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Et comme l’Américaine, légèrement bouleversée par l’attitude de la jeune fille, se taisait, la fille de Fantômas poursuivit :

— Je ne puis rien vous expliquer, mademoiselle, par le fait que j’ignore beaucoup de choses. Toutefois, il y a quelque chose que je sais : votre départ, je vous le répète, causerait d’horribles malheurs. Vous aimez Dick, Dick vous aime, c’est au nom de cet amour qu’encore une fois je vous prie…

Mais Sarah s’était ressaisie :

— Il suffit, mademoiselle ! déclara l’Américaine, glaciale. Vous m’en avez assez dit, trop peut-être. Je veux croire que vous ne vous rendez point compte du grotesque de votre démarche. Je ne veux point discuter. Peu m’importe. Il n’y a qu’une chose que je sais, c’est que je partirai demain, et que je partirai en compagnie de Dick.

Jalouse en cet instant, furieusement jalouse, car elle ne doutait point qu’une intrigue amoureuse fût la cause de l’étrange visite qu’elle recevait, Sarah paraissait fermement décidée.

Or, entendant l’arrêt qu’elle venait de prononcer, Hélène avait changé d’attitude.

Ses yeux flamboyèrent, un flot de sang empourprait ses joues.

— Non, mademoiselle, cria la fille de Fantômas, vous ne partirez pas !

— Et pourquoi donc ?

Dressée devant Hélène, Sarah, frémissante, attendait :

— Parce que je vous en empêcherai.

— Par la force ?

— Oui, s’il le faut !

Hélas, au moment même où Hélène osait ainsi menacer l’Américaine, Sarah, éperdue, affolée de peur, bondissait en arrière et, fiévreusement, toucha la sonnette d’alarme installée, comme dans tous les hôtels modernes, au centre de sa chambre.

— Que faites-vous ? demanda Hélène.

— J’appelle au secours, railla Sarah qui, de plus, sous un coussin de son divan, avait pris un mignon revolver et le braquait sur la fille de Fantômas. J’appelle au secours, mademoiselle, et l’on verra bien…

— Vous êtes folle ! riposta Hélène.

Mais les instants pressaient.

Au carillon de la sonnette d’alarme, une sonnette stridente, prolongée, qui s’entendit du haut en bas de l’hôtel, toute la domesticité s’empressait.

Des cris retentissaient partout.

— C’est le signal d’alarme !

— Courez vite au premier !

— C’est à l’étage du second !

Hélène se rendit compte qu’elle était perdue.

Quel mystérieux atavisme cependant la rendait si froide, si tranquille, alors que le danger l’environnait de toutes parts, alors qu’elle risquait une arrestation, d’autant plus périlleuse qu’elle aurait été bien embarrassée pour expliquer au juste les motifs de sa présence dans la chambre de Sarah ?

C’était bien la fille de Fantômas qui était en face de l’Américaine. Hélène ne se pressait pas, elle dardait sur Sarah un regard méprisant et volontaire.

— Vous ne partirez pas, articula Hélène, et nous nous reverrons, Sarah Gordon.

Puis, ces énigmatiques paroles prononcées, la jeune fille ouvrait la porte de la chambre qu’elle refermait derrière elle, bondissait dans la galerie. Déjà on accourait.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Hélène s’éloigna d’un pas calme.

— On appelle ? demandait-elle.

Elle feignait d’être une visiteuse de l’hôtel.

Pourtant comme personne ne la connaissait, comme, en longeant le couloir elle allait arriver sur le palier, vivement éclairé et où immanquablement on allait la dévisager, Hélène se troubla.

Qu’un seul des serviteurs accouru lui demandât qui elle était, que Sarah, remise de son trouble, sortît de sa chambre et la désignât, c’en était fait d’elle.

À ce moment précis, et alors que la sonnette d’alarme continuait à tinter éperdument, un maître d’hôtel, accouru du fond de la galerie, prit Hélène par le bras.

