgne !

— Tournez la manivelle, Pérouzin !

Tous deux voulaient commander et aucun d’eux, ne se souciait d’obéir, car leurs expériences des journées précédentes les avaient convaincus que le moteur de leur voiture était capricieux à l’extrême, et fort difficile à mettre en marche.