— Si… tu as ouvert la porte en me faisant signe. L’invitation n’a pas besoin d’être verbale. L’intention suffit Et la personne qui invite ne doit pas forcément habiter là.
Elena réfléchit un instant.
— Ça marche aussi sur une péniche ?
— Oui, bien qu’un cours d’eau puisse empêcher certains d’entre nous de passer.
Elle se revit soudain sur le pont Wickery : elle avait su que si elle parvenait à l’autre rive, elle serait hors de danger.
— C’est donc pour ça… , murmura-t-elle. Mais toi, tu as franchi la rivière, ce soir-là…
— C’est parce que je n’ai pas beaucoup de pouvoirs. C’est paradoxal : plus on est puissant, plus les lois des Ténèbres sont contraignantes.
— Il y en a d’autres ? S’enquit Elena.
— Je pense qu’il est temps que tu saches, répondit Stefan en se tournant vers elle. Tu seras plus à même de te défendre contre Damon en apprenant le maximum sur lui.
— Se défendre contre lui ? Stefan en savait sans doute plus qu’elle ne croyait… Il bifurqua dans la rue d’Elena et se gara.
— Je dois faire des stocks d’ail ? demanda-t-elle.
— Seulement si tu veux faire fuir tout le monde, s’esclaffa Stefan. Mais certaines plantes peuvent garder Damon à distance. La verveine, par exemple, permet de conserver l’esprit clair même si ton adversaire te un sortilège. Autrefois, les gens la portaient autour du cou. Bonnie adorerait cette plante : les druides la considéraient comme sacrée.
— La verveine, répéta Elena, pour qui le mot évoquait simplement une tisane. Quoi d’autre ?
— Le soleil direct, ou n’importe quelle lumière vive, sont particulièrement douloureux. Tu n’as pas remarqué que le temps a changé ?
— Tu crois que c’est Damon ?
— Sans doute. La maîtrise des éléments nécessite un pouvoir et une énergie gigantesques. Mais tant qu’il parvient à faire venir des nuages, il peut apparaître en plein jour.
— Et… les croix ?
— Ça ne sert à rien… sauf si la personne qui la brandit est persuadée qu’il s’agit d’une protection. Dans ce cas, ça renforce considérablement sa capacité de résistance.
— Et… les balles d’argent ?
Stefan se mit à rire.
— Ça, c’est contre les loups-garous. Ils ne supportent ce métal sous aucune forme. En ce qui nous concerne, le pieu en bois reste la meilleure défense. Mais il y a d’autres moyens plus ou moins efficaces : le feu, la décapitation, les clous dans les tempes… Ou mieux encore…
— Arrête, Stefan !
L’expression de profonde amertume sur son visage était effrayante.
— Et les métamorphoses ? Continua-t-elle. Il disait que certains d’entre vous y arrivaient. Si Damon peut se transformer, on risque de ne pas le reconnaître…
— Il ne peut pas le faire à sa guise : il est limité à un ou deux animaux, tout au plus, même si ses pouvoirs sont très étendus.
— Donc, il faut toujours se méfier des corbeaux !
— Exact. Et le comportement des autres animaux peut t’aider à déceler sa présence : ils montrent des signes d’agitation lorsqu’ils sentent un prédateur.
— Yang-Tsê n’arrêtait pas d’aboyer contre ce corbeau, se souvint Elena. Il devait savoir que ce n’était pas un oiseau ordinaire.
Une autre idée lui vint.
— Et les miroirs ? Je ne me rappelle pas t’avoir vu dedans…
Stefan garda le silence un long moment.
— D’après la légende, ils sont le reflet de l’âme, finit-il par répondre. Voilà pourquoi les peuples primitifs les redoutent : ils ont peur de se la faire voler en s’y regardant. On prétend que mon espèce n’a pas de reflet… parce que nous n’avons pas d’âme.
Il la regardait avec une tristesse infinie qui la bouleversa.
— Je t’aime, murmura-t-elle, en le serrant dans ses bras.
C’était le seul réconfort qu’elle pouvait lui donner. Le visage enfoui dans ses cheveux, il se laissa bercer.
