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-Ecoutez, madame Gervaise, dit-il la gorge serree, sur le point d'etre repris par les larmes, il faut en finir, n'est-ce pas?... Nous allons nous marier ensemble. Moi, je veux bien, je suis decide.

Gervaise montrait une grande surprise. Elle etait tres grave.

-Oh! monsieur Coupeau, murmura-t-elle, qu'est-ce que vous allez chercher la! Je ne vous ai jamais demande cette chose, vous le savez bien... Ca ne me convenait pas, voila tout... Oh! non, non, c'est serieux, maintenant; reflechissez, je vous en prie. Mais il continuait a hocher la tete, d'un air de resolution inebranlable. C'etait tout reflechi. Il etait descendu, parce qu'il avait besoin de passer une bonne nuit. Elle n'allait pas le laisser remonter pleurer, peut-etre! Des qu'elle aurait dit oui, il ne la tourmenterait plus, elle pourrait se coucher tranquille. Il voulait simplement lui entendre dire oui. On causerait le lendemain.

-Bien sur, je ne dirai pas oui comme ca, repris Gervaise. Je ne tiens pas a ce que, plus tard, vous m'accusiez de vous avoir pousse a faire une betise... Voyez-vous, monsieur Coupeau, vous avez tort de vous enteter. Vous ignorez vous-meme ce que vous eprouvez pour moi. Si vous ne me rencontriez pas de huit jours, ca vous passerait, je parie. Les hommes, souvent, se marient pour une nuit, la premiere, et puis les nuits se suivent, les jours s'allongent, toute la vie, et ils sont joliment embetes... Asseyez-vous la, je veux bien causer tout de suite.

Alors, jusqu'a une heure du matin, dans la chambre noire, a la clarte fumeuse d'une chandelle qu'ils oubliaient de moucher, ils discuterent leur mariage, baissant la voix, afin de ne pas reveiller les deux enfants, Claude et Etienne, qui dormaient avec leur petit souffle, la tete sur le meme oreiller. Et Gervaise revenait toujours a eux, les montrait a Coupeau; c'etait la une drole de dot qu'elle lui apportait, elle ne pouvait vraiment pas l'encombrer de deux mioches. Puis, elle etait prise de honte pour lui. Qu'est-ce qu'on dirait dans le quartier? On l'avait connue avec son amant, on savait son histoire; ce ne serait guere propre, quand on les verrait s'epouser, au bout de deux mois a peine. A toutes ces bonnes raisons, Coupeau repondait par des haussements d'epaules. Il se moquait bien du quartier! Il ne mettait pas son nez dans les affaires des autres; il aurait eu trop peur de le salir, d'abord! Eh bien! oui, elle avait eu Lantier avant lui. Ou etait le mal? Elle ne faisait pas la vie, elle n'amenerait pas des hommes dans son menage, comme tant de femmes, et des plus riches. Quant aux enfants, ils grandiraient, on les eleverait, parbleu! Jamais il ne trouverait une femme aussi courageuse, aussi bonne, remplie de plus de qualites. D'ailleurs, ce n'etait pas tout ca, elle aurait pu rouler sur les trottoirs, etre laide, faineante, degoutante, avoir une sequelle d'enfants crottes, ca n'aurait pas compte a ses yeux: il la voulait.

-Oui, je vous veux, repetait-il, en tapant son poing sur son genou d'un martelement continu. Vous entendez bien, je vous veux... Il n'y a rien a dire a ca, je pense?

Gervaise, peu a peu, s'attendrissait. Une lachete du coeur et des sens la prenait, au milieu de ce desir brutal dont elle se sentait enveloppee. Elle ne hasardait plus que des objections timides, les mains tombees sur ses jupes, la face noyee de douceur. Du dehors, par la fenetre entr'ouverte, la belle nuit de juin envoyait des souffles chauds, qui effaraient la chandelle, dont la haute meche rougeatre charbonnait; dans le grand silence du quartier endormi, on entendait seulement les sanglots d'enfant d'un ivrogne, couche sur le dos, au milieu du boulevard; tandis que, tres loin, au fond de quelque restaurant, un violon jouait un quadrille canaille a quelque noce attardee, une petite musique cristalline, nette et deliee comme une phrase d'harmonica. Coupeau, voyant la jeune femme a bout d'arguments, silencieuse et vaguement souriante, avait saisi ses mains, l'attirait vers lui. Elle etait dans une de ces heures d'abandon dont elle se mefiait tant, gagnee, trop emue pour rien refuser et faire de la peine a quelqu'un. Mais le zingueur ne comprit pas qu'elle se donnait; il se contenta de lui serrer les poignets a les broyer, pour prendre possession d'elle; et ils eurent tous les deux un soupir, a cette legere douleur, dans laquelle se satisfaisait un peu de leur tendresse.

