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— Moi, je n’ai rien fait, pensait Bouzille, pourquoi donc que je me priverais d’une balade en autobus juste un jour comme aujourd’hui où je ne paie pas ma place ?

Bouzille, d’ailleurs, s’il eût dit cela, n’eût pas exprimé toute sa pensée.

Le chemineau, au fond de son âme, se doutait bien que Fantômas allait être obligé de se débarrasser de l’autobus.

— Ma foi, songeait Bouzille, il n’y a pas de sot métier, il y a toujours ici des petits trucs à glaner : le crin des coussins, le cuir du tablier, la trompe, les lanternes, je ne perdrai pas ma journée si je peux rafler tout cela.

Et, avec l’inconscience qui le caractérisait, il suivait Fantômas. Cette randonnée tragique, lui vaudrait bien une vingtaine de francs de bénéfice.

Cependant, un vent de folie semblait souffler sur la capitale.

— Je crois que cette fois les Pouvoirs publics comprendront, se disait Fantômas. Bah ! dans huit jours peut-être, je ferai mieux.

— Nous sommes seuls, Bouzille, dit Fantômas. Veux-tu descendre ?

— Non, où vous irez, j’irai.

— Alors, reste.

Cette fois, un sourire avait égayé la dure physionomie du Roi du Crime. Que méditait-il ?

Du Luxembourg, l’autobus fatal avait rejoint le boulevard de Port-Royal. Il longeait l’avenue des Gobelins, puis, descendait par le boulevard de la Gare. Il évoluait encore quelque temps le long de la Seine, puis, un brusque crochet l’amenait à la rue Cantagrel.

— Nous voici chez nous, Bouzille.

— Chez nous, patron ?

— Je vais garer l’autobus chez ce marchand de charbon.

Fantômas désignait vers le bout de la rue, un grand terrain vague entouré de hauts murs, d’ailleurs percés de longues brèches, et dans lequel un entrepôt de charbon voisin remisait son matériel.

— C’est là, expliquait Fantômas, que depuis le vol je gare l’autobus. Hier, j’avais prétexté une panne grave auprès du propriétaire qui a un peu fermé l’œil, parce qu’il a eu peur, je pense. Aujourd’hui, ma foi, je rentre directement et je laisse tout là.

L’autobus vira dans le grand terrain, puis gagna le hangar en ruine sous lequel s’entassait des bûches. La voiture devenait invisible. Fantômas sauta du siège.

— Et voilà, Bouzille ! conclut-il. Nous n’avons plus qu’à nous retirer.

Fantômas allait s’éloigner, en effet, sachant bien, évidemment, que dans quelques heures l’autobus serait retrouvé, mais n’y attachant aucune importance, lorsque, ayant jeté un regard à l’intérieur de la voiture, il éclata en jurons.

— Que faites-vous là ? Imbéciles !

Les poings crispés, la face mauvaise, Fantômas interrogeait les trois individus accroupis jusqu’alors sous les sièges, blêmes et pâles. C’étaient trois apaches, trois des faux mécaniciens qui avaient aidé Fantômas quai de l’Hôtel-de-Ville.

— Que faites-vous là ? répétait le maître, j’avais ordonné à tout le monde de descendre en cours de route. Vous avez eu peur ? disait le Génie du Crime, vous n’avez pas osé quitter la voiture en plein Paris ? Imbéciles !

Il serrait dans la main la crosse d’un browning et semblait si furieux que Bouzille jugea prudent de s’éloigner sans bruit et de se cacher derrière un gros tas de bois. Fantômas, d’ailleurs, avait maintes fois prouvé qu’il ne tolérait que personne, fût-ce le meilleur de ses lieutenants, se permît de désobéir à ses ordres.

— Maître, commença l’un des apaches, protège-nous. Avec toi, on ne craint rien, emmène-nous.

Mais il n’acheva pas.

Alors qu’assez piteux, ils considéraient leur redoutable chef, deux ombres apparurent.

Alors Fantômas éclata d’une colère nouvelle :

— Toi, Tête-de-Lard et toi, la Carafe ? Pourquoi êtes-vous ici ?

