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-Venez donc. Ce n'est rien, ces machines... C'est au premier qu'il faut voir.

La nudite severe de l'escalier les rendit graves. Un huissier superbe, en gilet rouge, la livree galonnee d'or, qui semblait les attendre sur le palier, redoubla leur emotion. Ce fut avec respect, marchant le plus doucement possible, qu'ils entrerent dans la galerie francaise.

Alors, sans s'arreter, les yeux emplis de l'or des cadres, ils suivirent l'enfilade des petits salons, regardant passer les images, trop nombreuses pour etre bien vues. Il aurait fallu une heure devant chacune, si l'on avait voulu comprendre. Que de tableaux, sacredie! ca ne finissait pas. Il devait y en avoir pour de l'argent. Puis, au bout, M. Madinier les arreta brusquement devant le Radeau de la Meduse ; et il leur expliqua le sujet. Tous, saisis, immobiles, se taisaient. Quand on se remit a marcher, Boche resuma le sentiment generaclass="underline" c'etait tape.

Dans la galerie d'Apollon, le parquet surtout emerveilla la societe, un parquet luisant, clair comme un miroir, ou les pieds des banquettes se refletaient. Mademoiselle Remanjou fermait les yeux, parce qu'elle croyait marcher sur de l'eau. On criait a madame Gaudron de poser ses souliers a plat, a cause de sa position. M. Madinier voulait leur montrer les dorures et les peintures du plafond; mais ca leur cassait le cou, et ils ne distinguaient rien. Alors, avant d'entrer dans le salon carre, il indiqua une fenetre du geste, en disant:

-Voila le balcon d'ou Charles IX a tire sur le peuple.

Cependant, il surveillait la queue du cortege. D'un geste, il commanda une halte, au milieu du salon carre. Il n'y avait la que des chefs-d'oeuvre, murmurait-il a demi-voix, comme dans une eglise. On fit le tour du salon. Gervaise demanda le sujet des Noces de Cana; c'etait bete de ne pas ecrire les sujets sur les cadres. Coupeau s'arreta devant la Joconde, a laquelle il trouva une ressemblance avec une de ses tantes. Boche et Bibi la-Grillade ricanaient, en se montrant du coin de l'oeil les femmes nues; les cuisses de l'Antiope surtout leur causerent un saisissement. Et, tout au bout, le menage Gaudron, l'homme la bouche ouverte, la femme les mains sur son ventre, restaient beants, attendris et stupides, en face de la Vierge de Murillo.

Le tour du salon termine, M. Madinier voulut qu'on recommencat; ca en valait la peine. Il s'occupait beaucoup de madame Lorilleux, a cause de sa robe de soie; et, chaque fois qu'elle l'interrogeait, il repondait gravement, avec un grand aplomb. Comme elle s'interessait a la maitresse du Titien, dont elle trouvait la chevelure jaune pareille a la sienne, il la lui donna pour la belle Ferronniere, une maitresse d'Henri IV, sur laquelle on avait joue un drame, a l'Ambigu.

Puis, la noce se lanca dans la longue galerie ou sont les ecoles italiennes et flamandes. Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu'on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des betes devenues jaunes, une debandade de gens et de choses dont le violent tapage de couleurs commencait a leur causer un gros mal de tete. M. Madinier ne parlait plus, menait lentement le cortege, qui le suivait en ordre, tous les cous tordus et les yeux en l'air. Des siecles d'art passaient devant leur ignorance ahurie, la secheresse fine des primitifs, les splendeurs des Venitiens, la vie grasse et belle de lumiere des Hollandais. Mais ce qui les interessait le plus, c'etaient encore les copistes, avec leurs chevalets installes parmi le monde, peignant sans gene; une vieille dame, montee sur une grande echelle, promenant un pinceau a badigeon dans le ciel tendre d'une immense toile, les frappa d'une facon particuliere. Peu a peu, pourtant, le bruit avait du se repandre qu'une noce visitait le Louvre; des peintres accouraient, la bouche fendue d'un rire; des curieux s'asseyaient a l'avance sur des banquettes, pour assister commodement au defile; tandis que les gardiens, les levres pincees, retenaient des mots d'esprit. Et la noce, deja lasse, perdant de son respect, trainait ses souliers a clous, tapait ses talons sur les parquets sonores, avec le pietinement d'un troupeau debande, lache au milieu de la proprete nue et recueillie des salles.

M. Madinier se taisait pour menager un effet. Il alla droit a la Kermesse de Rubens. La, il ne dit toujours rien, il se contenta d'indiquer la toile, d'un coup d'oeil egrillard. Les dames, quand elles eurent le nez sur la peinture, pousserent de petits cris; puis, elles se detournerent, tres-rouges. Les hommes les retinrent, rigolant, cherchant les details orduriers.

-Voyez donc! repetait Boche, ca vaut l'argent. En voila un qui degobille. Et celui-la, il arrose les pissenlits. Et celui-la, oh! celui-la... Ah bien! ils sont propres, ici.

