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— J’ai souvent changé d’avis à ce sujet, mais désormais, ma décision est prise. Irrévocable. Les demi-mesures ne nous ont pas réussi : si Fantômas se dressait en face de moi en ce moment, je l’abattrais comme un chien en lui logeant cinq balles dans la tête.

— Ah, fit Fandor, qui continua : Juve, avez-vous jamais vu Fantômas masqué ?

— Ah çà, Fandor, que signifie cet interrogatoire ? Tu me poses là des questions auxquelles tu pourrais répondre aussi bien que moi.

— Répondez-y, je vous en prie, insista Fandor, et si j’ai l’air de dire des naïvetés, n’en tenez pas compte. Je suis obligé de faire actuellement une déduction compliquée et j’ai besoin de votre appui pour cela. Écoutez-moi bien, Juve, et répondez : définissez-moi Fantômas masqué.

Le policier haussa les épaules :

— Tes questions sont stupides, mais j’y réponds tout de même. Donc, Fandor, Fantômas, indépendamment des nombreux déguisements sous lesquels il se cache, apparaît fréquemment à ses victimes, ou à nous-mêmes, soit le visage dissimulé derrière un loup noir, à la manière des dominos de carnaval, soit la tête enveloppée dans une sorte de cagoule, aussi sombre que la nuit, comme en portent les pénitents des couvents d’Italie.

— Je vais vous poser encore une question, Juve : Avez-vous une idée quelconque sur la façon dont Fantômas se fixe cette fameuse cagoule autour de la tête ?

De plus en plus surpris, le policier regardait son ami, pour tâcher de comprendre où il voulait en venir. Mais Fandor gardait un visage impassible.

— Je n’en sais rien. Peut-être fixe-t-il cette cagoule autour de sa tête avec un lacet, avec un élastique ?

— Avec un élastique avez-vous dit ? Ah tant mieux. Encore une question, Juve : Avez-vous été enfant, autrefois ?

— Fandor, tu as certainement bu trop de champagne.

— Je vous jure, Juve, que mon gosier est aussi sec que l’amadou de votre briquet. Je me répète : avez-vous été enfant ?

— J’ai été enfant. Il y a longtemps…

— Vous avez, comme tous les gosses, porté de grands chapeaux dont on assurait la stabilité sur votre tête au moyen d’un élastique qui vous passait sous le menton.

— C’est vrai.

— Et, lorsqu’on vous ôtait votre chapeau, si l’élastique s’en allait avec, il restait néanmoins sur votre peau les traces de ce lien, c’est-à-dire une sorte de petit filet rouge, imperceptible, durant peu de temps, mais visible tout de même.

— Oui. Alors ?

— Alors, j’aime à croire qu’un homme qui a l’habitude de porter une cagoule serrée autour de son cou par un élastique, peut avoir à l’occasion, comme les enfants, ce petit filet rouge esquissé sur la peau. Dès lors, Juve, cherchez autour de vous, et regardez.

Le journaliste n’en dit pas plus. Une apparition blonde venait rompre son entretien avec le policier. C’était Sarah Gordon qui, s’adressant à Fandor que Juve lui présentait, demandait au journaliste :

— Monsieur, ayez donc l’obligeance de m’offrir votre bras, pour traverser ce salon. C’est très amusant, je suis chez moi, c’est-à-dire que tous ces gens sont mes invités et cependant je connais très peu de monde. Je ne puis cependant m’approcher du premier venu et lui dire de me servir de cavalier. Vous êtes un des rares qui m’aient été présentés.

Juve perplexe, se demandait cependant :

— Que signifie l’attitude de cette femme ? Véritablement, elle arrive toujours au moment où il ne le faut pas. À moins que ce ne soit précisément, au contraire, le moment où il le faut. À son point de vue.

Mais, soudain, Juve tourna les talons et parcourut la galerie. Il sentait son cœur battre : un homme à la grande silhouette, aux yeux sombres qui s’ouvraient dans un visage de vieillard tout encadré de barbe blanche, venait de passer auprès de lui et Juve avait été frappé de stupeur. N’avait-il pas remarqué sur la nuque de cet homme une sorte de petite ligne rouge, semblable à la trace de l’élastique dont Fandor venait de l’entretenir quelques instants auparavant ?