— Vite, mademoiselle, dit-il, prenez l’ascenseur ! Vous n’entendez donc pas le signal d’alarme ? Il y a danger à rester ici.

Hélène n’eut pas le temps de réfléchir.

Elle était bousculée par le maître d’hôtel, poussée dans l’ascenseur qui descendait.

Et c’est comme une vision de rêve qui bouleversait la fille de Fantômas.

Alors qu’elle entrait dans l’appareil, elle s’était retournée, elle avait un instant aperçu le visage du maître d’hôtel assurant sa fuite, et dans ce visage, ce visage aux traits énergiques, ce visage qui semblait sourire d’un sourire retenu, Hélène croyait avoir reconnu les traits de son père.

— Fantômas, Fantômas, murmura la jeune fille. Ah, pourquoi Fantômas est-il au Lac Palace ?

L’ascenseur cependant, descendait toujours.

Debout dans l’appareil, la jeune fille se demandait si elle allait pouvoir sortir sans encombre du grand hôtel.

Et elle avait la surprise encore de voir que, du premier étage, un homme se précipitait, montant à toute allure. Et cet homme, oh parbleu, la fille de Fantômas le reconnaissait à la minute.

Il pouvait bien porter des habits étrangers, il pouvait bien tenir un sac de voyage sous son bras, il pouvait bien feindre d’être un voyageur ahuri par le désordre, son visage était trop familier à Hélène pour qu’elle ne le reconnût point.

— Juve, se dit la fille de Fantômas. C’est Juve ! Il est ici et mon père y est aussi. Ah, j’ai peur, j’ai peur !

***

— Nalorgne ?

— Quoi Pérouzin ?

— Combien de fois nous sommes-nous arrêtés depuis Paris ?

— Dix-huit fois, seulement.

— C’est bien ce que je pensais. La machine commence à être au point.

Quelques minutes avant la scène tragique qui devait éclater dans la chambre de Sarah, une automobile de course, marchant à toute petite allure, mais dégageant une épaisse fumée et produisant un tapage infernal, s’était arrêtée à quelque distance du Lac Palace.

Cette automobile était celle de la Sûreté et les deux hommes qui en descendaient, noirs de cambouis et poussiéreux, ayant l’air de revenir du bout du monde, n’étaient autres que Nalorgne et Pérouzin, tous deux radieux à la pensée qu’ils avaient été avec leur voiture de Paris à Enghien en un peu moins de trois heures et quart.

Que venaient faire Nalorgne et Pérouzin à Enghien ?

Les deux agents auraient été assez en peine de le dire.

Ils avaient tout simplement reçu une note de service qui leur enjoignait l’ordre d’aller stationner dans la journée, aux environs du Lac Palace pour s’y mettre à la disposition du policier Juve qui aurait peut-être une certaine dame à ramener à Paris en qualité de prisonnière.

Nalorgne et Pérouzin étaient naturellement partis très tard de Paris, car ils avaient longuement peiné avant de pouvoir mettre en marche leur voiture. Fidèles à la consigne, cependant, ils arrivaient à Enghien et ils stationnaient là où ils devaient être à onze heures du soir au lieu de trois heures de l’après-midi.

— Nalorgne, disait Pérouzin, je crois que d’ici quelque temps cette voiture ira très vite.

— C’est bien possible, répondait Pérouzin, elle va déjà beaucoup mieux qu’avant, puisqu’elle marche.

L’argument était en effet sans réplique.

Les deux agents, satisfaits, continuèrent à tourner autour de leur voiture, la couvant des yeux fort amoureusement, car plus ils avaient de peine avec elle, plus ils l’aimaient, à la façon des mères de famille qui s’attachent surtout à leurs enfants souffreteux. Or, il y avait quelques secondes à peine que Nalorgne et Pérouzin stationnaient aux abords du Lac Palace et ils soufflaient encore, car le dernier kilomètre parcouru leur avait coûté de pénibles efforts, ayant été marqué par sept mises en marche successives, lorsque le carillon d’alarme retentit à l’intérieur de l’hôtel.