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M. Havard courut à lui, lui arracha brusquement les documents qu’il tenait à la main, puis les ayant examinés d’un rapide coup d’œil, le chef de la Sûreté proféra, poussant un gros soupir :

— Ah, je m’en doutais, c’est encore vous qui aviez la cote 22.

— Monsieur le directeur, fit Lévêque, vous me l’avez donnée il y a une minute pour rechercher les fiches des anarchistes que vous soupçonnez avoir commis l’attentat du Comptoir National [7].

— Il s’agit bien d’anarchistes ! cria M. Havard. Voyons, mes enfants, c’est stupide ! Le vol du Comptoir National est signé, clair comme le jour. Parmi les papiers qui ont disparu, se trouvent ceux qui appartenaient, par suite de la mort de l’infante d’Espagne, au soi-disant baron Stolberg, mari de Mercedes de Gandia. Or, vous savez bien, les uns et les autres, que le baron Stolberg, c’est la dernière personnalité prise par Fantômas. Fantômas, encore, toujours lui !

M. Havard s’arrêtant de parler, courut à la fenêtre qui donnait sur la cour intérieure de la Préfecture.

Un vacarme assourdissant en montait, des pétarades qui évoquaient les écoles à feu de toute une batterie d’artillerie.

— D’où vient ce tapage ?

— Ce ne peut être que l’automobile de nos collègues Nalorgne et Pérouzin, dit Martin. Depuis qu’on les a chargés de ce service, ils sont toujours en train de réparer quelque chose, il faut croire…

— Il ne s’agit pas de cela, fit-il, mais bien de s’élancer à la poursuite du voleur de la banque et de ses complices. Car il y a naturellement des complices dans cette affaire.

M. Havard s’interrompit encore. Il se tourna vers son secrétaire qui l’avait approché, surmontant sa timidité, et le touchant au bras, il demanda :

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Que voulez-vous ?

Le jeune homme enfin tendit la carte qu’il tenait à la main.

— Je n’ai pas le temps de recevoir ! cria M. Havard.

Cependant, ses yeux s’étaient arrêtés sur le bristol et il lut à haute voix :

M. Bercelier

Directeur technique de la Compagnie générale des Omnibus

— Qu’il entre, s’écria le chef de la Sûreté. Ah ! par exemple, il vient à point !

Deux secondes après, M. Bercelier pénétrait dans le cabinet du haut fonctionnaire. Celui-ci courut à lui :

— Eh bien, fit-il, en voilà une histoire ! Si vous croyez que c’est amusant pour nous. Mais aussi je ne comprends pas la Compagnie. Vos employés ne sont donc pas capables de garder leur voiture ? Les engins de cette espèce, des mastodontes de cette sorte ne se volent pourtant pas comme un mouchoir de poche ?

— Sans doute, répliqua M. Bercelier, mais l’aventure est tellement extraordinaire, et la témérité des voleurs si grande, que nous ne pouvions guère nous attendre…

— Vous vous rendez compte, poursuivit M. Havard, de la responsabilité qu’encourt la Compagnie ?

— Les agents de police de la place Clichy, survenus au moment de l’accident, ont manqué de présence d’esprit. Ils auraient dû songer qu’on allait peut-être voler la Banque, et organiser une surveillance immédiate. Je sais bien qu’ils n’étaient pas nombreux. Mais la Compagnie des Omnibus ne saurait être rendue responsable de l’insuffisance des gardiens de la paix.

M. Havard leva les bras au ciel à ces derniers mots :

— Ni moi non plus ! cria-t-il. Les agents de police ne me regardent pas. C’est l’affaire du préfet et si vous comptez engager la discussion sur ce terrain, c’est à lui qu’il faudra vous adresser.

M. Bercelier, un homme très calme, très froid et dont l’attitude pondérée faisait un curieux contraste avec celle du chef de la Sûreté, véritablement hors de lui-même ce jour-là, coupa court à la discussion d’un geste de la main.

— Monsieur le chef de la Sûreté, dit-il, j’ai quelque chose de plus grave à vous communiquer.

