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Car c’était là, en vérité, l’une des caractéristiques de ce génial et fantastique assassin. Fantômas le disait lui-même : il avait pensé à tout.

Alors qu’il méditait le plan infernal, qui venait de lui permettre de réussir la plus folle, la plus insensée des tentatives criminelles, il avait songé à régler jusqu’en ses moindres détails la fuite qui pouvait devenir nécessaire.

— J’ai toutes chances, avait pensé Fantômas, de pouvoir tranquillement revenir avec l’autobus, à l’entrepôt, et de pouvoir, ensuite, m’en aller sans être inquiété, mais enfin, je dois songer, au cas possible, sinon probable, où je serais pisté, et dans ce cas…

C’était pour parer à cette éventualité qu’il avait préparé avec une habileté prodigieuse le déguisement qui devait lui servir non seulement à se sauver, mais encore à sauver ses compagnons.

Il était temps. Au moment précis où les hommes du bandit se cachaient à l’intérieur des tonneaux chargés sur le haquet, les agents, revolver au poing, apparaissaient à toutes les issues du hangar.

— Rendez-vous ! hurlaient-ils.

Fantômas avait le fouet en main, il feignit une grande peur, il cria :

— Au secours ! Au secours ! À l’assassin !

Il criait de si bonne foi que les agents couraient vers lui, pris à sa ruse :

— Taisez-vous donc, taisez-vous ! N’appelez pas à l’assassin, bon Dieu ! Avez-vous vu quelqu’un ?

Fantômas alors, aussi merveilleux acteur qu’admirable de sang-froid, continuait à duper les hommes de la Préfecture.

— Mais qu’est-ce que vous me voulez ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Et il semblait trembler de tous ses membres.

Les agents cependant, le questionnaient rudement :

— Vous avez vu entrer cet autobus qui est là ?

— Oui, oui !

— Il y avait des hommes qui conduisaient ?

— Deux mécaniciens, oui, oui.

— Ils ont été rejoints par deux autres ?

— Oui.

— Où sont-ils ?

— Ah, je ne sais pas ! Ils sont partis par là, ils m’ont dit qu’ils reviendraient demain matin et que le patron les autorisait à garer.

— Bon Dieu ! hurla l’un des gardiens de la paix qui s’étaient joints aux agents de la Sûreté. Ils se seraient donc encore défilés ?

Et, en même temps, l’un d’eux secouait Fantômas :

— Voyons, charretier, par où sont-ils partis ?

— Par là. Ils ont sauté le mur.

Le pseudo charretier, tendant le bras, montra le fond du terrain.

— Dix hommes de ce côté ! hurla une voix. Les autres, fouillez les tas de charbon.

Un quart d’heure plus tard, le charretier, c’est-à-dire Fantômas, demeuré à la tête de son cheval, vit revenir vers lui l’un des agents de la Sûreté qui paraissait commander.

— Votre nom ? demanda-t-il.

— Gustave-Eugène Mercier.

— Employé aux Charbonnages d’Audincourt ?

— Oui, monsieur.

— Bon. Vous savez où est le poste ?

— Oui, monsieur.

— Eh bien, allez-y tout de suite, nous vous y rejoignons.

— Bien, monsieur l’agent.

Le charretier s’éloigna, puis revint sur ses pas :

— Est-ce que je peux emmener ma voiture, parce que ce sont des tonneaux que je dois livrer encore aujourd’hui.

— Emmenez-la, vous irez après avoir fait votre déposition.

— Bon, monsieur l’agent, bon.

L’air de plus en plus abruti, et de plus en plus terrifié, Fantômas prit par la bride la maigre haridelle attelée au haquet.

— Hue, cocotte !

L’équipage s’ébranla au pas, sortit au pas du terrain vague. Mais à peine le haquet était-il parvenu sur la chaussée de la rue Cantagrel que Fantômas, d’un bond leste, sautait sur le siège :

— Les imbéciles ! hurla-t-il. Qu’ils me poursuivent donc. Ils sont à pied et il n’y a pas de fiacres par ici.

