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Le cœur battait un peu à Nalorgne, car c’était la première fois, depuis qu’il était inspecteur de la Sûreté, qu’il allait enfin réussir une arrestation. Oh, il était bien trop malin, pensait-il, pour révéler tout de suite sa qualité. Dès lors, pressant le pas, retroussant sa moustache et s’efforçant d’avoir l’air d’un séducteur, il dépassa la petite femme et, l’ayant heurtée à l’épaule pour qu’elle le regardât, il lui décocha un coup d’œil si peu équivoque, si caractéristique, que les plus éhontées professionnelles du trottoir ne l’auraient pas renié.

La petite femme le regarda, et, bien qu’elle fût fort troublée, faillit éclater de rire. Nalorgne, cependant, engageait la conversation :

— Dites donc, mademoiselle…

— Ah, non, très peu ! Quelle caricature !

Nalorgne avait entendu. Ça, par exemple, c’était raide. Et instantanément, il lui revint à l’esprit qu’il était inspecteur de la Sûreté, qu’il incarnait la Puissance, et que laisser quelqu’un se moquer de lui, c’était permettre que l’on bafouât l’autorité. Dès lors, changeant brusquement d’attitude, il laissa lourdement sa main s’abattre sur l’épaule de la gamine, et d’une voix de stentor lui déclara :

— Au nom de la loi je vous arrête !

L’effet ne manqua pas de se produire. La gamine poussa un cri terrible, essaya de s’arracher à Narlogne, mais celui-ci la maintenait de ses doigts crispés sur son épaule. La petite femme se jeta par terre, roulant sur le trottoir, entraînant dans sa chute le grand inspecteur de la Sûreté. Un attroupement considérable se produisit et aussitôt, les commentaires de la foule se manifestèrent, peu flatteurs à l’égard de cet homme qui brutalisait cette malheureuse :

— Il en a du culot le frère ! Quelle brute ! Si c’est permis de maltraiter ainsi une gosse !

— Attends un peu, propre à rien ! On va t’apprendre à tomber sur les gens ! Canaille, va !

Peu s’en fallut que Nalorgne ne s’en tirât avec force blessures et horions. Mais, heureusement, deux agents en uniforme étaient survenus. Nalorgne se fit connaître, et les sergents de ville, écartant la populace, finirent par rétablir l’ordre, par restituer la petite femme au policier. Puis, l’un traînant l’autre, suivis des gardiens de la paix et d’une foule considérable, ils s’acheminèrent vers le bureau de police de la rue d’Anjou.

Si Nalorgne, à ce moment, avait réfléchi aux instructions de M. Havard, il aurait dû s’avouer, en bonne conscience, qu’il ne les avait pas strictement observées. Cette arrestation d’une toute petite femme par un policier robuste avait ameuté tout le quartier.

La prisonnière, au commissariat, fut transférée dans le local réservé aux personnes arrêtées sur la voie publique. Quelques instants après, Nalorgne qui ne la quittait pas, fut invité à passer avec elle dans le cabinet du commissaire. Il y trouva Pérouzin et la grande dame élégante qui, toute pâle, achevait de déclarer au commissaire qu’en effet, son porte-monnaie venait bien de lui être dérobé. Pérouzin se rapprocha de Nalorgne :

— Vous savez, fit-il d’un air important que cela a été très difficile de la décider à venir jusqu’ici. Elle m’a pris pour un gigolo, elle croyait que je voulais lui offrir quelque chose et tout d’abord, elle m’a saqué [19].

— C’est comme moi avec la petite, fit Nalorgne, mais j’ai eu du flair et j’ai réussi à l’arrêter tout de même.

Pérouzin considéra Nalorgne avec admiration, puis il se regarda lui-même avec complaisance et, constatant que les deux personnes qu’il avait fallu amener au commissariat y étaient, il déclara d’un air convaincu :

— Nous sommes décidément des types épatants !

Le commissaire, brièvement, notait les déclarations de la grande dame. Lorsqu’il eut terminé, il lui tendit la plume :

— Veuillez, madame, fit-il, inscrire au-dessous de ces lignes, votre nom et votre adresse.

