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— Ma foi, murmura Pérouzin, nous pouvons bien l’avouer entre nous, nous n’y connaissons pas grand-chose.

— Vous pourriez dire rien du tout, Pérouzin. Mais, je ne me décourage pas, nous finirons bien par connaître le métier.

— Nous en avons fait bien d’autres. Quand je pense que j’étais notaire autrefois !

— Et moi ecclésiastique, fit Nalorgne.

— Nous sommes ensuite devenus inspecteurs des jeux au Casino de Monte-Carlo [8].

— Puis, continua Nalorgne, nous avons monté un bureau d’affaires rue Saint-Marc à Paris.

— Un bureau qui ne marchait pas, dit Pérouzin comme un écho.

— Enfin, nous sommes entrés à la Sûreté avec, pour mission, d’aider Juve à arrêter Fantômas.

— Lequel Fantômas, conclut Nalorgne, s’est trouvé par le hasard des circonstances, sinon le meilleur de nos amis, du moins le plus redoutable de nos maîtres.

— C’est vrai, reconnut Pérouzin. Nous avons risqué gros à ce moment, et si Juve avait voulu nous faire du tort, rien ne lui était plus facile.

Les deux hommes se taisaient encore et réfléchissaient aux choses qu’ils venaient d’évoquer. Elles étaient exactes, quoique surprenantes : Nalorgne et Pérouzin, après avoir exercé les professions les plus diverses, étaient entrés, en effet, dans les services de la Sûreté générale à une époque où le terrible bandit Fantômas les avait utilisés comme indicateurs et même complices de ses entreprises. Certes, il n’aurait tenu alors qu’à Juve de les faire arrêter. Il les avait épargnés. Pourquoi ? On le saurait peut-être quelque jour.

Quant à Nalorgne et Pérouzin, peu préoccupés de l’avenir, ils se contentaient de la tranquillité présente et depuis quelque temps, se sentaient gonflés de joie, parce que, sur leur demande et l’assurance qu’ils avaient donnée qu’ils connaissaient fort bien l’automobile, on leur avait confié la première des voitures achetées par la Sûreté générale pour le service des inspecteurs.

Nalorgne et Pérouzin regardaient le véhicule avec sympathie et tendresse.

— Ce qu’elle est jolie tout de même, murmurèrent-ils. Dommage qu’elle ne veuille pas marcher.

La nouvelle voiture de la Préfecture était une sorte de phaéton, type de course, et munie à l’avant d’un capot très élevé, tout en métal, de nature à fort bien protéger les passagers de la voiture contre les agressions possibles ou les coups de feu.

— Dommage qu’elle ne veuille pas marcher, répéta Nalorgne.

Cependant Pérouzin, plus entêté que lui, était allé tourner la manivelle. Le moteur pétarada de nouveau et l’ancien notaire, avec une agilité surprenante de la part d’un homme de sa corpulence, courut au volant, remua les leviers et pour la vingt-cinquième fois depuis le commencement de la journée, tenta d’embrayer.

Oh, surprise ! La voiture démarra !

— Attendez-moi, s’écria Nalorgne, qui se précipita sur le marchepied.

— Enfin, s’écriaient les deux hommes, enfin elle marche !

Mais soudain devant eux se dressait la silhouette de leur collègue, l’inspecteur Martin. Il agitait les bras en faisant de grands gestes :

— Arrêtez, cria-t-il, le patron vous demande. Il vous attend tout de suite dans son cabinet. M. Havard a des ordres à vous donner.

Pérouzin bloqua instantanément les freins de sa voiture et cala son moteur ; le véhicule s’arrêta net.

— Décidément, grommela Nalorgne, nous avons la guigne. Pour une fois que nous parvenons à faire marcher l’automobile, il faut qu’on nous empêche de sortir avec.

3 – CARNAGE DANS PARIS

Il était à peu près cinq heures du soir et les rues étaient encombrées par un grand nombre de véhicules, cependant que les trottoirs, noirs de monde, présentaient l’animation propre aux voies parisiennes.

