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Le policier avançait toujours d’un pas rapide et il passait devant une maison déserte, lorsque soudain il s’arrêta brusquement :

Ne venait-on pas de prononcer son nom ? Il écouta, il entendit encore :

— Juve.

Le policier regardait autour de lui, machinalement, ne voyait personne, lorsqu’un bruyant éclat de rire fusa au-dessus de sa tête.

— Ah par exemple, Fandor !

Au balcon d’une villa, au premier étage de cette maison, apparaissait en effet le visage de Fandor.

Le jeune homme avait les traits tirés, les joues assez pâles, cependant qu’il souriait, et ses yeux brillaient d’un éclat extraordinaire. Voyant Juve, il rit et il répéta :

— Quelle bonne chance de vous rencontrer, mon cher ami. Donnez-vous donc la peine d’entrer !

Juve indécis demeurait à l’entrée de la grille du jardin.

— Qu’est-ce que cela signifie ? s’écria-t-il. Comment se fait-il que je te retrouve ici ? Chez qui es-tu, Fandor ?

— Chez qui je suis ? répliqua le journaliste, je n’en sais fichtre rien ou alors je m’en doute trop. Mais, Juve, ne restez donc pas là, comme un mendiant sur le seuil de la porte. Entrez, je vous en prie.

Machinalement, le policier fit quelques pas dans le jardinet. Il se heurta à une porte fermée, il cria :

— Mais tout est verrouillé, Fandor.

De son balcon, le journaliste lui jeta :

— Diable, je n’y avais pas songé. Attendez un instant, je vais essayer de vous ouvrir de l’intérieur. Le temps de descendre l’escalier, ce qui ne sera peut-être pas très commode, pourvu que je ne me fiche pas la figure à terre.

Pendant quelques instants, Juve et Fandor, placés de part et d’autre de la porte d’entrée, s’efforcèrent de l’ouvrir. Ils y parvinrent enfin. Lorsque Juve pénétra dans la maison, il reçut pour ainsi dire Fandor dans ses bras. Le jeune homme riait nerveusement, mais il chancela, tituba :

— Qu’as-tu donc ? fit Juve qui s’efforçait vainement de le faire se tenir debout.

— Il y a, fit Fandor, que je suis abruti, étourdi, très étourdi. Je viens de me réveiller, il y a une heure environ, glacé, transi de froid et je ne peux pas encore arriver à reprendre bien nettement mes esprits. Je me demande même comment il se fait que je sois vivant.

— Vivant ? s’écria Juve. As-tu donc couru quelque danger ?

— Je crois.

Juve, cependant, considérait curieusement l’immeuble dans lequel il se trouvait et le rez-de-chaussée de cette maison qu’occupait si bizarrement Fandor. Il y avait là quelques meubles, sans importance, et véritablement insuffisants pour permettre à quelqu’un d’habiter cette demeure.

Cependant, les deux hommes s’étaient installés sur une banquette, et Fandor qui, peu à peu retrouvait son équilibre physique et moral racontait à Juve la façon soudaine dont il s’était endormi.

— Qu’en concluez-vous ? demandait-il enfin.

À sa grande surprise, Juve lui répondit :

— Avant de conclure, je me demande, Fandor, si tu ne rêves pas encore et si tout cela t’est réellement arrivé ?

— Eh bien, vous en avez de bonnes, fit le journaliste, très vexé des doutes que formulait le policier. Voulez-vous, à votre tour, m’expliquer pourquoi vous ne me croyez pas ?

— Oh bien volontiers, fit Juve, et pour douter de toi, j’ai deux raisons…

— Allez-y, fit Fandor, envoyez-moi votre boniment. Je verrai ensuite ce que je dois y répondre.

— J’y vais, comme tu dis, de mon boniment, et j’ai deux arguments à te servir. Primo, je doute que tu aies passé hier soir la soirée en tête-à-tête avec Fantômas et qu’il t’ait endormi comme tu prétends, parce que, dès lors que tu aurais été hors d’état de lui nuire, même de lui résister, il me semble que Fantômas aurait trouvé l’occasion excellente pour te faire passer le goût du pain et t’envoyer dans l’autre monde.

