Выбрать главу

Gervaise, elle aussi, tenait a etre propre. Des que le mariage fut decide, elle s'arrangea, fit des heures en plus, le soir, arriva a mettre trente francs de cote. Elle avait une grosse envie d'un petit mantelet de soie, affiche treize francs, rue du Faubourg-Poissonniere. Elle se le paya, puis racheta pour dix francs au mari d'une blanchisseuse, morte dans la maison de madame Fauconnier, une robe de laine gros bleu, qu'elle refit completement a sa taille. Avec les sept francs qui restaient, elle eut une paire de gants de coton, une rose pour son bonnet et des souliers pour son aine Claude. Heureusement les petits avaient des blouses possibles. Elle passa quatre nuits, nettoyant tout, visitant jusqu'aux plus petits trous de ses bas et de sa chemise.

Enfin, le vendredi soir, la veille du grand jour, Gervaise et Coupeau, en rentrant du travail, eurent encore a trimer jusqu'a onze heures. Puis, avant de se coucher chacun chez soi, ils passerent une heure ensemble, dans la chambre de la jeune femme, bien contents d'etre au bout de cet embarras. Malgre leur resolution de ne pas se casser les cotes pour le quartier, ils avaient fini par prendre les choses a coeur et par s'ereinter. Quand ils se dirent bonsoir, ils dormaient debout. Mais, tout de meme, ils poussaient un gros soupir de soulagement. Maintenant, c'etait regle. Coupeau avait pour temoins M. Madinier et Bibi-la-Grillade; Gervaise comptait sur Lorilleux et sur Boche. On devait aller tranquillement a la mairie et a l'eglise, tous les six, sans trainer derriere soi une queue de monde. Les deux soeurs du marie avaient meme declare qu'elles resteraient chez elles, leur presence n'etant pas necessaire. Seule maman Coupeau s'etait mise a pleurer, en disant qu'elle partirait plutot en avant, pour se cacher dans un coin; et on avait promis de l'emmener. Quant au rendez-vous de toute la societe, il etait fixe a une heure, au Moulin-d'Argent. De la on irait gagner la faim dans la plaine Saint-Denis; on prendrait le chemin de fer et on retournerait a pattes, le long de la grande route. La partie s'annoncait tres bien, pas une bosse a tout avaler, mais un brin de rigolade, quelque chose de gentil et d'honnete.

Le samedi matin, en s'habillant, Coupeau fut pris d'inquietude, devant sa piece de vingt sous. Il venait de songer que, par politesse, il lui faudrait offrir un verre de vin et une tranche de jambon aux temoins, en attendant le diner. Puis, il y aurait peut-etre des frais imprevus. Decidement, vingt sous, ca ne suffisait pas. Alors, apres s'etre charge de conduire Claude et Etienne chez madame Boche, qui devait les amener le soir au diner, il courut rue de la Goutte-d'Or et monta carrement emprunter dix francs a Lorilleux. Par exemple, ca lui ecorchait le gosier, car il s'attendait a la grimace de son beau-frere. Celui-ci grogna, ricana d'un air de mauvaise bete, et finalement preta les deux pieces de cent sous. Mais Coupeau entendit sa soeur qui disait entre ses dents que " ca commencait bien. "

Le mariage a la mairie etait pour dix heures et demie. Il faisait tres beau, un soleil du tonnerre, rotissant les rues. Pour ne pas etre regardes, les maries, la maman et les quatre temoins se separerent en deux bandes. En avant, Gervaise marchait au bras de Lorilleux, tandis que M. Madinier conduisait maman Coupeau; puis, a vingt pas, sur l'autre trottoir, venaient Coupeau, Boche et Bibi-la-Grillade. Ces trois-la etaient en redingote noire, le dos rond, les bras ballants; Boche avait un pantalon jaune; Bibi-la-Grillade, boutonne jusqu'au cou, sans gilet, laissait passer seulement un coin de cravate roule en corde. Seul, M. Madinier portait un habit, un grand habit a queue carree; et les passants s'arretaient pour voir ce monsieur promenant la grosse mere Coupeau, en chale vert, en bonnet noir, avec des rubans rouges. Gervaise, tres douce, gaie, dans sa robe d'un bleu dur, les epaules serrees sous son etroit mantelet, ecoutait complaisamment les ricanements de Lorilleux, perdu au fond d'un immense paletot sac, malgre la chaleur; puis, de temps a autre, au coude des rues, elle tournait un peu la tete, jetait un fin sourire a Coupeau, que ses vetements neufs, luisants au soleil, genaient.

