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Mais ce qui frappait Sarah, c’est qu’appuyé contre la vitre, devant cette nouvelle apparition, se trouvait encore un canon de revolver nettement dirigé sur la poitrine de la jeune fille.

Et Sarah, désormais, se rendait compte qu’elle était de la sorte menacée de deux côtés et que, si elle faisait un mouvement, Fantômas, qui la surveillait à gauche, la tuerait infailliblement, à moins que ce ne soit l’individu qui la surveillait à droite et qui, vraisemblablement, devait être l’auxiliaire, le complice du bandit.

Combien de temps resta-t-elle ainsi immobile ? Quelques secondes, quelques minutes peut-être.

Sarah était tellement interloquée, abasourdie, effarée, qu’elle était bien incapable de se rendre compte de quoi que ce fût.

Fantômas, cependant à voix basse, répétait sans cesse :

— Ne fais pas un geste, pas un mouvement, sans cela je te tue.

Et, à chacune de ces paroles, instinctivement, Sarah tournait la tête de son côté. Or, à un moment donné, elle s’aperçut que le bandit avait bougé, il ne s’approchait pas d’elle, mais au contraire, il reculait, à genoux, ne s’écartant pas de la ligne droite, qui était constituée par lui à une extrémité, Sarah au milieu, et le mystérieux personnage armé d’un revolver à l’extérieur de la pièce.

En réalité, si par hasard ils étaient adversaires, l’un et l’autre étaient empêchés de tirer et de se viser mutuellement sous peine de voir les balles de leurs armes traverser le corps de Sarah qui s’interposait entre eux deux.

Lentement, Fantômas, marchant toujours à reculons, avait gagné l’extrémité de la pièce, et, à cet endroit, se trouvait la porte, qui faisait communiquer la chambre avec le salon. Il l’entrebâilla doucement, puis, il murmura d’une voix pleine de rage :

— Je suis obligé, Sarah Gordon, de t’épargner, parce que je ne sais pas encore tout ce que je voulais te faire dire, mais sois tranquille, nous nous retrouverons.

Une seconde s’écoula, la porte se referma derrière Fantômas. Il avait disparu.

Mais au même instant, le bruit d’un carreau brisé détermina chez Sarah une terreur nouvelle. L’homme placé sur le balcon, à l’extérieur de son appartement, venait de casser la vitre, d’ouvrir la fenêtre et de bondir dans la chambre à coucher.

Sarah Gordon l’aperçut, elle poussa un cri de stupéfaction :

— Monsieur Juve ! fit-elle.

C’était en effet le policier qui venait de surgir dans la pièce.

Sans paraître s’apercevoir de la présence de la jeune fille, il bondit à la porte, traversa le salon, se dirigea dans le couloir suivant l’itinéraire qu’une seconde auparavant avait adopté Fantômas, mais il se heurta à la porte de l’antichambre que le bandit, en s’en allant, avait fermée à double tour.

Juve revint, il haussa les épaules :

— Je m’en doutais ! fit-il. Fantômas a pu s’éclipser à temps, mais je l’ai empêché de commettre un odieux assassinat.

Il rentra dans la chambre à coucher, et, avisant Sarah Gordon, déclara d’une voix vibrante :

— Si vous ne l’aviez pas protégé de votre corps, mademoiselle, je l’aurais abattu comme un chien qu’il est.

—Vous savez donc avec qui je me trouvais ? interrogea la jeune fille.

— Oui, fit Juve, vous étiez avec Fantômas. Une seconde de plus, si je n’étais arrivé à temps, et le bandit vous tuait.

Sarah Gordon blêmit ; cependant que ses dents claquaient, elle désigna la fenêtre à Juve, la fenêtre ouverte par laquelle pénétraient des bouffées de brouillard humide et froid.

— Je vous en prie, monsieur, fermez cette fenêtre et passez-moi le châle qui est sur ce canapé. Je suis à moitié nue, j’ai froid !

Juve était un peu déconcerté par le calme qu’affectait la jeune fille. Toutefois, il n’en laissa rien paraître et fort galamment accéda à son désir.

Sarah s’enveloppa dans le vêtement que lui tendait le policier, puis, se renversant à demi sur ses oreillers, elle interrogea :

— Que veniez-vous faire ici ? Était-ce dans le but de me protéger, monsieur, ou alors, votre présence est-elle la conséquence d’une simple coïncidence ?

