— À l’instant. Il y a quarante minutes à peine.
— Cela, monsieur, je vous certifie que c’est absolument inexact. D’ailleurs, je vais demander aux Ambulances.
Dix minutes plus tard, M. Tissot, qui était blême, était en communication avec le directeur du service des Ambulances municipales.
— Pouvez-vous savoir, demandait-il, si une voiture a été requise pour une femme accidentée sur la voie publique, et demeurant rue des Pyramides ?
— Aucune voiture des ambulances urbaines n’a été occupée dans ces conditions, monsieur.
Alors M. Tissot, accablé, se laissa retomber dans un fauteuil.
— Les voleurs ! s’écria-t-il. Les infirmiers étaient des voleurs.
Puis le sentiment de sa responsabilité lui revint avec netteté.
— Mais c’est abominable, se dit-il, il y a là plus qu’une coïncidence. C’est une machination inouïe ! Roquevaire perd sa clef, on me vole la mienne. Que vais-je apprendre ? que vais-je apprendre encore ?
Il empoigna à nouveau le téléphone, et appela M. Châtel-Gérard :
— Allô, c’est vous, Châtel ?
— C’est moi, mon bon ? Qu’y a-t-il pour votre service ?
Brutalement, car il était fort énervé, et n’avait point d’ailleurs à considérer M. Châtel-Gérard comme un supérieur hiérarchique, M. Tissot annonça la nouvelle :
— C’est une chose épouvantable, disait-il. On vient de me voler la clef des caves, chez moi, dans mon cabinet, avec une audace inouïe.
— Mais c’est effroyable ! hurla-t-on dans l’appareil. C’est impossible aussi. Vous êtes sûr de ce que vous dites ?
— Absolument certain, hélas.
Et en trois mots, d’une voix rauque, qui s’étranglait dans sa gorge, car il était littéralement affolé, M. Tissot mettait le gouverneur de la Banque au courant de ses aventures :
— Que faire ? Je ne sais plus où donner de la tête, comment poursuivre ces gens ?
Puis, M. Châtel-Gérard sembla retrouver un peu sa présence d’esprit.
— Coûte que coûte, dit-il, nous devons tirer ces aventures au clair et éviter le scandale effroyable qui nous menace. Il y aurait un coup de Bourse abominable. Ne bougez pas de chez vous, Tissot, j’arrive !
Il y avait bien un quart d’heure de marche pour se rendre de la Banque de France au domicile de M. Tissot. En voiture, et certainement le gouverneur avait dû sauter dans son coupé, c’était l’affaire de cinq minutes ; or, trois quarts d’heure s’écoulaient avant que le gouverneur général de la Banque ne fût introduit dans le cabinet de M. Tissot où ce dernier, toujours écroulé, se mordait les lèvres avec rage.
Le gouverneur de la Banque arriva enfin.
M. Châtel-Gérard n’était pas seul. Un homme d’une cinquantaine d’années, au visage énergique, l’accompagnait.
— Mon cher ami, dit M. Châtel-Gérard, j’ai pensé qu’il fallait parer au plus pressé ; avant de venir chez vous, je suis passé à la Sûreté, et j’ai eu la bonne fortune de rencontrer M. Juve que je vous présente. Allons droit au fait : que pouvez-vous dire de la disparition de votre clef ?
M. Tissot allait répondre, Juve ne lui en laissait pas le temps :
— Pardon, faisait-il, avec son autorité tranquille et son calme coutumier, en matière de police, monsieur, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Je vous avoue que j’ignore tout de la Banque de France, tout de ces clefs auxquelles vous semblez attacher tant d’importance. Renseignez-moi d’abord, nous travaillerons plus utilement ensuite.
— Soit, concéda M. Châtel-Gérard.
Et, gagné par le calme du policier, le gouverneur de la banque, avec sang-froid, mit Juve au courant :
— Vous n’ignorez pas, disait-il, que notre établissement de crédit a le privilège d’émettre des billets de banque. Vous savez sans doute qu’à chaque billet émis doit correspondre dans les coffres de la Banque une valeur réelle en or ou en argent.
— Je sais, interrompait Juve.