Cependant, le journaliste avait, avec Sarah, une conversation vive et animée. L’Américaine, réellement naïve, ou feignant de l’être, allait d’étonnement en étonnement :

— C’est drôle, fit-elle, en regardant complaisamment Fandor des pieds à la tête. Vous êtes habillé comme tout le monde et pourtant vous êtes journaliste ?

— On ne nous a pas encore imposé d’uniforme, mademoiselle, comme les capitaines de dragons, ou les garçons de banque.

— Oh, fit Sarah, ce n’est pas cela que je voulais dire ! Mais j’imaginais que les gens qui exercent votre profession avaient toujours une allure un peu spéciale.

— Je vois ce que c’est, fit Fandor, vous les supposiez sales et loqueteux, fumeurs de grandes pipes, et porteurs de chapeaux mous, enfoncés sur des têtes hirsutes ?

— À vous parler franchement, telle était, en effet, mon opinion.

— Nous avons changé tout cela, mademoiselle, depuis longtemps.

Mais il s’arrêta net. Une détonation venait de retentir, Fandor pâlit et lâcha Sarah Gordon interdite au milieu du salon. Le journaliste se précipita. La foule se massait vers le fond de la galerie dans laquelle Fandor avait quitté Juve quelques instants auparavant :

— Je savais bien, grommela le journaliste, que cette soirée ne finirait pas sans quelque mauvaise histoire.

Pendant près de vingt minutes, ce fut un désordre inexprimable dans les somptueux salons du Gigantic Hôtel. Les danseurs s’étaient arrêtés, des groupes se formaient dans lesquels on discutait avec animation, sans savoir exactement ce qui s’était passé toutefois. Des maîtres d’hôtel, des inspecteurs du Gigantic s’efforçaient toutefois de calmer les gens. Et à ceux qui suggéraient qu’il venait d’y avoir un drame, un crime peut-être, que l’on avait tiré un coup de revolver, ils répondaient avec aplomb :

— C’est une erreur, messieurs, il ne s’est rien passé ! Un meuble est tombé, il a fait du bruit, voilà tout.

On déclarait aussi qu’il s’agissait là d’un court-circuit dans les cuisines, de l’explosion d’un tuyau de gaz sur le trottoir, hors de l’immeuble.

***

Fandor enfin retrouva Juve.

Le policier sortait des bureaux de l’administration. Il était très pâle :

— Eh bien ? interrogea Fandor.

— Eh bien, fit Juve, tu avais raison, la petite ligne rouge. À peine tu m’avais quitté qu’un homme aux allures de vieillard a passé à côté de moi, et il était marqué comme tu l’avais dit, marqué à la nuque.

— Qu’avez-vous fait ?

— Je l’ai suivi dans la galerie. Je me suis rapproché de lui. J’allais lui mettre la main au collet. Il s’est retourné à ce moment-là.

— Et puis ?

— C’est là, continua Juve, où je ne comprends plus. Une détonation a retenti. Instinctivement, j’ai baissé la tête. L’homme à la ligne rouge, Fantômas, car ce ne peut être que Fantômas, a baissé la tête lui aussi. Et si une balle a sifflé à mon oreille, une balle également a sifflé à la sienne.

— Vous voulez dire que vous avez tiré tous les deux ?

— Non. Nous n’avons tiré ni l’un ni l’autre.

Le policier lui expliqua alors comment, dans la bagarre survenue immédiatement après le coup de feu, il avait été séparé du mystérieux vieillard. Il ne l’avait pas revu. Sa fuite était-elle due au hasard ou à la protection de complices ?

Fandor n’écoutait plus.

— Vous n’avez en somme tiré ni l’un ni l’autre et un coup de feu a retenti ?

— Oui. Qui visait-on ?

— Qui ?

13 – VOLEUSE À LA TIRE

Boulevard Malesherbes, la foule des passant  s’était arrêtée quelques instants, en face du magasin de nouveautés Paris-Galeries, pour regarder avec cette curiosité béate qui est la caractéristique de la badauderie parisienne, une voiture automobile en panne sur le bord du trottoir.