— Ce n’est pas tout à fait le hasard, mademoiselle, qui m’a conduit jusqu’à votre fenêtre ; je surveillais quelqu’un, mais, je l’avoue, je ne m’attendais pas à rencontrer Fantômas dans votre appartement.

— C’est donc moi, monsieur, fit-elle, que vous étiez en train de surveiller ?

— Peut-être.

— Quelles étaient donc vos intentions, monsieur ?

Le policier précisa :

— Je ne vous les dissimulerai pas : depuis pas mal de temps, mademoiselle, votre attitude me paraît suspecte et fort peu explicable en bien des circonstances. Je suis venu ici pour vous interroger et si vos réponses ne me conviennent pas, je n’hésiterai pas à vous mettre en état d’arrestation.

— Grand merci, monsieur ! Pour me parler ainsi, vous ignorez sans doute à qui vous avez affaire. Je suis Sarah Gordon, citoyenne de la libre Amérique et milliardaire. J’ai l’habitude de faire ce qu’il me plaît et jamais personne ne m’a fait obéir à des ordres.

— Il y a un commencement à tout, miss Sarah Gordon, et dès à présent, je vous donne l’ordre de répondre à mes questions.

— Monsieur, je ne parlerai pas, je ne prononcerai pas une parole.

— En ce cas, fit Juve, j’attendrai !

Il y eut un quart d’heure de silence, pendant lequel la jeune fille, de plus en plus troublée et perplexe, ne cessa de considérer le policier qui s’était installé dans un fauteuil en face d’elle et demeurait impassible, les bras croisés, les yeux fixés au plafond. Enfin Sarah Gordon se décida à rompre le silence :

— Monsieur, demanda-t-elle d’une voix plus douce, il serait au moins poli de votre part de m’expliquer le but de votre visite.

— Vous avez raison, mademoiselle, et si je redoute d’apprendre à votre sujet, des choses qui m’imposeraient la nécessité pénible de vous arrêter, je dois vous dire que je viens vous trouver sans parti pris, sans mauvaise volonté, avec l’unique désir de tirer cette histoire au clair, et de rendre justice à ceux qui y ont droit.

— Monsieur, poursuivit Sarah Gordon, je suis prête à vous répondre, interrogez-moi.

***

L’entretien avait duré longtemps et les deux interlocuteurs avaient dû se dire des choses graves, car, sans une interruption, ils avaient successivement parlé, veillant à ne pas élever trop la voix pour être certains de n’être point entendus.

Le soleil était déjà haut, lorsque par la fenêtre de la chambre de Sarah Gordon, un homme se glissa mystérieusement, enjamba le balcon et, se laissant glisser le long d’un tuyau de gouttière, atteignit le sol. Cet homme se mit ensuite à marcher rapidement en rasant les murs de l’hôtel.

Quiconque aurait vu ce fugitif descendre de ce balcon l’aurait pris à coup sûr pour un amoureux arraché par l’aube aux étreintes de sa maîtresse. Que penser en effet lorsqu’un couple passe une nuit entière dans la même chambre ?

Toutefois, si les apparences permettaient de former toutes les suppositions à ce sujet, la réalité était tout autre.

L’homme qui venait de s’en aller ainsi de la chambre de Sarah Gordon était le policier Juve qui ne tenait point à être aperçu du personnel de l’hôtel.

L’inspecteur de la Sûreté semblait fort satisfait de son entretien avec l’Américaine. Il avait respiré de profondes bouffées d’air frais et allumé une cigarette avec une évidente satisfaction.

— Je crois décidément, pensait-il, que maintenant Sarah Gordon est hors de cause. Il me reste à savoir cependant quelle est la personnalité exacte de ce Dick, et aussi quelles sont les raisons si mystérieuses qui l’empêchent de partir avec celle qu’il aime. Tout cela n’est pas clair et, malgré moi, je suis obligé de faire un rapprochement entre l’assassinat par Fantômas de la pauvre petite Rose et ce Dick qui, justement ce soir-là, n’est pas venu tenir son rôle au théâtre et a ainsi permis à ce tortionnaire d’interpréter si tragiquement le Bourreau.