— Est-ce bien nécessaire ?

— Indispensable, madame, étant donné la plainte que vous formulez.

La personne volée parut hésiter un instant, mais elle se décida cependant à faire connaître son identité et, cependant qu’elle signait au-dessous du texte rédigé par le commissaire, elle murmura :

— Je suis la comtesse de Blangy, 214, avenue Niel… Vous n’avez plus besoin de moi, monsieur ?

— Un instant, fit le commissaire qui, se tournant vers Nalorgne, demanda : c’est la voleuse ?

— Oui, monsieur le commissaire, déclara l’ancien prêtre en poussant devant lui la gamine qui chancelait d’émotion.

— L’a-t-on fouillée ? demanda le magistrat.

La gamine protesta en pleurant :

— Il m’a bousculée m’sieu… Y m’a frappée comme une brute, mais il n’a rien trouvé sur moi. Cependant, je regrette ce que j’ai fait.

D’un geste brusque la gamine fouilla son corsage et en tira le porte-monnaie qu’elle avait audacieusement dérobé quelques instants auparavant.

— Voilà votre galette, fit-elle en s’adressant à sa victime. Comptez voir. Il n’y manque rien.

La comtesse de Blangy eut un regard apitoyé pour la voleuse :

— Pauvre petite, murmura-t-elle. Les mauvais exemples sans doute…

Mais elle avait hâte de s’en aller. Le magistrat toutefois ne lui rendait pas son argent :

— Il est indispensable, fit-il, que je garde provisoirement votre bourse à titre de pièce à conviction. Toutefois, madame, vous pouvez vous retirer. Vous serez certainement convoquée par le juge d’instruction.

Une demi-heure plus tard le magistrat avait terminé l’interrogatoire de la gamine. Elle avait dit s’appeler Rose Coutureau, exercer la profession d’artiste au Théâtre Ornano et vivre avec son père qui remplissait les fonctions d’habilleur et de gardien d’accessoires à ce même établissement. Cette révélation avait déterminé d’ailleurs une explosion de larmes :

— Quand il va me retrouver, avait hurlé la petite, sûr qu’il me tuera !

Mais le magistrat sévèrement, bien qu’avec ironie, avait répondu :

— N’ayez aucune crainte, nous sommes là pour vous protéger contre lui, et d’ailleurs, vous n’allez pas le revoir tout de suite monsieur votre père, car je vous envoie coucher au Dépôt.

En dépit des lamentations de la malheureuse, le commissaire la confiait aux agents de police qui la ramenaient dans le petit local dont elle avait été extraite pour venir répondre au magistrat et où elle allait rester désormais jusqu’au prochain passage du « panier à salade ».

Toutefois, un brigadier, brave homme, ému par cette douleur intense, avait chuchoté à l’oreille de la prisonnière :

— Ne vous faites donc pas tant de bile. Si c’est la première fois que ça vous arrive, vous aurez la loi Bérenger [20].

***

Dans les coulisses du Théâtre Ornano, le père Coutureau faisait un tapage du diable, encore que sur les murs fussent apposées d’énormes affiches recommandant le silence :

— Quelle taule, nom de Dieu, jurait-il, c’est pas un métier que je fais ici ! Les forçats de la Nouvelle [21] ont moins de turbin que moi.

Il brandissait à la main une poignée de sabre.

— Que voulez-vous que j’en foute ? grommelait-il. Un sabre sans fourreau et sans lame ! Allez donc équiper avec ça, une troupe de militaires ?

Le père Coutureau s’introduisit dans une sorte de réduit obscur qu’on intitulait pompeusement : « Magasin d’accessoires ». Il bouscula l’amas d’objets qui s’y trouvaient entassés dans le plus grand désordre et finit par découvrir une latte de bois. Il parut consolé :

— Voilà qui fera l’affaire, dit-il.

Et, avec un bout de ficelle, il attacha la poignée de sabre à cette lame improvisée. Puis il prit un chapeau, un ancien bicorne de garçon de banque, et s’efforça d’y fixer quelques plumes, provenant sans doute d’une volaille à bas prix.