Se faufilant à travers les voitures, piloté de main de maître, trouvant sa route au milieu des pires encombrements, un autobus avançait, une voiture de réserve évidemment, car elle ne portait aucune étiquette et ne prenaient point de voyageurs. À l’intérieur du véhicule se trouvaient cinq ou six ouvriers qui fumaient et lisaient le journal. Sur le siège, deux conducteurs devisaient.

La place du Châtelet franchie à vive allure, à la hauteur du pont au Change, l’autobus tourna sur la gauche, prit le quai de Gesvres.

— Nous sommes à l’heure, patron ?

— Je suis toujours exact et tu devrais le savoir.

— C’est que j’imagine que l’on ne nous attendrait pas.

Le conducteur de la voiture sourit, haussa les épaules :

— Je reconnais que c’est probable.

Engagé sur le quai, l’autobus avait accéléré l’allure. En quelques instants il atteignit la place de l’Hôtel-de-Ville qu’il traversa, puis continuant à suivre la Seine, il se dirigea vers le pont Louis-Philippe.

Là, soudain, le lourd véhicule ralentit.

— Attention, annonça l’homme qui tenait le volant, nous allons nous arrêter dans ces parages. Le pavé ici est mauvais à souhait.

— Mais, patron, êtes-vous sûr qu’en un pareil endroit vous pourrez bloquer la rue ?

— Imbécile !

Les freins venaient de crier, le lourd véhicule s’immobilisa, se rangea contre le trottoir. En un instant, le conducteur avait sauté sur le sol et, ouvrant l’une des tôles entourant le moteur, il y enfouissait sa tête et demandait à son compagnon :

— Les hommes sont-ils là ?

Celui-ci semblait inspecter le quai avec une vive attention.

— Je ne vois personne, patron.

— Imbécile !

De l’intérieur du véhicule, cependant, les autres mécaniciens étaient descendus sans se presser. Ils se groupaient maintenant à l’avant de la voiture :

— Tout va-t-il bien, patron ?

— Tout va bien, mes amis.

Le pilote était toujours penché à l’intérieur du capot, mais sans doute à travers les interstices des tôles, il avait pu examiner la rue.

— Prêtez-moi la main, commandait-il. À l’intérieur de la voiture il y a des barres de fer qu’il faut décharger.

Sous sa conduite, tous remontèrent dans le véhicule. Or, ces mécaniciens avaient à peine repris place dans l’autobus, à peine quitté le trottoir, que leur attitude brusquement changea. Ils avaient eu jusqu’alors les gestes de braves gens peu inquiets d’une panne survenant à l’improviste. Ils semblèrent soudain pris d’une rage d’activité.

— Attention ! recommanda le pilote, d’une voix nette et brève, une voix de commandement qui semblait imposer à tous ses compagnons. Chacun a bien compris mes instructions, n’est-ce pas ?

Les autres baissaient la tête, faisaient oui du geste, mais ne soufflaient mot. Le conducteur reprit, en s’adressant simultanément à chacun des hommes :

— Toi… tu t’arrangeras pour demeurer pendant toute l’affaire debout à l’avant de l’autobus, prêt à tourner la manivelle.

— Bien, patron.

— Quant à vous deux, vous prendrez garde à bien apporter les barres de fer.

— Bien, patron.

Se tournant vers un quatrième individu, le pilote ajoutait :

— Tu demeureras ici pour tourner le moulinet.

— C’est compris.

Ces ordres donnés, le chef, car véritablement l’homme qui pilotait ces mécaniciens semblait leur commander en chef, se hâta d’ajouter :

— Pressons-nous, les enfants, nous avons six minutes tout juste avant l’arrivée.

Tandis que l’autobus s’immobilisait ainsi, au long du trottoir, un agent qui stationnait à quelque distance, juste au point de la rue des Barres, remarquait le lourd véhicule et s’en approchait à pas lents.

— Dites donc, mes amis, commença le digne gardien de l’ordre, en interpellant les mécaniciens, vous ne pourriez pas vous ranger un peu, vous allez gêner la circulation.

Les mécaniciens semblaient se concerter du regard, c’était le conducteur qui répondit :