— Nous sommes poursuivis, expliqua la Carafe.

— Vous êtes poursuivis ? Et vous venez ici ?

— On est venu où on a pu.

— On vous file donc ?

— Oui.

— Qui ?

— La Sûreté.

— Alors, nous sommes perdus, dit Fantômas très froid, nous sommes perdus et perdus grâce à vous.

— Écoute, patron, commença Tête-de-Lard en tremblant, on a cru bien faire en rappliquant ici, rapport à ce qu’on pouvait te prévenir.

— Me prévenir de quoi ? Il fallait aller n’importe où, mais ailleurs. Puisque vous vous sentiez filés, ce n’était pas la peine de guider les agents jusqu’ici. Que faire maintenant ?

Pendant quelques secondes, en effet, Fantômas parut vivement préoccupé. Lui qui tant de fois avait, avec un merveilleux sang-froid, trouvé moyen d’échapper aux souricières les mieux combinées, aux pièges les plus habiles, semblait, par exception, ne point savoir comment se tirer du pas difficile où la maladresse de Tête-de-Lard et de la Carafe venait de le faire tomber.

Parbleu, c’était évident, ces ombres qui se rapprochaient, qui entraient dans le terrain vague, qui se glissaient derrière les tas de charbon, se faufilaient sous les voitures, c’étaient, ce ne pouvaient être que des agents. Et, dès lors, comment espérer leur échapper, comment passer inaperçus ?

Fantômas grinçait des dents. Le browning qu’il tenait toujours à la main brillait de façon sinistre dans l’obscurité de la nuit commençante.

— Chiens que vous êtes ! hurla le bandit, vous mériteriez, ma parole, que je vous punisse en usant sur vous mes dernières cartouches.

Puis, soudain, comme les agents se rapprochaient, Fantômas haussa les épaules :

— Je vais vous sauver pourtant, dit-il, vous sauver du moins si vous avez assez de courage pour risquer le tout pour le tout.

Le Maître de l’Effroi entraîna ses compagnons auxquels s’était joint Bouzille, fort ennuyé de la tournure prise par les événements, à l’autre extrémité du hangar. Il y avait là un haquet chargé de tonneaux vides et à quelque distance, dans son box, un cheval minable.

— Hardi, ordonna Fantômas, attelez cette bête à la voiture. Vous vous caserez dans les tonneaux.

— Mais qui conduira ?

— Moi.

Et, tandis que les apaches, ne comprenant pas encore ce qu’il méditait, mais épouvantés à la pensée de la police, lui obéissaient aveuglément, Fantômas, avec une agilité folle, grimpait le long d’une échelle, saisissait une valise dissimulée à l’entrecroisement de deux poutres.

— Vite !

Après avoir entouré le terrain vague, après avoir pénétré derrière le mur de clôture, les agents de la Sûreté embusqués derrière le moindre obstacle, allaient à coup sûr se précipiter dans le hangar.

La porte de l’écurie était défoncée, le cheval déjà entre les brancards. Fantômas, pourtant ne s’occupait pas du haquet. Il avait ouvert la valise, en tirait des habits d’ouvriers, un pantalon de velours une veste d’alpaga, une casquette haute, sur la visière de laquelle une plaque en cuivre était fixée, portant ces mots : Charbonnage d’Audincourt.

En une seconde alors, s’aidant d’une petite glace qu’il avait trouvée dans la valise, Fantômas acheva de se maquiller. Du rouge habilement disposé lui fit un nez d’ivrogne. Il enfila une perruque grisonnante. Une barbe que collait du blanc gras et du vernis changeait l’aspect de sa physionomie, au point qu’il en devenait méconnaissable :

— Êtes-vous prêts ?

— Le haquet est attelé, patron.

— Alors sautez dans les tonneaux.

Y compris Bouzille, on se précipita à l’intérieur des barils chargés sur la longue voiture.

— Heureusement j’ai pensé à tout, murmurait Fantômas. Ce matin j’ai découvert ce haquet et j’ai songé à emporter cette valise de maquillage.