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-Hein? dit le zingueur en arrivant au palier du premier etage, ca sent joliment la soupe a l'ognon. On a mange de la soupe a l'ognon pour sur.

En effet, l'escalier B, gris, sale, la rampe et les marches graisseuses, les murs erafles montrant le platre, etait encore plein d'une violente odeur de cuisine. Sur chaque palier, des couloirs s'enfoncaient, sonores de vacarme, des portes s'ouvraient, peintes en jaune, noircies a la serrure par la crasse des mains; et, au ras de la fenetre, le plomb soufflait une humidite fetide, dont la puanteur se melait a l'acrete de l'ognon cuit. On entendait, du rez-de-chaussee au sixieme, des bruits de vaisselle, des poelons qu'on barbotait, des casseroles qu'on grattait avec des cuillers pour les recurer. Au premier etage, Gervaise apercut, dans l'entrebaillement d'une porte, sur laquelle le mot: Dessinateur, etait ecrit en grosses lettres, deux hommes attables devant une toile ciree desservie, causant furieusement, au milieu de la fumee de leurs pipes. Le second etage et le troisieme, plus tranquilles, laissaient passer seulement par les fentes des boiseries la cadence d'un berceau, les pleurs etouffes d'un enfant, la grosse voix d'une femme coulant avec un sourd murmure d'eau courante, sans paroles distinctes; et elle put lire des pancartes clouees, portant des noms: Madame Gaudron, cardeuse, et plus loin: Monsieur Madinier, atelier de cartonnage. On se battait au quatrieme: un pietinement dont le plancher tremblait, des meubles culbutes, un effroyable tapage de jurons et de coups; ce qui n'empechait pas les voisins d'en face de jouer aux cartes, la porte ouverte, pour avoir de l'air. Mais, quand elle fut au cinquieme, Gervaise dut souffler; elle n'avait pas l'habitude de monter; ce mur qui tournait toujours, ces logements entrevus qui defilaient, lui cassaient la tete. Une famille, d'ailleurs, barrait le palier; le pere lavait des assiettes sur un petit fourneau de terre, pres du plomb, tandis que la mere, adossee a la rampe, nettoyait le bambin, avant d'aller le coucher. Cependant, Coupeau encourageait la jeune femme. Ils arrivaient. Et, lorsqu'il fut enfin au sixieme, il se retourna pour l'aider d'un sourire. Elle, la tete levee, cherchait d'ou venait un filet de voix, qu'elle ecoutait depuis la premiere marche, clair et percant, dominant les autres bruits. C'etait, sous les toits, une petite vieille qui chantait en habillant des poupees a treize sous. Gervaise vit encore, au moment ou une grande fille rentrait avec un seau dans une chambre voisine, un lit defait, ou un homme en manches de chemise attendait, vautre, les yeux en l'air; sur la porte refermee, une carte de visite ecrite a la main indiquait: Mademoiselle Clemence, repasseuse. Alors, tout en haut, les jambes cassees, l'haleine courte, elle eut la curiosite de se pencher au-dessus de la rampe; maintenant, c'etait le bec de gaz d'en bas qui semblait une etoile, au fond du puits etroit des six etages; et les odeurs, la vie enorme et grondante de la maison, lui arrivaient dans une seule haleine, battaient d'un coup de chaleur son visage inquiet, se hasardant la comme au bord d'un gouffre.

-Nous ne sommes pas arrives, dit Coupeau. Oh! c'est un voyage!

Il avait pris, a gauche, un long corridor. Il tourna deux fois, la premiere encore a gauche, la seconde a droite. Le corridor s'allongeait toujours, se bifurquait, resserre, lezarde, decrepi, de loin en loin eclaire par une mince flamme de gaz; et les portes uniformes, a la file comme des portes de prison ou de couvent, continuaient a montrer, presque toutes grandes ouvertes, des interieurs de misere et de travail, que la chaude soiree de juin emplissait d'une buee rousse. Enfin, ils arriverent a un bout de couloir completement sombre.

-Nous y sommes, reprit le zingueur. Attention! tenez-vous au mur; il y a trois marches.