Tout en marchant tres-lentement, ils arriverent a la mairie une grande demi-heure trop tot. Et, comme le maire fut en retard, leur tour vint seulement vers onze heures. Ils attendirent sur des chaises, dans un coin de la salle, regardant le haut plafond et la severite des murs, parlant bas, reculant leurs sieges par exces de politesse, chaque fois qu'un garcon de bureau passait. Pourtant, a demi-voix, ils traitaient le maire de faineant; il devait etre pour sur chez sa blonde, a frictionner sa goutte; peut-etre bien aussi qu'il avait avale son echarpe. Mais, quand le magistrat parut, ils se leverent respectueusement. On les fit rasseoir. Alors, ils assisterent a trois mariages, perdus dans trois noces bourgeoises, avec des mariees en blanc, des fillettes frisees, des demoiselles a ceintures roses, des corteges interminables de messieurs et de dames sur leur trente-et-un, l'air tres comme il faut. Puis, quand on les appela, ils faillirent ne pas etre maries, Bibi-la-Grillade ayant disparu. Boche le retrouva en bas, sur la place, fumant une pipe. Aussi, ils etaient encore de jolis cocos dans cette boite, de se ficher du monde, parce qu'on n'avait pas des gants beurre frais a leur mettre sous le nez! Et les formalites, la lecture du Code, les questions posees, la signature des pieces, furent expediees si rondement, qu'ils se regarderent, se croyant voles d'une bonne moitie de la ceremonie. Gervaise, etourdie, le coeur gonfle, appuyait son mouchoir sur ses levres. Maman Coupeau pleurait a chaudes larmes. Tous s'etaient appliques sur le registre, dessinant leurs noms, en grosses lettres boiteuses, sauf le marie qui avait trace une croix, ne sachant pas ecrire. Ils donnerent chacun quatre sous pour les pauvres. Lorsque le garcon remit a Coupeau le certificat de mariage, celui-ci, le coude pousse par Gervaise, se decida a sortir encore cinq sous.

La trotte etait bonne de la mairie a l'eglise. En chemin, les hommes prirent de la biere, maman Coupeau et Gervaise, du cassis avec de l'eau. Et ils eurent a suivre une longue rue, ou le soleil tombait d'aplomb, sans un filet d'ombre. Le bedeau les attendait au milieu de l'eglise vide; il les poussa vers une petite chapelle, en leur demandant furieusement si c'etait pour se moquer de la religion qu'ils arrivaient en retard. Un pretre vint a grandes enjambees, l'air maussade, la face pale de faim, precede par un clerc en surplis sale qui trottinait. Il depecha sa messe, mangeant les phrases latines, se tournant, se baissant, elargissant les bras, en hate, avec des regards obliques sur les maries et sur les temoins. Les maries, devant l'autel, tres-embarrasses, ne sachant pas quand il fallait s'agenouiller, se lever, s'asseoir, attendaient un geste du clerc. Les temoins, pour etre convenables, se tenaient debout tout le temps; tandis que maman Coupeau, reprise par les larmes, pleurait dans le livre de messe qu'elle avait emprunte a une voisine. Cependant, midi avait sonne, la derniere messe etait dite, l'eglise s'emplissait du pietinement des sacristains, du vacarme des chaises remises en place. On devait preparer le maitre-autel pour quelque fete, car on entendait le marteau des tapissiers clouant des tentures. Et, au fond de la chapelle perdue, dans la poussiere d'un coup de balai donne par le bedeau, le pretre a l'air maussade promenait vivement ses mains seches sur les tetes inclinees de Gervaise et de Coupeau, et semblait les unir au milieu d'un demenagement, pendant une absence du bon Dieu, entre deux messes serieuses. Quand la noce eut de nouveau signe sur un registre, a la sacristie, et qu'elle se retrouva en plein soleil, sous le porche, elle resta un instant la, ahurie, essoufflee d'avoir ete menee au galop.