-Vous dites oui, n'est-ce pas? demanda-t-il.

-Comme vous me tourmentez! murmura-t-elle. Vous le voulez? eh bien, oui... Mon Dieu, nous faisons la une grande folie, peut-etre.

Il s'etait leve, l'avait empoignee par la taille, lui appliquait un rude baiser sur la figure, au hasard. Puis, comme cette caresse faisait un gros bruit, il s'inquieta le premier, regardant Claude et Etienne, marchant a pas de loup, baissant la voix.

-Chut! soyons sages, dit-il, il ne faut pas reveiller les gosses... A demain.

Et il remonta a sa chambre. Gervaise, toute tremblante, resta pres d'une heure assise au bord de son lit, sans songer a se deshabiller. Elle etait touchee, elle trouvait Coupeau tres-honnete; car elle avait bien cru un moment que c'etait fini, qu'il allait coucher la. L'ivrogne, en bas, sous la fenetre, avait une plainte plus rauque de bete perdue. Au loin, le violon a la ronde canaille se taisait.

Les jours suivants, Coupeau voulut decider Gervaise a monter un soir chez sa soeur, rue de la Goutte-d'Or. Mais la jeune femme, tres timide, montrait un grand effroi de cette visite aux Lorilleux. Elle remarquait parfaitement que le zingueur avait une peur sourde du menage. Sans doute il ne dependait pas de sa soeur, qui n'etait meme pas l'ainee. Maman Coupeau donnerait son consentement des deux mains, car jamais elle ne contrariait son fils. Seulement, dans la famille, les Lorilleux passaient pour gagner jusqu'a dix francs par jour; et ils tiraient de la une veritable autorite. Coupeau n'aurait pas ose se marier, sans qu'ils eussent avant tout accepte sa femme.

-Je leur ai parle de vous, ils connaissent nos projets, expliquait-il a Gervaise. Mon Dieu! que vous etes enfant! Venez ce soir... Je vous ai avertie, n'est-ce pas? Vous trouverez ma soeur un peu raide. Lorilleux non plus n'est pas toujours aimable. Au fond, ils sont tres vexes, parce que, si je me marie, je ne mangerai plus chez eux, et ce sera une economie de moins. Mais ca ne fait rien, ils ne vous mettront pas a la porte... Faites ca pour moi, c'est absolument necessaire.

Ces paroles effrayaient Gervaise davantage. Un samedi soir, pourtant, elle ceda. Coupeau vint la chercher a huit heures et demie. Elle s'etait habillee: une robe noire, avec un chale a palmes jaunes en mousseline de laine imprimee, et un bonnet blanc garni d'une petite dentelle. Depuis six semaines qu'elle travaillait, elle avait economise les sept francs du chale et les deux francs cinquante du bonnet; la robe etait une vieille robe nettoyee et refaite.

-Ils vous attendent, lui dit Coupeau, pendant qu'ils faisaient le tour par la rue des Poissonniers. Oh! ils commencent a s'habituer a l'idee de me voir marie. Ce soir, ils ont l'air tres gentil... Et puis, si vous n'avez jamais vu faire des chaines d'or, ca vous amusera a regarder. Ils ont justement une commande pressee pour lundi.

-Ils ont de l'or chez eux? demanda Gervaise. Je crois bien, il y en -a sur les murs, il y en a par terre, il y en a partout.

Cependant, ils s'etaient engages sous la porte ronde et avaient traverse la cour. Les Lorilleux demeuraient au sixieme, escalier B. Coupeau lui cria en riant d'empoigner ferme la rampe et de ne plus la lacher. Elle leva les yeux, cligna les paupieres, en apercevant la haute tour creuse de la cage de l'escalier, eclairee par trois becs de gaz, de deux etages en deux etages; le dernier, tout en haut, avait l'air d'une etoile tremblotante dans un ciel noir, tandis que les deux autres jetaient de longues clartes, etrangement decoupees, le long de la spirale interminable des marches.