Et Gervaise fit encore une dizaine de pas, dans l'obscurite, prudemment. Elle buta, compta les trois marches. Mais, au fond du couloir, Coupeau venait de pousser une porte, sans frapper. Une vive clarte s'etala sur le carreau. Ils entrerent.

C'etait une piece etranglee, une sorte de boyau, qui semblait le prolongement meme du corridor. Un rideau de laine deteinte, en ce moment releve par une ficelle, coupait le boyau en deux. Le premier compartiment contenait un lit, pousse sous un angle du plafond mansarde, un poele de fonte encore tiede du diner, deux chaises, une table et une armoire dont il avait fallu scier la corniche pour qu'elle put tenir entre le lit et la porte. Dans le second compartiment se trouvait installe l'atelier: au fond, une etroite forge avec son soufflet; a droite, un etau scelle au mur, sous une etagere ou trainaient des ferrailles; a gauche, aupres de la fenetre, un etabli tout petit, encombre de pinces, de cisailles, de scies microscopiques, grasses et tres sales.

-C'est nous! cria Coupeau, en s'avancant jusqu'au rideau de laine.

Mais on ne repondit pas tout de suite. Gervaise, fort emotionnee, remuee surtout par cette idee qu'elle allait entrer dans un lieu plein d'or, se tenait derriere l'ouvrier, balbutiant, hasardant des hochements de tete, pour saluer. La grande clarte, une lampe brulant sur l'etabli, un brasier de charbon flambant dans la forge, accroissait encore son trouble. Elle finit pourtant par voir madame Lorilleux, petite, rousse, assez forte, tirant de toute la vigueur de ses bras courts, a l'aide d'une grosse tenaille, un fil de metal noir, qu'elle passait dans les trous d'une filiere fixee a l'etau. Devant l'etabli, Lorilleux, aussi petit de taille, mais d'epaules plus greles, travaillait, du bout de ses pinces, avec une vivacite de singe, a un travail si menu, qu'il se perdait entre ses doigts noueux. Ce fut le mari qui leva le premier la tete, une tete aux cheveux rares, d'une paleur jaune de vieille cire, longue et souffrante.

-Ah! c'est vous, bien, bien! murmura-t-il. Nous sommes presses, vous savez... N'entrez pas dans l'atelier, ca nous generait. Restez dans la chambre.

Et il reprit son travail menu, la face de nouveau dans le reflet verdatre d'une boule d'eau, a travers laquelle la lampe envoyait sur son ouvrage un rond de vive lumiere.

-Prends les chaises! cria a son tour madame Lorilleux. C'est cette dame, n'est-ce pas? Tres bien, tres bien!

Elle avait roule le fil; elle le porta a la forge, et la, activant le brasier avec un large eventail de bois, elle le mit a recuire, avant de le passer dans les derniers trous de la filiere.

Coupeau avanca les chaises, fit asseoir Gervaise au bord du rideau. La piece etait si etroite, qu'il ne put se caser a cote d'elle. Il s'assit en arriere, et il se penchait pour lui donner, dans le cou, des explications sur le travail. La jeune femme, interdite par l'etrange accueil des Lorilleux, mal a l'aise sous leurs regards obliques, avait un bourdonnement aux oreilles qui l'empechait d'entendre. Elle trouvait la femme tres vieille pour ses trente ans, l'air reveche, malpropre avec ses cheveux queue de vache, roules sur sa camisole defaite. Le mari, d'une annee plus age seulement, lui semblait un vieillard, aux minces levres mechantes, en manches de chemise, les pieds nus dans des pantoufles eculees. Et ce qui la consternait surtout, c'etait la petitesse de l'atelier, les murs barbouilles, la ferraille ternie des outils, toute la salete noire trainant la dans un bric-a-brac de marchand de vieux clous. Il faisait terriblement chaud. Des gouttes de sueur perlaient sur la face verdie de Lorilleux; tandis que madame Lorilleux se decidait a retirer sa camisole, les bras nus, la chemise plaquant sur les seins tombes.

-Et l'or? demanda Gervaise a demi-voix.

Ses regards inquiets fouillaient les coins, cherchaient, parmi toute cette crasse, le resplendissement qu'elle avait reve.

Mais Coupeau s'etait mis a rire.