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— Fantômas, décidait Jérôme Fandor, vous allez lever les bras en l’air et les tenir ainsi jusqu’à ce que je vous aie attaché. Au moindre mouvement, je vous tue.

Docilement, Fantômas leva les bras en l’air.

— Bien, dit-il simplement. Je suis en ce moment hors d’état de me défendre, donc je cède. Qu’allez-vous faire de moi ?

— Vous le demandez, Fantômas ? Je vais vous livrer à Juve.

— Charmant !

Fantômas semblait aussi calme que s’il se fût agi pour lui d’une simple contrariété, que si sa tête n’avait pas été en jeu.

— Enfin, constata-t-il bientôt, cependant que Jérôme Fandor tirait de sa poche une paire de menottes dont il allait se servir pour immobiliser Fantômas, enfin, voulez-vous m’accorder une grâce ?

— Laquelle, Fantômas ?

— Tout simplement, me passer une cigarette. Il y a deux heures que je n’ai pas fumé, c’est un supplice abominable.

Fantômas, évidemment, voulait rire, mais il avait affaire à forte partie. S’il lui plaisait d’être ironique, Fandor saurait se mettre à la hauteur des circonstances.

— Comment donc, dit le journaliste, j’ai justement des cigarettes anglaises sur moi. Je vais vous en offrir une, mais votre cagoule vous gêne.

Fantômas se tenait toujours immobile, les bras en l’air. Devant lui, Fandor le menaçait de son browning tenu de la main droite. Le journaliste souriant avait tiré un étui à cigarettes, pris un rouleau de tabac, il hésitait. Fantômas railla encore.

— Je n’ose pas enlever ma cagoule disait le bandit car votre browning est menaçant. Cela ne fait rien, il y a un trou dans mon masque, à la hauteur de la bouche. Donnez-moi cette cigarette.

Fandor frôla le vêtement noir, et, le revolver toujours braqué, mit la cigarette entre les lèvres du Maître de l’Épouvante. D’un geste instinctif, il avait d’ailleurs pris une cigarette lui aussi.

— Vous êtes satisfait Fantômas ? demanda le journaliste.

— Pas encore, il faudrait une allumette.

De sa main gauche Fandor se fouilla.

— Je n’en ai pas.

— Trop heureux de vous en offrir une. Vous en trouverez là dans le coin près de l’escalier.

— Vous êtes bien aimable.

Menaçant toujours le bandit de son browning, car il connaissait les ruses dont il était capable, Fandor recula, et, de sa main gauche prit une allumette qu’il frotta contre le mur.

— Après vous, dit poliment Fantômas.

Fandor s’inclina.

— Comme vous voudrez.

Il approcha l’allumette de sa cigarette, il aspira une bouffée de tabac, mais, au moment même où il éteignait l’allumette d’un souffle, le malheureux Jérôme Fandor tomba à la renverse tout de son long, si violemment que sa tête donna sur le plancher.

— C’est un imbécile, constata tranquillement l’homme à la cagoule noire, se départant enfin de son immobilité, c’est un imbécile, ce petit jeune homme. Il ne sait pas penser à tout.

27 – UN OU DEUX FANTÔMAS ?

Après le départ d’Hélène et l’arrivée des domestiques accourus au signal d’alarme, Sarah Gordon, très émue, atterrée, revenait dans ses appartements. Elle n’avait pas refermé la porte de l’antichambre qui donnait sur le couloir de l’hôtel, gardant celle-ci entrebâillée. Elle écouta, comprimant les battements de son cœur, les bruits qui allaient en s’atténuant.

Sa surprise avait été extrême, car il lui avait semblé, malgré son trouble, que le valet de chambre accouru à ses appels, au lieu de prêter main-forte et de s’emparer de la mystérieuse personne qui cherchait à s’enfuir, avait au contraire tenté de faciliter le départ de celle-ci.

Mais Sarah, lorsqu’elle y réfléchissait, se disait qu’évidemment elle faisait erreur. C’était là une chose invraisemblable, impossible, et les soupçons qu’elle se forgeait n’avaient pas de raison d’être.

Quelques instants encore, l’Américaine dressa l’oreille.