— Pardon, interrompit Fandor, avant que vous ne m’indiquiez le deuxième argument, puis-je répondre au premier ?

— Vas-y.

— Eh bien, fit Fandor, il n’y a pas de preuves que Fantômas ait voulu me tuer. Il n’a, en effet, de la reconnaissance et de la bonté que dans un seul cas : c’est lorsque l’on protège Hélène. Or, je venais précisément de l’arracher aux mains de Nalorgne et Pérouzin.

Juve hocha la tête silencieusement.

— Hein ? vous êtes collé !

— Non, car voici mon second argument, et il suffit. Le premier n’est pas nécessaire. Je doute que tu aies vu hier soir Fantômas, parce que, à la même heure, c’est moi qui ai eu un tête-à-tête avec lui.

— Bah, fit Fandor abasourdi, ceci demande explication.

— Écoute ! poursuivit le policier.

Et dès lors, Juve racontait à Fandor les péripéties de la nuit qu’il avait passée au Lac Palace. Il expliquait à son ami comment, venu pour interroger et surveiller Sarah Gordon, il avait rencontré le bandit qui se dissimulait à l’hôtel, sous les traits d’un valet. Comment enfin, il acquérait la certitude que Fantômas ne quittait pas le voisinage de l’appartement occupé par Sarah Gordon, comment il voyait et entendait Fantômas menacer l’Américaine dans sa chambre à coucher.

Juve et Fandor se regardaient perplexes et sérieux.

— C’est très extraordinaire, commença le journaliste, et je me demande lequel de nous deux est victime d’une hallucination.

— Oh, fit Juve, c’est là un problème inutile à poser, car il nous est impossible de trouver une solution.

Le policier se leva, se passa la main sur le front, puis à brûle-pourpoint il demanda :

— Fandor, quelle heure est-il ?

Le journaliste regarda sa montre :

— Il est exactement cinq heures vingt du matin.

Cependant Juve avait lui-même consulté son chronomètre :

— Bien, déclara-t-il, ta montre avance de dix minutes sur la mienne.

— Ah ! fit Fandor, et que concluez-vous de cela ?

— Tout simplement, repartit le policier, qu’il est possible, étant donné la différence de nos deux montres, que Fantômas, après avoir été en ma présence, soit allé te retrouver et s’efforcer de t’endormir, ce qu’il a d’ailleurs réussi.

Fandor approuva d’abord son ami, puis admit cette éventualité.

Mais soudain les deux hommes se regardèrent :

— Juve !

— Fandor !

— Juve nous nous foutons dedans !

— Fandor, c’est mon avis !

Il était impossible, en effet, qu’ils se fussent l’un et l’autre successivement trouvés en face de Fantômas, pour la bonne raison que Fandor était certain d’avoir défendu Hélène contre Nalorgne et Pérouzin, avec le concours de Fantômas, alors que Juve était également convaincu que pendant ce temps, à ce moment précis, Fantômas se trouvait dans les couloirs du Lac Palace, et qu’il se présentait quelques secondes après à Sarah Gordon, qui pourrait aisément en témoigner.

Et Fandor concluait :

— Si Sarah Gordon peut témoigner de la présence de Fantômas, Nalorgne et Pérouzin pourront en faire autant. Alors ?

Juve hocha la tête.

— Fantômas, fit-il en hésitant, n’a pourtant pas, quelle que soit son habileté, le don d’ubiquité.

— Alors, conclut Fandor, il faut admettre que cette nuit il y avait deux Fantômas.

— Deux ? s’écria Juve.

Mais il ne haussa point les épaules, et ne déclara point à Fandor qu’il se trompait.

28 – TRAHIS ?

— Acré, v’là les cognes !

— Ah, nom de Dieu, le Bedeau, cavalons !

— Penses-tu, Bec-de-Gaz, c’est du boniment ! Ceux qu’ont les foies, ce soir, s’imaginent que c’est pour eux parce qu’ils sont pleins aux as simplement. Sûrement que c’est une rafle pour les gerces du trottoir. Y a pas besoin de se débiner.