-Allons-nous-en, dit M. Madinier, ravi de son succes. Il n'y a plus rien a voir de ce cote.

La noce retourna sur ses pas, traversa de nouveau le salon carre et la galerie d'Apollon. Madame Lerat et mademoiselle Remanjou se plaignaient, declarant que les jambes leur rentraient dans le corps. Mais le cartonnier voulait montrer a Lorilleux les bijoux anciens. Ca se trouvait a cote, au fond d'une petite piece, ou il serait alle les yeux fermes. Pourtant, il se trompa, egara la noce le long de sept ou huit salles, desertes, froides, garnies seulement de vitrines severes ou s'alignaient une quantite innombrable de pots casses et de bonshommes tres-laids. La noce frissonnait, s'ennuyait ferme. Puis, comme elle cherchait une porte, elle tomba dans les dessins. Ce fut une nouvelle course immense: les dessins n'en finissaient pas, les salons succedaient aux salons, sans rien de drole, avec des feuilles de papier gribouillees, sous des vitres, contre les murs. M. Madinier, perdant la tete, ne voulant point avouer qu'il etait perdu, enfila un escalier, fit monter un etage a la noce. Cette fois, elle voyageait au milieu du musee de marine, parmi des modeles d'instruments et de canons, des plans en relief, des vaisseaux grands comme des joujoux. Un autre escalier se rencontra, tres loin, au bout d'un quart d'heure de marche. Et, l'ayant descendu, elle se retrouva en plein dans les dessins. Alors, le desespoir la prit, elle roula au hasard des salles, les couples toujours a la file, suivant M. Madinier, qui s'epongeait le front, hors de lui, furieux contre l'administration, qu'il accusait d'avoir change les portes de place. Les gardiens et les visiteurs la regardaient passer, pleins d'etonnement. En moins de vingt minutes, on la revit au salon carre, dans la galerie francaise, le long des vitrines ou dorment les petits dieux de l'Orient. Jamais plus elle ne sortirait. Les jambes cassees, s'abandonnant, la noce faisait un vacarme enorme, laissant dans sa course le ventre de madame Gaudron en arriere.

-On ferme! on ferme! crierent les voix puissantes des gardiens.

Et elle faillit se laisser enfermer. Il fallut qu'un gardien se mit a sa tete, la reconduisit jusqu'a une porte. Puis, dans la cour du Louvre, lorsqu'elle eut repris ses parapluies au vestiaire, elle respira. M. Madinier retrouvait son aplomb; il avait eu tort de ne pas tourner a gauche; maintenant, il se souvenait que les bijoux etaient a gauche. Toute la societe, d'ailleurs, affectait d'etre contente d'avoir vu ca.

Quatre heures sonnaient. On avait encore deux heures a employer avant le diner. On resolut de faire un tour, pour tuer le temps. Les dames, tres lasses, auraient bien voulu s'asseoir; mais, comme personne n'offrait des consommations, on se remit en marche, on suivit le quai. La, une nouvelle averse arriva, si drue, que, malgre les parapluies, les toilettes des dames s'abimaient. Madame Lorilleux, le coeur noye a chaque goutte qui mouillait sa robe, proposa de se refugier sous le Pont-Royal; d'ailleurs, si on ne la suivait pas, elle menacait d'y descendre toute seule. Et le cortege alla sous le Pont-Royal. On y etait joliment bien. Par exemple, on pouvait appeler ca une idee chouette! Les dames etalerent leurs mouchoirs sur les paves, se reposerent la, les genoux ecartes, arrachant des deux mains les brins d'herbe pousses entre les pierres, regardant couler l'eau noire, comme si elles se trouvaient a la campagne. Les hommes s'amuserent a crier tres fort, pour eveiller l'echo de l'arche, en face d'eux; Boche et Bibi-la-Grillade, l'un apres l'autre, injuriaient le vide, lui lancaient a toute volee: " Cochon! " et riaient beaucoup, quand l'echo leur renvoyait le mot; puis, la gorge enrouee, ils prirent des cailloux plats et jouerent a faire des ricochets. L'averse avait cesse, mais la societe se trouvait si bien, qu'elle ne songeait plus a s'en aller. La Seine charriait des nappes grasses, de vieux bouchons et des epluchures de legumes, un tas d'ordures qu'un tourbillon retenait un instant, dans l'eau inquietante, tout assombrie par l'ombre de la voute; tandis que, sur le pont, passait le roulement des omnibus et des fiacres, la cohue de Paris, dont on apercevait seulement les toits, a droite et a gauche, comme du fond d'un trou. Mademoiselle Remanjou soupirait; s'il y avait eu des feuilles, ca lui aurait rappele, disait-elle, un coin de la Marne, ou elle allait, vers 1817, avec un jeune homme qu'elle pleurait encore.