Des cris, des bruits de pas précipités, avaient retenti dans l’hôtel. Elle avait l’impression que son interlocutrice, si brusquement chassée de chez elle, était malgré tout poursuivie, traquée.

Et Sarah se demanda :

— Quelle peut bien être cette femme et pourquoi est-elle venue me voir ?

Elle tressaillit en se souvenant d’elle, et était d’autant plus gênée que la physionomie de la jeune fille qui était venue lui intimer un ordre si formel de ne pas partir en Amérique sans Dick, n’avait rien de désagréable, elle inspirait plutôt la sympathie, et Sarah devait s’avouer que si elle avait dû agir brutalement vis-à-vis d’elle, c’était bien plus parce qu’elle y était contrainte que spontanément.

Machinalement, l’Américaine, désireuse de connaître l’issue de l’aventure qu’elle avait provoquée, se pencha au dehors et fouilla l’obscurité de son regard inquiet. Sarah ne pouvait s’empêcher de songer :

— Cette femme est évidemment la maîtresse, tout au moins une des maîtresses de Dick. C’est indiscutable, c’est certain.

Et la jeune étrangère se sentait les yeux remplis de larmes.

Sans doute, la veille, lorsqu’elle était en tête-à-tête avec l’acteur et qu’elle s’efforçait de le décider à partir, immédiatement avec elle, elle avait fait la brave et prétendu qu’elle n’était aucunement jalouse, qu’elle ne redoutait rien, et que la concurrence d’une femme, quelle qu’elle fût, n’était pas faite pour l’inquiéter.

Mais en cela, Sarah s’avouait qu’elle avait exagéré, « bluffé », comme on disait dans son pays d’Amérique. Car, s’il est bon de ne pas montrer aux hommes que l’on tient à eux, à part soi, il est permis de reconnaître que l’on redoute à l’occasion la rouerie des autres femmes :

— Dick n’est pas libre, c’est sûr et il ne veut pas partir avec moi sans avoir rompu avec sa maîtresse. Que faire mon Dieu ? pensait la riche Américaine… je l’aime et je veux l’épouser.

Oh, elle n’était plus arrogante et positive la jeune et brillante Yankee !

C’était désormais simplement une femme, une pauvre femme, éperdue d’amour, qui ne savait que balbutier en pleurant :

— Dick, je vous aime, je veux que vous partiez avec moi.

La jeune fille referma sa fenêtre, car elle commençait à avoir froid, et rentra dans sa chambre à coucher. Elle demeura perplexe quelques instants.

Qu’allait-elle faire ?

Avait-on arrêté la mystérieuse personne qu’elle avait chassée de chez elle, ou avait-elle échappé à ses poursuivants ?

Tout d’abord, l’Américaine eut l’idée de sonner pour faire venir un domestique, puis elle y renonça, ne sachant que lui dire. Elle réfléchit ensuite qu’il valait mieux descendre elle-même au bureau, voir le directeur de l’hôtel et lui expliquer la situation.

Elle était terriblement anxieuse de savoir si, oui ou non, la fugitive avait été prise.

Mais un sentiment de pudeur et de délicatesse la retint. Il répugnait à Sarah de mettre ce gérant d’hôtel au courant de ses émotions et des préoccupations de sa vie privée.

Elle en était presque à regretter d’avoir fait un léger scandale, qui, peut-être avait déterminé l’arrestation de sa visiteuse.

Car, si tel était le cas, on allait évidemment venir lui demander des explications. Cette femme protesterait, exigerait d’être mise en liberté.

Que dirait Sarah ? Quels prétextes invoquerait-elle, soit pour s’excuser vis-à-vis de la femme, soit pour, au contraire, demander qu’on la maintienne en état d’arrestation ?

Plus elle y réfléchissait, plus la jeune fille déplorait son mouvement de nervosité, son acte irréfléchi.

Elle attendit longtemps, anxieuse et préoccupée, résolue désormais à ne pas descendre avant qu’on ne l’en priât.

Puis, au fur et à mesure que les minutes passaient, elle se prenait à espérer que la poursuite avait été vaine, et que l’inconnue s’était enfuie, sans avoir été rattrapée ; peut-être même les gens de l’hôtel n’avaient-ils pas jugé nécessaire de courir après elle ?