Lancé à folle allure, le haquet dévala la rue, semant l’épouvante sur son passage. En quelques minutes, il atteignait les quais. La nuit tombait, le quartier était désert. Fantômas continuant à fouetter le cheval, le fit descendre sur la berge.

— J’ai dupé les agents, murmura-t-il, il me reste à faire justice de ceux qui n’ont pas su me servir.

Rapidement, Fantômas sauta du siège sur le sol. Il prit le cheval par la bride, le fit tourner et alors, avec un froid sourire, le Maître de l’Épouvante se rendit coupable d’une abominable lâcheté.

Il avait fait reculer la voiture jusqu’au bord de la Seine, de telle façon que l’extrémité du haquet surplombât le fleuve, puis il fit jouer le mécanisme de bascule.

Les tonneaux qui chargeaient le haquet, les tonneaux dans lesquels se cachaient ses complices, s’ébranlèrent, roulèrent, et, les uns après les autres, tombèrent dans l’eau noire, entraînant avec eux les apaches, ceux qui, d’après Fantômas, « n’avaient pas su bien servir leur Maître ».

— Je crois, railla le bandit, que j’en noie six à la fois.

Puis, ayant éclaté de rire, il recula la voiture, la fit ranger le long de la rive et, à grands pas, sifflotant, joyeux, trouvant que tout est bien qui finit bien, le Roi du Crime se perdit dans le noir.

5 – LA CLEF PERDUE

Fantômas s’éloignait de la rive, fort satisfait et des plus persuadés qu’il avait réussi à se débarrasser de ses complices, réussi aussi à rompre les poursuites des gens de police. Fantômas se trompait.

Lorsqu’en sortant du terrain vague, il fouetta son cheval et le lança au triple galop, il avait dépassé, dans la rue Cantagrel, un homme qui lui avait jeté un long regard de haine et de menace.

Cet homme qui était survenu avec les agents aux abords du terrain vague et, qui, impuissant, assistait à la fuite de Fantômas, étant lui-même à pied et ne disposant d’aucun véhicule pour donner la chasse au bandit, n’était autre que Juve, et Juve, grâce à son flair merveilleux, avait reconnu le sinistre bandit dans le charretier grimé qui enlevait le haquet.

Juve, qui se trouvait à la Sûreté lors de l’attentat, en avait été mis au courant. Il était en toute hâte reparti en taxi-auto, fouillant Paris, téléphonant à droite et à gauche, cherchant un indice qui pût lui indiquer ce qu’était devenue la bande tragique. C’était ainsi que le hasard d’une rencontre lui avait fait apprendre au commissariat du IIarrondissement que la police avait de bonnes raisons de croire que Fantômas ne s’était pas encore débarrassé de son autobus, et qu’il roulait encore dans Paris. Enfin, c’était en téléphonant à la Sûreté que Juve apprenait que deux hommes avaient été pris en filature, qu’ils semblaient s’en être aperçus, et qu’ils s’enfuyaient dans la direction d’Austerlitz.

De renseignement en renseignement, Juve arriva donc au terrain vague au moment où Fantômas s’en échappait, déguisé en charretier.

— Trop tard ! s’était écrié le policier en se rendant compte, à la mine déconfite des agents, qu’assurément la police avait été bernée une fois de plus par le sinistre bandit.

Juve, à l’instant où il parvenait sur le terrain vague, avait pris le commandement des agents qui s’y trouvaient encore réunis. Il ordonnait que l’on fouillât minutieusement les tas de bois. Quelques secondes plus tard, on lui rapportait la valise laissée par Fantômas et dans laquelle traînaient encore des bâtons de maquillage, ce qui était des plus significatifs.

— Trop tard, répéta Juve en serrant les poings.

Il abandonna immédiatement la rue Cantagrel, se doutant bien que les recherches y seraient vaines. Il eut la chance de trouver un taxi-auto et lui jetait comme adresse cette indication pourtant vague :

— À la Seine.

En cours de route, Juve interrogeait des sergents de ville :

— Avez-vous vu un haquet passer marchant ventre à terre ?