— C’est toi, mon miroir… répliqua-t-il.
Comme elle était bien dans son étreinte ! Et elle était heureuse d’être parvenue à lui mettre peu de baume au cœur ! Elle en oublia un instant de lui demander la signification de ses derniers mots.
— Je suis ton miroir ?
— Oui, c’est toi qui détiens mon âme…
Ils arrivèrent devant chez elle et il fut temps de se quitter.
— Ferme bien à clé derrière toi et surtout n’ouvre à personne, conseilla-t-il en guise d’adieux.
— Elena ! Enfin, te voilà ! s’exclama tante Judith en la voyant entrer. Bonnie a téléphoné, ajouta-t-elle devant l’air étonné de sa nièce. Elle a dit que vous étiez partis brutalement, et comme tu n’arrivais pas, je commençais à me faire du souci.
— J’ai fait un tour en voiture avec Stefan, répondit Elena, qui n’aimait pas l’expression inquiète de sa tante, Il s’est passé quelque chose ?
— Non, non, c’est juste que…
Elle semblait particulièrement embarrassée.
— Elena, reprit-elle, je me demande si… c’est une bonne idée de continuer à voir autant Stefan.
La jeune fille n’en crut pas ses oreilles.
— Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi !
— Ce n’est pas que j’accorde de l’importance aux rumeurs, mais, pour ton bien, tu devrais prendre tes distances avec lui, et…
— Tu veux que je le largue, c’est ça ? Et si je te disais que tu dois quitter Robert, comment tu réagirais, toi ? Remarque… peut-être bien que tu le jetterais !
— Elena, je t’interdis de me parler sur ce ton !
— Ça tombe bien, j’ai fini ! hurla-t-elle en se précipitant dans l’escalier.
Elle ferma la porte à clé, se jeta sur son lit et éclata en sanglots.
Lorsqu’elle fut remise de ses émotions, elle téléphona à Bonnie. Celle-ci avait l’air tout excitée.
— Quoi, s’il s’est passé un truc bizarre après votre départ ? La seule chose étrange, c’est que vous soyez partis comme ça ! En tout cas, le type en noir, Damon, n’a fait aucun commentaire, et il a disparu au bout d’un moment… Et, pour répondre à ta question, je ne sais pas s’il est parti avec quelqu’un… Pourquoi, t’es jalouse ? C’est vrai qu’il est super mignon ! Presque plus beau que ton Stefan, pour celles qui aiment les yeux noirs… Mais certains blonds aux yeux noisette ne sont pas mal non plus…
Elena comprit qu’elle faisait allusion à Alaric. En raccrochant, elle se souvint du bout de papier trouvé dans son sac. Elle aurait dû demander à Bonnie si elle avait vu quelqu’un s’approcher de ses affaires… La seule vue du billet violet lui donna envie de vomir. Mais elle ne put s’empêcher de le relire, ne serait-ce que pour vérifier qu’elle n’avait pas rêvé. C’était bien le même message que la première fois :
Il a évité de me toucher, même si on en mourrait d’envie tous les deux… C’est la première fois que je sens une attirance aussi intense pour quelqu’un.
Ses propres mots. Ceux de son journal intime volé.
Le lendemain matin, Meredith et Bonnie sonnèrent à sa porte.
— Stefan m’a appelée hier soir, expliqua Meredith. Il voulait s’assurer que tu n’ailles pas au lycée toute seule. Comme il ne vient pas aujourd’hui, il m’a demandé devenir te chercher avec Bonnie.
— De te servir d’escorte, quoi ! Renchérit Bonnie, à l’évidence d’excellente humeur. Je trouve adorable tant d’attention de sa part !
— Il est sans doute Verseau, lui aussi, plaisanta Meredith. Grouille-toi, Elena, avant qu’elle ne la ramène encore avec son Alaric.
Elena était préoccupée : qu’est-ce qui pouvait bien empêcher Stefan d’aller en cours ? Elle était si vulnérable sans lui, au point que le moindre petit bruit la faisait sursauter.