— Dans ces conditions, poursuivit M. Châtel-Gérard, il y a deux sortes de caisses : à la Banque de France, la caisse ordinaire d’abord, où sont enfermés dans un gigantesque coffre de sûreté, très solide, les espèces, les titres, les valeurs qui servent au trafic journalier. La clef de cette caisse est entre les mains du caissier.
— Est-ce cette clef qui a disparu ?
— Laissez-moi achever, monsieur. La caisse ordinaire est située dans une salle fort bien à l’abri de toutes les tentatives de vol, mais enfin, dans une salle ordinaire. C’est dans cette salle également, cette salle que l’on appelle en terme technique ; « la Serre », que sont déposés les objets précieux, mis là en sécurité par les clients de la Banque.
— Bien, monsieur.
— Dans cette salle, où se trouve la caisse ordinaire, est enfin une porte dissimulée dans le mur, qui mène à un étroit escalier creusé dans un puits, fermé de trois autres portes, et conduisant à ce que nous appelons : « la Caisse extraordinaire », c’est-à-dire aux caves de la Banque où sont accumulés les milliards qui garantissent la valeur en or et en argent des billets de banque. Les quatre portes qu’il faut franchir jusqu’à ces caves, qui sont, je vous le signale tout de suite, à l’abri de l’incendie parce qu’on peut les noyer, à l’abri du pillage parce qu’on peut les ensabler, à l’abri de la mine même parce que les murailles résisteraient à la dynamite, sont toutes munies d’une triple serrure. Il faut trois clefs pour les ouvrir, trois clefs différentes. L’une de ces clefs est en ma possession, l’autre est aux mains du caissier principal, la troisième est confiée au plus vieux censeur en fonctions, en l’espèce à M. Tissot.
— Et c’est l’une de ces clefs qui a été volée ?
— Hélas, monsieur, répondit le gouverneur, une première clef a été perdue ce matin, par le caissier.
— Perdue, ou volée ?
— Perdue, je le croyais. Volée peut-être ?
— Et l’autre ?
— L’autre vient d’être dérobée à M. Tissot.
C’était au tour du censeur de la Banque, d’expliquer à Juve le vol dont il venait d’être victime.
— Que croire ? conclut-il, que penser ? Il me semble que je deviens fou.
Juve, jusqu’alors, avait tranquillement écouté les explications qu’on lui donnait. Soudain, il sortit du silence indifférent, en apparence, qu’il avait jusqu’alors observé, et la déclaration qu’il fit jeta les deux hommes qui l’écoutaient dans une profonde stupeur, dans un effroi abominable aussi.
— Messieurs, déclarait Juve, si vous voulez que je vous parle franchement, je ne vous cacherai pas que pour moi, il n’y a aucune illusion à se faire. Le vol est manifeste dans les deux cas, et son auteur est, ne peut être que Fantômas.
— Fantômas ? Que Fantômas ?
— J’en suis certain.
Et, avec cette précision rigoureuse qu’il apportait toujours dans les affaires les plus complexes, il expliqua :
— Fantômas seul est capable, messieurs, de connaître d’abord les détails intérieurs de la Banque de France. Lui seul, enfin, peut rêver le vol prodigieux de ces caves. Lui seul serait capable de le réussir. Mieux même, je vous avouerai que seul Fantômas et personne d’autre, à mon avis, peut avoir eu l’audace nécessaire pour s’être emparé comme il l’a fait, de la clef de M. Tissot. Le stratagème des faux infirmiers, vous le reconnaîtrez, était merveilleux.
— Il est incompréhensible, surtout, dit le malheureux M. Tissot. Comment Fantômas pouvait-il savoir où je cache ma clef ?
— Vous avez dû le lui dire, répondit Juve en se levant.
Et, tandis que le censeur de la Banque, abasourdi par cette réponse, considérait Juve, le visage empourpré de colère, le policier, souriant, reprenait :
— Mais oui, vous avez dû le lui dire. Soyez sûr que si Fantômas s’est servi des faux infirmiers qui ne pouvaient que vous éloigner quelques instants et, par conséquent, lui laisser quelques minutes à peine pour effectuer le vol, c’est qu’il avait la certitude qu’il n’aurait point beaucoup de difficultés à trouver votre clef.