— De quoi s’agit-il ?

M. Bercelier reprit :

— Voilà, un autre autobus a été volé.

— Il ne manquait plus que cela ! Comment est-il cet autobus ? Quel est son numéro ?

— La voiture n’a pas de numéro. En outre, elle est difficile à reconnaître. C’est ce que nous appelons une « voiture haut-le-pied ». Et qui a pour mission d’aller se substituer aux véhicules en panne, tantôt sur une ligne, tantôt sur une autre. Je viens d’apprendre au dépôt qu’elle n’est pas rentrée à midi comme d’ordinaire. Or, il est neuf heures du soir et nous ne savons toujours pas ce qu’elle est devenue.

— Voyons, monsieur Bercelier, pourriez-vous me décrire cette voiture ? A-t-elle une forme particulière ? Une couleur spéciale ?

— Hélas, monsieur le chef de la Sûreté, répondit le directeur technique, tout ce que je puis dire, c’est qu’il s’agit d’un véhicule du type D. A., sans impériale, à trente et une places. La caisse est peinte en vert.

— En vert ! s’écria Havard, haussant les épaules. Naturellement, comme toutes les autres. Je ne comprends pas que vous ayez adopté cette couleur uniforme. Le public n’y comprend rien. Enfin, nous ne sommes pas là pour critiquer, mais pour agir.

Bercelier s’inclina :

— Je vous remercie par avance, déclara-t-il, de ce que vous ferez dans l’intérêt général comme dans l’intérêt de la Compagnie. De notre côté, monsieur le chef de la Sûreté, nous vous communiquerons d’urgence tous les renseignements qu’il nous sera possible de recueillir.

Le directeur technique de la C. G. O. était à peine parti que M. Havard se tournait vers les inspecteurs demeurés immobiles au fond de son bureau.

— Vous avez entendu ? Vous vous rendez compte de la difficulté de l’affaire ? Mais je sais que cela n’est pas pour vous rebuter. Voyons Michel et vous Léon, il va s’agir de prendre en main cette histoire.

M. Havard s’interrompit :

— C’est insupportable, le tapage que fait cette automobile dans la cour ! s’écria-t-il. On ne s’entend pas. Allons ailleurs ! Passons dans le cabinet du sous-chef, nous y serons débarrassés de ce vacarme, ce qui est nécessaire pour établir notre ligne de conduite.

***

Dans la cour, cependant, ignorant les perturbations qu’ils causaient parmi le haut personnel de la Préfecture, Nalorgne et Pérouzin, consciencieusement enfoncés sous le capot de leur voiture, s’entretenaient des mystères de la carburation.

Les deux inspecteurs de la Sûreté ne paraissaient pas très bien d’accord sur les causes de l’arrêt de leur véhicule, qui, s’il faisait grand tapage lorsqu’on mettait le moteur en route, ne parvenait pas à démarrer. D’un air solennel et convaincu, Nalorgne affirmait :

— C’est sûrement la faute du carburateur. Il admet trop d’air, c’est ce qui empêche le moteur de donner sa force.

Mais Pérouzin secouait la tête négativement et affirmait avec aplomb :

— Ça n’a aucun rapport, et si la voiture n’avance pas, c’est que peut-être il y a quelque chose de déboulonné dans le différentiel.

Après un instant de repos, les deux hommes, qui étaient couverts de poussière et de cambouis, disparurent à nouveau sous le mécanisme. Nalorgne appela Pérouzin :

— Qu’est-ce qu’il y a ? répliqua celui-ci.

— Je me demande, fit Pérouzin, si ça n’est pas un tour de la magnéto ?

Nalorgne en profitait pour sortir de dessous la voiture où il se trouvait fort mal, et s’asseyant sur le marchepied, cependant qu’il s’épongeait la figure avec un chiffon gras, il répondit d’un air entendu :

— Ah, la magnéto… Mais ce serait très grave.

Les deux hommes cessèrent un instant de travailler et se regardèrent dans les yeux, puis, brusquement, éclatèrent de rire. Ils s’étaient compris.